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Antoinette-Thérèse Deshoulières

Notice de Nathalie Grande, 2025

Fille de la célèbre poétesse Antoinette du Ligier de la Garde (1638-1694) et de son époux, Guillaume Deshoulières (1621-1693), Antoinette-Thérèse naît en mai 1656 à Rocroi, ville des Ardennes dont son père est le gouverneur. C’est le premier enfant du couple, marié depuis 1651, mais aussitôt séparé, peut-être en raison du jeune âge d’Antoinette, mariée à 13 ans, mais surtout parce que l’époux doit suivre Condé dans ses campagnes militaires.

On ne sait pas si Antoinette-Thérèse a connu avec ses parents la prison quand Condé, qui soupçonnait le couple de lui préférer le roi, les a retenus prisonniers dans la forteresse de Vilvorde. Mais quand ils s’évadent en août 1657 et regagnent Paris, elle est avec eux. Tandis que son père, qui a obtenu le pardon du roi, doit repartir pour œuvrer en particulier aux fortifications du royaume, Antoinette-Thérèse reste à Paris avec sa mère, qui s’installe dans le quartier du Marais et commence à avoir une vie mondaine intense et à se faire connaître par sa plume. C’est cette mère d’exception qui éduque sa fille, à qui elle transmet sa culture et son goût pour les vers. Elle rencontre ainsi de grands noms qui fréquentent le cercle animé par sa mère (Corneille, Benserade, Esprit Fléchier…) et commence à composer des vers, pratiquant comme elle une variété de genres poétiques : madrigaux, réflexions, airs, stances, épîtres, hymnes notamment, et même une épigramme en vers latins. Certains de ses airs, publiés par le Mercure Galant, sont mis en musique. Elle est aussi l’autrice de l’ode sur « le soin que prend le Roi de l’éducation de la Noblesse », qui paraît d’abord dans le Mercure Galant (octobre 1687) remporte le prix de poésie de l’Académie française en 1687 et y est lue le 25 août 1687, avant d’être republiée dans le cadre du premier recueil de Poésies que sa mère publie en 1688, où elle figure en dernière place. Elle a aussi l’honneur de voir une de ses églogues publiée par l’imprimerie royale. Mais, esprit libre comme sa mère, Antoinette-Thérèse écrit aussi la même année une parodie de tragédie intitulée La Mort de Cochon, chien de M. le Maréchal de Vivonne, qui raconte les affres de son chat Mimy, amoureux fou de Grisette, chatte de sa mère, laquelle n’a d’yeux que pour le chien Cochon. La tonalité burlesque et les protagonistes animaliers s’inscrivent dans la continuité de la poésie animalière de sa mère, qui a circulé dans les salons au même moment.

Cette proximité d’inspiration s’ajoute à une communauté de vie. Antoinette-Thérèse reste toute sa vie auprès de sa mère, ne se marie pas, et s’occupe de la soigner lors d’une longue maladie. Après son décès, elle collecte ses poésies pour éditer le second volume des Poésies de Madame Deshoulières (Paris, J. Villette, 1693-1695). Elle lui rend dans sa préface un hommage touchant : « Que ne m’est-il permis dans cette occasion d’oublier pour quelques moments que je suis la fille de Madame Deshoulières, mon cœur plein d’admiration pour ce qui nous reste d’elle, me fournirait en lui rendant justice, la seule consolation que je puis trouver dans ma douleur ». Elle joint ses propres poésies à celles de sa mère, et s’en explique dans sa préface : « On s’étonnera peut-être de ce que j’ose mettre le peu d’Ouvrages que j’ai faits avec ceux de ma mère, ma témérité est grande, je l’avoue, mais quand dans cette occasion, je cède au sentiment de mes amis, je ne fais que suivre l’intention qu’elle avait de joindre dans un second Volume mes Ouvrages aux siens ». Pour autant, elle ne met que le nom de sa mère en page de titre, et c’est seulement à partir de 1708, dans une édition parue à l’étranger (Bruxelles, F. Foppens) que « Madame et Mademoiselle Deshoulières » sont associées sur la page de titre. La continuité entre les deux trajectoires se vérifie aussi à l’académie des Ricovrati de Padoue, où elle est reçue en 1699 (sa mère l’avait été en 1684). C’est encore elle qui fait graver le portrait de sa mère par Van Schupen, sur un dessin de Sophie Chéron. Se retrouvant seule, ayant perdu en l’espace de deux ans, père, mère et frère, elle reçoit de Louis XIV une petite pension et continue de temps à autre à composer des pièces de circonstance. Atteinte d’un cancer du sein comme sa mère, elle s’éteint à Paris à l’âge de 59 ans.

