Louise d’Épinay, femme de « lettres ». Épistolarité, récit et roman
Paris/Montmorency (8-9 novembre 2023), avant le 15 décembre 2022

Colloque international

Université Paris Nanterre et Musée Montmorency

Louise-Florence-Tardieu d’Esclavelle de Lalive d’Épinay fait partie de ces femmes du XVIIIe siècle dont les relations et amitiés philosophiques – avec Rousseau, Grimm et Diderot, tout particulièrement – ont occulté les œuvres dans l’histoire de la littérature telle qu’elle s’est longuement construite. Le parcours éditorial du volumineux roman à clés, à la fois épistolaire et diaristique, qu’a laissé Louise d’Épinay à l’état de manuscrit à sa mort est en ce sens fort éloquent.

D’abord publié en tant que Mémoires, en 1818, il fut longtemps lu comme un document autobiographique, jusqu’à ce que l’édition intégrale procurée par Georges Roth, en 1951, ne révèle l’ampleur réelle de cette œuvre, ainsi que les noms des personnages imaginés par l’autrice que l’on avait remplacés, pendant plus d’un siècle, par ceux des personnes réelles les lui ayant inspirés. Intitulé Histoire de madame de Rambrure à un certain moment pendant sa conception, ce texte a été présenté au public de façon posthume comme les Mémoires et correspondance de madame d’Épinay (1818), puis édité en entier en tant que Pseudo-Mémoires de madame d’Épinay sous le titre Histoire de madame de Montbrillant (1951), pour enfin paraître en format poche sous celui de Contre-Confessions (1989) par sa dernière éditrice, Élisabeth Badinter[1]. Bien que le statut partiellement fictionnel de cette œuvre soit désormais reconnu, il n’en demeure pas moins que sa teneur littéraire a souvent été oblitérée par les querelles partisanes et par l’essence biographique qu’on se contente souvent d’y puiser. Pourtant, comme le suggérait déjà Henri Coulet en 1967 dans Le Roman jusqu’à la Révolution, il est impératif de la relire comme fiction pour en apprécier l’originalité.

Grâce aux fertiles recherches conduites ces dernières décennies sur les éducatrices des Lumières, sur les femmes et la philosophie, ou sur leur participation aux périodiques littéraires, la variété et la richesse des œuvres de Louise d’Épinay nous sont de mieux en mieux révélées. L’édition critique des Conversations d’Émilie procurée par Rosena Davison, en 1996, a pavé la voie à de nombreux travaux sur ses contributions pédagogiques, notamment ceux de Sonia Cherrad et de Jeanne Chiron[2]. L’inventaire de la Correspondance littéraire de Friedrich-Melchior Grimm et de Jacques-Henri Meister (1753-1813), procuré par Jeanne Carriat et Ulla Kölving (1984), puis l’édition critique des années 1753 à 1773, dirigée par cette dernière et dont les volumes paraissent régulièrement depuis 2006[3], ont montré l’importance et la constante présence de Louise d’Épinay dans cette vaste entreprise. C’est dans ce sillage que s’inscrivent les recherches de Mélinda Caron, qui s’est également penchée sur la correspondance de Louise d’Épinay et l’abbé Ferdinando Galiani à laquelle nous avons accès grâce à l’édition complète de Daniel Maggetti et Georges Dulac (1992-1995)[4]. D’autres travaux, par exemple sur l’amateurisme lettré et les épistolières, ont aussi amené différents chercheurs à se pencher sur cette correspondance[5].

De son côté, l’Histoire de madame de Montbrillant a donné lieu à une première thèse soutenue en 2005[6], et l’idée de rééditer cette œuvre a émergé, sans suite à ce jour. La réflexion lancée autour de l’hybridation des formes romanesques par un article de Colette Cazenobe a été poursuivie par Andrzej Rabsztyn[7]. Enfin, dans un ouvrage à paraître, Pierre Chartier tente de retrouver la voix de Diderot en examinant les différentes parties du manuscrit en notre possession. Quoiqu’autrice de nombreux récits, aussi bien sous forme de lettres, de conversations, de dialogues, de contes ou de journal intime, le statut de conteuse ou de romancière n’est pas spontanément conféré à Louise d’Épinay. Aussi l’enquête demeure-t-elle ouverte et riche de promesses, et l’heure des mises en commun semble-t-elle venue.

Dans la continuité des colloques internationaux qui se sont respectivement tenus à Nice, en 2006, sur « Mme d’Épinay écrivain-philosophe des Lumières » à l’initiative de Jacques Domenech, et à Nanterre, en 2017, sur le thème « Femmes et philosophie des Lumières » proposé par Laurence Vanoflen[8], nous souhaitons à présent nous pencher sur les pratiques littéraires de Louise d’Épinay, autrice, créatrice et femme de lettres, notamment à partir des multiples questions que soulève l’Histoire de madame de Montbrillant.

