Le numéro 49 de la revue Dix-huitième siècle, intitulé « Une Société de spectacle », portera sur la question de la performance et du spectacle en-dehors des scènes de théâtre quelles qu’elles soient. Situé à la croisée des pratiques sociales, artistiques, culturelles et intellectuelles, l’univers du spectacle apparaît en effet comme un paradigme susceptible de rendre compte d’une sphère publique en cours de configuration au XVIIIe siècle, vers ce qu’on peut à bon droit qualifier de « théâtrocratie ». Par ce concept, nous entendons un régime de pouvoir qui non seulement emprunte les moyens du théâtre dans une politique de la représentation, mais surtout reconnaît pleinement et célèbre le rôle crucial du spectacle en tant que type d’activité non-fictionnelle, absolument nécessaire au bon fonctionnement social, économique, juridique et politique. Cette société en spectacle est donc indéniablement une société de spectacle, parfaitement consciente d’elle-même et de sa dimension structurante pour l’espace public, bien avant les dérives mass médiatique de notre monde contemporain.
Plus spécifiquement, la pulsion scopique qui préside à certaines formes de spectacle, revivifiant une culture de l’image en concurrence avec la culture de l’imprimé alors en plein essor, innerve un espace public structuré par la théâtralité, de trois façons au moins :
– par métonymie, la « sortie » au théâtre est un événement hautement ritualisé de la vie sociale, tandis que l’édifice théâtral lui-même s’inscrit dans un dense écosystème culturel, exerçant son influence, par contamination, sur l’ensemble de l’environnement ou du territoire (petits métiers aux portes des théâtres, mouvements de la foule des spectacles, stratégies d’urbanisme) ;
– par métaphore, la théâtralisation des espaces publics (jardins, bâtiments, édifices), mais également des pratiques sociales (mode, luxe, rites sociaux, cérémonies aussi bien publiques que privées) esquisse les contours d’une société consciente et soucieuse de se donner en spectacle à elle-même ;
– par homologie, le jeu social est considéré comme un jeu de rôles au sein d’une société de cour dont la liturgie politique gouverne, dans une large mesure, les comportements, les représentations et les consciences, comme l’ont très bien compris historiographes et moralistes tels que Saint-Simon, Duclos ou Chamfort.
C’est donc à l’étude des manifestations du théâtre en ses dehors qu’est consacré ce projet, gageant qu’un (ré)examen approfondi des notions de « spectacle « , de ? performance ?, de ? théâtralité ?, de ? scénographie ?, de ? rôle ? ou de ? mise en scène ? nous permettra de mieux comprendre les modalités et les enjeux de l’émergence, en Europe, de ce qu’on pourrait nommer une » première société du spectacle ». S’y affirme avec une acuité particulière la conscience que la vie sociale relève du spectacle, non pas dans le sens commun et complètement erroné de simulacre et de leurre, mais dans celui d’une fonctionnalité essentielle. Ce qui avait pu sembler ne constituer qu’une comparaison s’affirme alors comme une équivalence « « All the world’s a stage », comme le faisait dire Shakespeare à un personnage de As You Like It à l’aube du XVIIe siècle » qui mène d’abord à une conception spéculaire du theatrum mundi, où monde et théâtre sont envisagés dans un parfait rapport d’homologie, puis à une démarche analytique où le monde, pouvant être expliqué par le théâtre, peut (et doit) être régi comme un spectacle. Cette société érige ainsi en principe le constat que dressera bien plus tard le sociologue Erving Goffman, qui remarque dans une étude qui fit date : « La vie elle-même est quelque chose qui se déroule de manière dramatique. Le monde entier n’est pas une scène, bien sûr, mais il n’est pas facile de spécifier les aspects cruciaux qui font qu’il ne l’est pas . »
L’hypothèse de ce volume est donc que c’est précisément au XVIIIe siècle qu’est clairement perçue la nature performative des actes même les plus banals de la vie quotidienne. L’ouvrage, réunissant des chercheurs de différentes nationalités et disciplines (histoire, sciences sociales, histoire de l’art, études théâtrales, Performance studies, littérature?), sera par conséquent consacré d’abord à la théâtralité des rites sociaux et culturels ; ensuite à la mise en spectacle de la vie tant privée que publique ; enfin à leurs représentations (peinture, témoignage, presse périodique, littérature, arts décoratifs’).
Le volume privilégiera, sans s’y limiter, les pistes de recherche suivantes :
– Expressions du spectaculaire : hybridation des formes ; porosité des pratiques ; production et surtout, réception de la performance, envisagée à travers ses effets induits, voire de phénomènes liés à la spectation sans rapport de cause à effet avec la performance (tels que les stage riots en Angleterre) ;
– Manifestations de l’événement-spectacle, envisagées dans leur dimension intrinsèque, et non comme de simples traces des spectacles qui les ont inspirées : textes, images, objets matériels et produits dérivés (éventails, pare-feux, panneaux, lanternes magiques, porcelaines illustrées par des scènes de théâtre) ;
– Théâtralisation de l’activité sociale et culturelle, depuis l’ostentation des « grands « , notamment à travers la ? culture des apparences ? et les stratégies de positionnement médiatiques, jusqu’à l’exhibition des ? invisibles » ou populations habituellement reléguées aux marges de la représentation officielle à travers une » culture des choses banales ? (Daniel Roche) ;
– Scénographie et scénarisation des événements publics au sein d’une politique-spectacle tels que les exécutions (Cartouche, Mandrin, Damiens), les entrées royales ou encore, les grandes liturgies d’un « Roi-machine » (mariage, mort, discours) ;
Création et/ou développement de nouvelles formes de spectacle telles que les Vauxhalls (précurseurs de nos « parcs d’attraction »), le cirque moderne, les diverses attractions « foraines » qui s’émancipent de la foire, que l’on retrouvera bien plus tard au music-hall et au café-concert par exemple.
En revanche, nous ne retiendrons aucune proposition portant sur l’art dramatique proprement dit, qu’il s’agisse de sa dimension littéraire ou des pratiques scéniques.
Calendrier :
Date limite de remise des propositions : 15 Septembre 2015.
Date limite de remise des articles pour soumission : 1er Février 2016.
Expertises, relectures, navettes avec les contributeurs : Printemps 2016.
Remise du manuscrit définitif à l’éditeur : Automne 2016.
Sortie du volume : Printemps 2017.
Recommandations éditoriales :
Les articles retenus ne devront pas dépasser 30 000 signes maximum, afin de permettre une diversité de contributions, tout en respectant le format de la revue.
Ils seront accompagnés d’un résumé de 5 lignes, en français et en anglais.
Les illustrations seront les bienvenues, mais les auteurs devront tenir compte de la question des droits de reproduction, qui ne peuvent être pris en charge par Dix-Huitième Siècle.
Prière d’envoyer vos propositions de contribution, d’un format maximum de 2 500 signes, avec une courte notice bio-bibliographique de 500 signes, avant le 30 septembre 2015, aux coordinateurs du dossier :
Martial Poirson (martial.poirson@yahoo.fr) et Guy Spielmann (spielmag@georgetown.edu)