Les reconversions sociales dans l’Europe de la Révolution française et dans ses colonies
Clermont-Ferrand (19-20 oct. 2023), avant le 31 déc. 2022

MSH – Clermont-Ferrand

Les révolutions ont profondément marqué les sociétés européennes à partir des années 1780. Remettant en cause l’ordre politique qui caractérisait ce que la postérité retiendra sous le nom d’« Ancien Régime », elles en ont aussi durablement bouleversé, mais différemment selon les périodes et les espaces, l’ordre social. En quoi les révolutions sont-elles des accélérateurs de ce grand maelström social que nous souhaitons étudier sur deux générations pour mieux en mesurer les héritages immédiats ? Quelle est la réalité de la fluidité sociale, les possibilités et les limites des reconversions ?

Argumentaire

Les révolutions ont profondément marqué les sociétés européennes à partir des années 1780. Remettant en cause l’ordre politique qui caractérisait ce que la postérité retiendra sous le nom d’ « Ancien Régime », elles en ont aussi durablement bouleversé, mais différemment selon les périodes et les espaces, l’ordre social. La remise en cause des Églises, les exils choisis ou forcés, les procès politiques, les guerres ont créé contraintes et attentes dans une Europe occidentale marquée par les occupations françaises. La force des événements, la vente des biens nationaux, le redécoupage des frontières, la perte des colonies, l’installation de nouvelles administrations ont rendu difficiles les retours en arrière jusqu’à la Restauration et au-delà. La réinvention des systèmes scolaires, la libéralisation des économies, les fonctions électives, la disparition ou la reconfiguration du monde académique, les projets communautaires ont créé de nouveaux horizons d’attente. Les notions d’utilité publique, de mérite, la sanctification du travail, la philanthropie, les luttes pour l’égalité ont modifié les critères de la reconnaissance sociale. Pour autant, si l’imagerie a souvent mis en avant les refoulés des temps caduques et les parvenus des temps nouveaux, des puissances demeurent et se sont adaptées, fondées sur la propriété foncière (dont la répartition est en partie rebattue par la vente des biens nationaux), l’industrie, la banque, le patronat artisanal, riches de leurs parentèles et de leurs clientèles. Les identités ne sont pas toutes définitivement perdues ou redéfinies, loin s’en faut. Elles perdurent dans le traditionalisme qui motive les hérauts de la réaction, dans la cohabitation des élites des régimes successifs, dans le maintien de professions anciennes (notamment dans le domaine du droit, du notariat) ou se réinventent à minima en s’adaptant aux nouvelles lois.

En quoi les révolutions sont-elles des accélérateurs de ce grand maelström social que nous souhaitons étudier sur deux générations pour mieux en mesurer les héritages immédiats ? Quelle est la réalité de la fluidité sociale, les possibilités et les limites des reconversions ? Des musiciens sortis de la protection des chapitres pour servir théâtres et armées aux nobles et planteurs ruinés mettant à profit leurs connaissances du théâtre de société pour monter des troupes professionnelles, des ci-devant investissant par l’intermédiaire de prête-noms ou sous couvert d’anonymat aux fournisseurs des armées peu scrupuleux, des planteurs de Saint-Domingue réinvestissant ce qui leur reste de fortune en Europe ou en Amérique du Nord aux petites mains des théâtres sortant de l’ombre pour fouler la scène, les trajectoires individuelles ne manquent pas pour illustrer le thème. Mais l’on n’omettra pas les soubresauts erratiques, la fragilité des carrières, les situations temporaires ou définitives de déclassement – jusqu’aux affres de la mendicité, de la prostitution.

Peut-on, se penchant sur le tissu social le plus large, distinguer des caractéristiques voisines aux adaptations individuelles, aux dynamiques collectives : poids du moment économique, du militantisme, du savoir, de la langue, des réseaux, de la découverte d’une géographie extra-paroissiale, du goût pour l’aventure, etc. ? Comment se coalisent les espoirs particuliers et communs dans des expéditions (militaires, scientifiques, utopiques) au-delà des frontières nationales ? Sont-ils nombreux à avoir profité d’un séjour contraint à l’étranger pour opérer une reconversion professionnelle, accepté un changement de statut social et les risques de l’échec ? Combien à avoir bénéficié des promotions par l’armée ou à avoir construit un cursus honorum par l’élection  ? Quelles voies empruntent les femmes, quelle place se font-elles dans ce paysage dominé par le masculin ? L’on sait combien les élites issues des révolutions ont majoritairement renvoyé à son enfance pulsionnelle et passionnée un « peuple-enfant » vindicatif et incompris, duquel émergent pourtant des revendications politiques, professionnelles, salariales, identitaires. Comment les nouveaux pouvoirs tiennent-ils compte et acceptent-ils (les encourageant, les dissuadant ou les contrôlant) les mutations à l’œuvre ?

La question des représentations des reconversions réussies, temporaires, ou ratées, est donc essentielle. Il faudra, d’une part, étudier le discours officiel de légitimation des nouvelles situations sociales et dignités nées des révolutions – à l’inverse mesurer les formes et les expressions du mépris et de l’exclusion. D’autre part, il faudra interroger les traces du for privé (journaux, mémoires, correspondances) pour appréhender la conscientisation de leur parcours par les promus et les bannis, par leur famille et leurs proches. Enfin sera mobilisée la transcription picturale, iconographique, littéraire, théâtrale de la mobilité et de l’immobilité sociales. Au-delà de l’égotisme des portraits, que nous apprend-elle des catégories sociales issues de la Révolution, de la ronde des générations ? La hantise de l’incertitude, de l’éphémère, du provisoire, du fragile, la difficulté à lire ou déchiffrer la société, à conjuguer le passé, le présent et l’avenir ne nourrissent-ils pas le moment romantique ?

Les communications privilégieront donc :

  • Les temps, les modalités et les espaces des reconversions professionnelles des hommes et des femmes, de la Révolution française à la Restauration.
  • Les figures du parvenu et du déclassé, des combattants et des militants, de l’héritier et de l’aventurier (ou de l’inventif), replacées dans leur contexte social et politique, dans leur environnement amical et familial.
  • Les héritages générationnels : reproduction sociale, résistances aux changements, naissance de dynasties économiques et politiques.
  • La représentation littéraire et artistique des nouvelles sociétés en gésine.

Ce colloque sera la première partie d’une manifestation en trois temps. Pareilles interrogations seront conduites à l’initiative de Louis Hincker sur les révolutions de 1830 et de 1848, et une table ronde conclusive tentera de distinguer les constantes et les différences entre des périodes marquées par des héritages et des attentes communs, mais aussi par un contexte économique, social et international très différent.

Modalités de soumission

Les propositions de communications sont à envoyer à Philippe Bourdin (Philippe.Bourdin@uca.fr) et à Karine Rance (Karine.Rance@uca.fr)

Comité d’organisation pour l’Université Clermont Auvergne

Philippe Bourdin, Karine Rance, Cyril Triolaire, Louis Hincker

Comité scientifique

  • Michel Biard (Université Rouen Normandie),
  • Jean-Claude Caron (Université Clermont Auvergne),
  • Jean-Luc Chappey (Université Paris I-Panthéon-Sorbonne),
  • Anne Conchon (Université Paris I-Panthéon-Sorbonne),
  • Dominique Godineau (Université Rennes II),
  • Hervé Leuwers (Université de Lille),
  • Antoine Lilti (EHESS),
  • Natalie Petiteau (Université d’Avignon)