Nous proposons de réunir des chercheuses et des chercheurs de différents horizons autour des pistes de réflexion suivantes :

  • l’exploration de la frontière entre le fictionnel et le biographique, éventuellement à la lumière de nouveaux documents ou par l’investigation du personnel romanesque de l’Histoire de madame de Montbrillant;
  • l’étude de l’hybridation générique ou de l’intergénéricité des écrits de Louise d’Épinay grâce à l’apport des recherches esthétiques contemporaines ;
  • une enquête sur les dynamiques d’échange ayant fortement prévalu dans le milieu de Louise d’Épinay afin de dégager ses productions du filtre de l’influence – forcément inducteur de hiérarchie – à partir duquel on les a longtemps et abondamment approchées ;
  • l’examen de la notion de public en regard des pratiques de sociabilité de l’époque aussi bien que des canaux de diffusion privilégiés par le milieu auquel appartenait Louise d’Épinay (celui des abonnés de la Correspondance littéraire, par exemple, ou encore du cercle étroit des complices amitiés) ;
  • l’analyse de la circulation et des dynamiques de transfert ayant marqué la reprise ou la réécriture de certains textes au sein des ensembles – ouverts, perméables, poreux – que constituent l’Histoire de madame de MontbrillantLes Conversations d’ÉmilieMes moments heureux, les Lettres à mon fils et la Correspondance littéraire de Grimm et Meister.

Ce colloque international se tiendra les mercredi 8 et jeudi 9 novembre 2023 à l’Université Paris-Nanterre ainsi qu’au Musée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency, dans le voisinage du château de La Chevrette où a résidé Louise d’Épinay.

Les propositions de communication, d’environ 500 mots, devront parvenir aux trois organisatrices avant le 15 décembre 2022 aux adresses électroniques suivantes :

La publication d’un volume collectif soumis à l’évaluation par les pairs est prévue à l’issue du colloque.

Comité scientifique : Mélinda Caron ; Pierre Chartier (Université Paris Diderot) ; Stéphanie Genand (Université Paris-Est Créteil) ; Ulla Kölving (Centre international d’étude du XVIIIe siècle) ; Florence Lotterie (Université Paris Cité) ; Christophe Martin (Sorbonne Université) ; Benoît Melançon (Université de Montréal) ; Odile Richard ; Laurence Vanoflen.

 

[1] Mémoires et correspondance de madame d’Épinay, précédés d’une étude sur sa vie et ses œuvres, éd. Jean-Pierre Parison, Paris, Brunet, 1818 ; Les Pseudo-Mémoires de madame d’Épinay. Histoire de madame de Montbrillant, éd. Georges Roth, Paris, Gallimard, 1951 ; Les Contre-Confessions. Histoire de madame de Montbrillant, notes de Georges Roth revues par Élisabeth Badiner, Paris, Mercure de France, 1989.

[2] Louise d’Épinay, Les Conversations d’Émilie, éd. Rosena Davison, Oxford, Voltaire Foundation, « Studies on Voltaire and the Eighteenth Century », 342, 1996 ; Sonia Cherrad, Le Discours pédagogique féminin au temps des Lumières, Oxford, Voltaire Foundation, « Oxford University Studies in the Enlightenment », 2015:01, 2015 ; Jeanne Chiron, « Le dialogue éducatif des Lumières : innovations, permanences et fantasmes (1754-1804) », thèse de doctorat, Université Paris Est, 2016.

[3] Jeanne Carriat et Ulla Kölving, Inventaire de la Correspondance littéraire de Grimm et Meister, Oxford, The Voltaire Foundation, « Studies on Voltaire and the Eighteenth Century », 225-227, 1984 ; Friedrich Melchior Grimm, Correspondance littéraire (1753-1773), éd. Ulla Kölving, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIsiècle, 2006-.

[4] Mélinda Caron, Écriture et vie de société. Les Correspondances littéraires de Louise d’Épinay (1755-1783), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2017 ; Louise d’Épinay et Ferdinando Galiani, Correspondance (1769-1782), éd. Daniel Maggetti en coll. avec Georges Dulac, Paris, Desjonquères, « XVIIIe siècle », 1992-1995.

[5] Voir notamment Bénédicte Peralez-Peslier, « La littérature et son public d’amateurs au XVIIIe siècle : contribution des correspondances féminines », Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, 2015.

[6] La thèse d’Odette David a été publiée sous le titre L’Autobiographie de convenance de madame d’Épinay écrivain-philosophe des Lumières. Subversion idéologique et formelle de l’écriture de soi, Paris, L’Harmattan, 2007. En littérature comparée, Jérémie Grangé a publié la sienne, La Destruction des genres, Jane Austen et madame d’Épinay, Paris, Honoré Champion, « Bibliothèque de Littérature générale et comparée », 123, 2014. Une thèse a également été soutenue à l’University of Chicago en 2018 par Rebecca Ann Crisafulli : « Sincerity and Social Transformation in the Work of Louise d’Épinay ».

[7] Colette Cazenobe, « L’Histoire de madame de Montbrillant : un laboratoire de formes romanesques », RHLF 2 (mars-avril 1996) ; Andrzej Rabsztyn, L’Hybridité du roman français à la première personne (1789-1820), Katowice, Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego, 2017, p. 229-245. Signalons aussi la contribution de Cécile Cavaillac, « Audaces et inhibitions d’une romancière au XVIIIe siècle : le cas de madame d’Épinay », Revue d’histoire littéraire de France 104, 4 (2004), p. 887-904. 

[8] Jacques Domenech (dir.), L’Œuvre de madame d’Épinay, écrivain-philosophe des Lumières, Actes du premier colloque international consacré à Louise d’Épinay, Paris, L’Harmattan, « Thyrse », 1, 2010 ; Laurence Vanoflen (dir.), Femmes et philosophie des Lumières. De l’imaginaire à la vie des idées, Paris, Classiques Garnier, « Masculin/Féminin dans l’Europe moderne », 26, 2020.