Sylvie STEINBERG
Paris, Fayard, 2001
Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, le personnage du travesti traverse la littérature, hante les scènes de théâtre, court les fêtes de village, les révoltes même, et s’introduit dans les divertissements de cour. Ici, ce sont essentiellement des destinées individuelles d’hommes et surtout de femmes, connus ou anonymes, qui sont retracés. Le travestissement est un crime sous l’Ancien Régime. Il est transgressif, y compris au regard de la loi divine (Deutéronome XXII, 5), mais il ne procède pas systématiquement à un retournement des valeurs communément admises. Si les hommes se dégradent en se travestissant, c’est qu’ils dérogent à la «perfection» de leur sexe. En revanche, les femmes trouvent aisément des justifications dans l’exemple de figures réelles ou imaginaires : saintes travesties, héroïne de romans ou de contes populaires leur offrent des modèles positifs. Le travestissement masque le corps et bouleverse les signes qui sont ordinairement attachés au vêtement, au comportement émotif, aux «habitudes du corps»: il révèle a contrario un véritable système de représentation des différences corporelles que les traités de médecine et de physiognomonie formalisent. Mais ces représentations renvoient aussi à des modes de conceptualisation des notions de sexe et de genre. Le travestissement revendicatif et guerrier des femmes durant deux périodes-clefs, le temps des guerres civiles (des guerres de religion à la Fronde) et les débuts de la Révolution française, et les débats qui lui sont contemporains, font apparaître un changement essentiel : à un mode de représentation fondé sur le sang succède une conception de l’espèce humaine où l’accent est mis sur l’égalité entre les hommes et, paradoxalement, sur l’inégalité entre les sexes au nom de la perfectibilité de la «Nature» humaine.