Si l’oeuvre de Sade ne cesse d’interroger la critique « en témoignent les deux récents essais d’Éric Marty, Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux, Seuil, 2011 et de Franck Secka, Sade up, Le Rouergue, 2011 », fascinée par son univers fantasmatique, la question des femmes reste le point obscur de l’analyse sadienne. La violence systématiquement infligée aux héroïnes féminines, jointe à la gloire solaire du libertinage de Juliette, « femme unique en son genre » (Oeuvres, III, Gallimard, 1998, p. 1261), impose le voile d’une inévitable sexualisation de la lectrice. Qualifiée de « choc pulsionnel » dans l’étude fondatrice de Lucienne Frappier-Mazur (Sade et l’écriture de l’orgie, Nathan, 1991, p. 109), cette passion, où l’admiration se conjugue au rejet, défie la réflexion critique et l’expose au double piège de la surenchère ou du silence.
Incarnée par le féminisme virulent des années 1970, la première tendance, illustrée notamment par La Femme sadienne d’Angela Carter (Virago, trad. Henri Veyrier, 1979), dénonce l’insupportable tyrannie de la force dans l’univers de Sade. Écartelées entre la vulnérabilité d’une féminité traditionnelle, qui les désigne comme victimes, et leur consentement à la loi despotique, qui leur confère la puissance au prix du reniement de soi, les héroïnes constatent leur impossible insertion « dans un monde d’hommes » (p. 147). Manichéen, dominé par le désir et l’autorité masculines, le monde sadien offrirait aux femmes la seule légitimité du travestissement ou de l’endurcissement moral. Cette impasse, lorsqu’elle est contournée par les approches structuralistes, n’en substitue pas moins à l’impossible féminin sa douloureuse restitution sur la scène de la cruauté : « cacher la femme », pour reprendre le titre de Roland Barthes (Sade, Fourier, Loyola, Seuil, 1971, p. 127), souligne la nécessité d’une persistance féminine, seule capable d’alimenter le fantasme libertin de la « transgression » (p. 128). Être pour souffrir ou ne plus être pour faire souffrir, tel semble le dilemme réservé aux personnages féminins. Il détermine l’axe historiquement binaire des analyses de la question : du manifeste libérateur exhumé par Apollinaire (? Le marquis de Sade (?) avait sur la femme des idées particulières et la voulait aussi libre que l’homme ?, L’Oeuvre du Marquis de Sade, Bibliothèque des curieux, 1912, p. 17) à la question polémique lancée par Simone de Beauvoir (« Faut-il brûler Sade ? », Privilèges, Gallimard, 1955), la violence traverse l’espace critique et somme les femmes qui s’y aventurent de choisir, à leur tour, entre Justine et Juliette.
Plusieurs études récentes ont heureusement permis de dépasser ces clivages passionnés. Outre qu’elles manifestent le déploiement d’une parole féminine affranchie des systèmes ? les études pionnières de Lucienne Frappier-Mazur, Béatrice Didier, Chantal Thomas et Annie Le Brun côtoient les essais (Marta Zajac, The Feminine of Difference. G. Deleuze, H. Cixous and Contemporary Critique of the Marquis de Sade, Peter Lang, 2002) et les semi-fictions (Noëlle Châtelet, Entretien avec le Marquis de Sade, Stock, 2011) « , elles témoignent d’un renouvellement des perspectives sous l’impulsion des études de « genre ?. En se demandant : ? Pourquoi Juliette est-elle une femme » » (On n’enchaîne pas les volcans, Gallimard, 2006, p. 127), Annie Le Brun souligne la complexité de la féminité sadienne : tient-elle au corps et à la sexualité, ou offre-t-elle un paradigme où construire, au fil des textes, la réflexion sur la liberté « Michel Delon soulevait déjà, en 1980, la question pionnière du ? prétexte anatomique » (Dix-huitième siècle, n’12, 1980, p. 35-49). Affranchis des déterminismes biologiques, le féminin et le masculin ne brouilleraient-ils pas les prérogatives en invitant à lire l’oeuvre de Sade comme un possible théâtre de la confusion, sinon de l’inversion des genres « De telles orientations requièrent d’envisager aujourd’hui la relation entre Sade et les femmes ? ailleurs et autrement », pour reprendre le titre du dernier essai d’Annie Le Brun (Gallimard, 2011).
Différents corpus peuvent être envisagés : l’oeuvre romanesque, mais aussi le théâtre et la correspondance, ainsi que les analyses critiques. Il s’agit, dans ce volume, de croiser la représentation des femmes, leur inscription dans le champ philosophique, la question du féminin et la problématique de l’ « effet de lecture ».
Les propositions de communication, accompagnées d’un résumé d’une dizaine de lignes, sont à envoyer avant le 1er mars 2012 à Anne Coudreuse : anne.coudreuse@orange.fr et Stéphanie Genand : stephanie.genand@univ-rouen.fr. Les articles devront nous parvenir, une fois acceptés, le 1er mars 2012. Ce numéro d’Itinéraires sera publié entièrement en ligne, sur le site www.revues.org.