Anne-Marguerite Petit Dunoyer, Lettres historiques et galantes de deux dames de condition dont l’une était à Paris et l’autre en Province, éd. Nancy M. O’Connor, Rennes, PUR, collection Mémoire commune, 2012, 431 p., ISBN 978-2-7535-1742-4, 22?
Tour à tour badines, sérieuses, ironiques, événementielles, irrévérencieuses, les Lettres historiques et galantes de Mme Dunoyer sont faites pour distraire, mais aussi pour véhiculer un message de bon sens, de tolérance, et de compassion. Véritable « anatomie de la France » à la fin du règne de Louis XIV et au tout début de la Régence, les Lettres nous permettent de nous immiscer dans le climat d’opinion qui caractérisera les premières années du siècle des Lumières. Anne-Marguerite Petit Dunoyer (1663-1719), née à Nîmes d’une famille bourgeoise protestante, se réfugie en Hollande après la révocation de l’édit de Nantes puis, de retour en France, renonce à sa foi en épousant un catholique qu’elle suivra dans ses postes et périples dans le Midi. Désabusée, elle fuira de nouveau la France en 1701 et finira par s’installer définitivement près de La Haye, où elle écrira ses Mémoires, deviendra une des premières femmes journalistes, et publiera les Lettres historiques et galantes.
Vraie-fausse correspondance écrite sur le ton spontané et parfois décousu de la conversation, les Lettres mêlent autobiographie légèrement voilée, nouvelles du jour, littérature de voyage, anecdotes amusantes ou scandaleuses de la Cour et de la province, comptes rendus de grands tournants historiques, critique sociale et politique. Le statut de la lettre, destinée en principe à être lue par un destinataire privilégié, autorise les remarques subversives ; le rapport ambigu entre réalité et fiction estompe tant soit peu les critiques les plus acerbes ; et la publication à La Haye protège l’auteure de toute poursuite par ceux qui lui servent de cibles.
Dès la parution du premier tome les lecteurs aussi bien en France qu’à l’étranger s’arrachent l’ouvrage : les Lettres historiques et galantes seront un des grands succès de librairie du XVIIIe siècle. Les lecteurs d’aujourd’hui y trouveront le témoignage à la fois divertissant et provoquant qu’une femme hors du commun porte sur une période charnière de l’histoire de la France et de l’Europe.
N. O’Connor est professeure émérite de langue et de littérature françaises à Middlebury College (Vermont, É.-U.A.).