Les Âges de la vie de l’aube de la Renaissance au crépuscule des Lumières
Paris (25 juin 2011)

« Quelle est la créature qui marche à quatre pattes le matin, à deux le midi, à trois le soir ?, demande le Sphinx à Oedipe arrivé aux portes de Thèbes. À quoi le héros aux pieds enflés répond : » C’est l’Homme qui au matin de sa vie se déplace à quatre pattes, qui au midi de sa vie marche avec ses deux jambes et qui au soir de sa vie s’aide d’une canne, marchant ainsi sur trois pattes ?. Voici déjà posé, à travers cette fameuse énigme, l’enjeu fondamental que recouvre la question des âges de la vie : la périodisation de l’existence humaine, dès lors perçue comme un long chemin à parcourir, ponctué de seuils et d’étapes qui correspondent à autant de périodes accomplies, identifiables et balisées, ayant chacune leur propre unité organique et dessinant à travers leur succession une évolution graduelle. Issu d’un héritage ancien et mêlé qui ressortit à la fois à l’historiographie, à la morale et à la physiologie, le motif des âges de la vie constitue, à l’instar du memento mori, de la danse macabre, de la roue du Temps et de la Fortune, un lieu fondateur de la méditation sur l’homme et son destin.
La période qui s’étend du début du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe et à laquelle on choisit de limiter ici l’examen ajoute à la complexité intrinsèque de ce topos celle d’un moment de rupture et de tension, où se prolonge à mont la longue tradition antique des âges de la vie et du monde, tandis qu’à val s’annonce un intérêt présenté comme entièrement nouveau pour l’individu et, plus spécifiquement, pour l’enfant. Ce projet de recherche entend dès lors s’inscrire à la suite des travaux auxquels la figure tutélaire de Philippe Ariès a ouvert la voie depuis la parution en 1960 de son ouvrage L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Si la question des âges de la vie, depuis ses origines antiques et médiévales jusqu’à ses prolongements contemporains, a déjà nourri quelques ouvrages critiques au cours des dernières décennies, le traitement de cet objet d’étude au cours de la période moderne demeure à ce jour un domaine moins étudié : restent ainsi à écrire les parties manquantes de ce tracé, en particulier la charnière que constitue cette période, où la lecture symbolique et anthropologique qu’implique le recours aux âges de la vie se trouve concurrencée par la lecture scientifique fondée sur les données sûres de la chronologie qui entend appréhender l’histoire à travers la nouvelle catégorie des époques. Quelle que soit la division opérée à travers le cycle vital (binaire, ternaire, quaternaire), le schéma est appelé tantôt à s’étendre à l’histoire générale de l’humanité tantôt à envelopper le parcours artistique ou littéraire d’une destinée particulière : d’un côté, il permet d’établir échos et parallèles entre le microcosme et le macrocosme (la théorie de l’âme du monde) ; de l’autre, il considère le déploiement d’un éventail marqué par une élévation progressive de l’inspiration, où les humbles travaux du début laissent place à l’oeuvre de la maturité (la roue de Virgile).
Aussi pourra-t-on traiter cette question soit dans le mouvement d’ensemble qu’elle dessine soit à partir de l’un des âges précis mis en exergue et rapporter notamment l’imaginaire des âges de la vie à ses racines bibliques, à ses prolongements humanistes et même à ses correspondances dans la théorie médicale. Quelle que soit la perspective envisagée, il s’agira bien en définitive de comprendre comment le point de vue adopté et les enjeux considérés se déplacent d’un âge de la vie à l’autre et de saisir la manière dont se constituent des régimes temporels distincts, aptes à scander l’existence humaine et à former le coeur de toute culture. Deux lignes de force articuleront les travaux à mener pour parcourir ces trois siècles :
? un axe génétique (vertical), en évaluant la construction progressive et changeante des différentes conceptions des âges de la vie en vue d’opérer une généalogie de cette question ;
? un axe générique (horizontal), en recourant aux divers champs d’application de ce motif : le biais historiographique et biographique qui met aisément en oeuvre ces catégories à travers les histoires générales et les vies particulières, la perspective des travaux des théologiens, des moralistes, des pédagogues et des médecins en quête d’une définition de l’humanité, ou encore le traitement que proposent romanciers, poètes et dramaturges de ce motif. Si l’approche littéraire du phénomène sera privilégiée, ce projet nécessite que l’on envisage également les diverses représentations plastiques qui lui servent à la fois de vecteur et de ressort.
Cette journée d’étude s’adresse en priorité aux jeunes chercheurs. Les propositions de communication doivent être adressées avant le 1er mars 2011 sous la forme d’un résumé (de 300 mots environ), accompagné d’une brève notice bio-bibliographique de l’auteur (nom, prénom, courriel, institution d’appartenance, sujet de thèse, liste des principales publications), à l’adresse électronique suivante : cellf1718.colloque@gmail.com. La journée d’étude se tiendra le 25 juin 2011 à la Maison de la Recherche de l’Université Paris-Sorbonne (à confirmer). Les communications retenues seront mises en ligne sur le site internet du C.E.L.L.F.
Organisateurs : Pauline Decarne et Damien Fortin