Si Mme Deshoulières bénéficie d’un regain d’intérêt depuis l’édition de ses Poésies (éd. Sophie Tonolo, 2010) et sa mise au programme de l’agrégation de Lettres 2026, sa fille reste, comme sa vie durant, dans son ombre. Elles donnent cependant toutes les deux l’exemple précieux d’une connivence et d’une collaboration littéraire mère-fille, à la manière des dames Des Roches un siècle plus tôt.

Œuvres
  • Ode « Le soin que le Roi prend de l’éducation de sa noblesse dans ses Places et dans Saint-Cyr », dans Poésies de Madame Deshoulières, Paris, Veuve de S. Marbre-Cramoisy, 1688, p. 214.
  • Églogue de Mlle Deshoulières, Paris, Imprimerie royale, s.d. (in-4°, 2 p.)
  • Poésies de Madame Deshoulières, Paris, J. Villette, 1693, 1e partie.
  • Poésies de Madame Deshoulières, Paris, J. Villette, 1695, 2e partie.
  • Œuvres de Mademoiselle Deshoulières dans Oeuvres de Madame et Mademoiselle Deshoulières. Nouvelle édition, augmentée de leur Eloge historique, et de plusieurs pièces, qui n’avoient pas encore été imprimées, Paris, Veuve Brocas, 1747, t. II p. 221-340. La Mort de Cochon y figure p. 257-268.
  • Antoinette Deshoulières, L’Enchantement des chagrins. Poésies complètes, Paris, Barillat, 2005. Conformément à la tradition, les poèmes d’Antoinette-Thérèse Deshoulières (96 en tout) sont dans cette édition mêlés à ceux de sa mère. On peut les repérer car ils sont suivis d’un astérisque dans la table alphabétique des incipit.
Choix bibliographique
  • Privitera, Joseph F. « Mlle Deshoulières as a Parodist », The French Review, vol. 13, n°. 6, 1940, p. 492–495. En ligne sur JSTOR, http://www.jstor.org/stable/380814
Réceptions
  • « Les bruits qui ont couru sur l’Ode suivante, qui a remporté le prix de Poésie cette année à l’Académie, m’ont obligée à la faire imprimer à la fin de mes Ouvrages, pour avoir l’occasion de désabuser le public des impressions qu’on lui en a voulu donner : elle est entièrement de ma Fille, et je n’en ai de part que les avis que je lui ai donnés, qu’elle m’a demandé comme à une amie ; ce que je ne doute pas que les autres qui ont concouru avec elle n’aient fait, s’ils ont eu des amis », avis sur l’ode « Le soin que le Roi prend de l’éducation de sa noblesse dans ses Places et dans Saint-Cyr », Poésies de Madame Deshoulières, Paris, Veuve de S. Marbre-Cramoisy, 1688, p. 214.

Vous à qui du Destin les bontés singulières
Ont accordé les dons du corps & de l’esprit,
Voyez ce que d’Erinne autrefois on a dit.
Erinne de ce siècle, aimable Deshoulières,
Laissez à la Beauté qui vous donna le jour
Célébrer les Héros par de nombreux Ouvrages ;
Contentez-vous d’écrire quelques pages
D’une des plumes de l’Amour.

François Charpentier, « Madrigal de M. Charpentier, en lui envoyant deux épigrammes sur Erinne, traduites du I. et III. livre de l’Anthologie », dans Œuvres de Madame et de Mademoiselle Deshoulières. Nouvelle édition, 2 tomes, Paris, chez Prault fils, 1747, t. II, p. 269. Le poème date des années 1690, mais est publié seulement en 1747.

  • « Leurs œuvres se répondent. Leurs vies sont étroitement mêlées. L’existence de la fille comme femme et comme poétesse, semble un ultime et mélancolique soubresaut de celle de sa mère », C. Hémon-Fabre et P. E Leroy, dans Antoinette Deshoulières, L’Enchantement des chagrins. Poésies complètes, Paris, Barillat, 2005, p. VI.
  • « La présentation en miroir était certes parlante d’un point de vue mondain et non dénuée de signification ; on retrouvait là un séduisant duo de mère et de fille comme l’histoire littéraire a su en produire. Mais elle était aussi réductrice pour l’auteur qu’est Mme Deshoulières, dont l’œuvre est autrement plus variée et esthétiquement aboutie. », Sophie Tonolo, introduction à Antoinette Deshoulières, Poésies, éd. Sophie Tonolo, Paris, Classiques Garnier, [2010] 2025, p. 81.
Biographie
  • Date de naissance
    31 mai 1659
  • Date de décès
    8 août 1718
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