Le « portefeuille » sous toutes ses coutures. Archiver et conserver ses documents de travail (années 1680-années 1820)
Nice (21-22 mars 2024), avant le 30 septembre 2023

Université Côte d’Azur, CMMC-MSH Sud-Est

Le stockage des données numériques est au cœur de nos préoccupations depuis une soixantaine d’années. Les technologies se succèdent – disquette, CD-Rom, clé USB, disque dur externe, cloud computing – avec une meilleure capacité de stockage pour répondre à la croissance exponentielle de la production de données numériques. Le nouveau « secteur du numérique » doit aussi répondre à la peur croissante de la perte de données, lorsque les anciens formats de conservation sont frappés d’obsolescence. Pourtant, la question est plus ancienne et mérite d’être mise en perspective sur le temps long. Une inflexion semble notamment s’opérer au XVIIIe siècle où la quantité de documents conservés et donc disponibles, par rapport aux siècles précédents, enregistre une croissance inédite.

Le portefeuille (ou « porte-feuille ») manifeste ce souci de la conservation des documents. Employé depuis le XVIe siècle selon l’Académie française, ce terme désigne encore en 1718 un « carton plié en deux, couvert de peau ou de quelque étoffe, & servant à porter des papiers ». Alors que son usage s’élargit au cours du siècle dans la langue française, le terme n’entre dans les dictionnaires étrangers qu’au début du XIXe siècle, avec des traductions littérales de « porte-feuille » : brieftasche (allemand), portfolio (anglais), portafolio (espagnol) ou encore portafoglio (italien). C’est dans l’espace européen et ses extensions mondiales que le portefeuille sera ici envisagé en tant que support de rangement et de classement des documents personnels, documents connus ou non de ses contemporains, publiés ou non.

Avec l’essor du concept de literacy, la « vie des écrits » (Bertrand, 2015) a animé les récentes études historiques. Le portefeuille pourrait ajouter à ce renouvellement historiographique un outil utilisé dans tous les secteurs de la société – les portefeuilles d’un ministre, d’un négociant, d’un artiste, d’un artisan, d’un homme de lettres, d’un savant, etc. – qui renferme des documents permettant de se rapprocher au plus près du quotidien des acteurs. Brouillons (Ferrand, 2012), prises de notes de lecture (Blair, 2010), lettres (Chapron, Boutier, 2013), imprimés et autres sont des « écrits vivants » (Bertrand, 2015) offrant la possibilité d’écrire une histoire matérielle, culturelle, sociale et politique.

Trois principaux axes ont été retenus pour cette rencontre scientifique afin d’envisager le rôle pris par les portefeuilles dans la société ainsi que l’inflexion des usages et des pratiques entre les années 1680 et les années 1820. Des études de cas seront à privilégier, portant non seulement sur les portefeuilles de figures célèbres mais aussi sur des acteurs plus modestes et méconnus.

1. La formation des portefeuilles

Si une approche matérielle connecte l’historien avec les archives, il s’avère nécessaire de comprendre les usages et la sensibilité des acteurs à leur(s) portefeuille(s) : achat, création, insertion de papiers, extraction momentanée ou définitive, classement, perte, destruction.

– Après l’étape d’acquisition ou de création, la gestion des portefeuilles devient la préoccupation première. Ainsi, le taux de remplissage, les flux d’entrée et de sortie, la méthode de sélection ou de classement des documents sont-ils synonymes d’une bonne ou d’une mauvaise gestion ? Les propriétaires connaissent-ils déjà des problèmes de stockage causés par des trop pleins ou la peur de perdre certains papiers subissant les ravages du temps ? On attachera une importance toute particulière aux lieux de conservation des portefeuilles, tout comme aux conditions de transport. On pourra également envisager les ressemblances et les différences avec les anciennes logiques de conservation institutionnelle et privée.

– La sensibilité des acteurs à des interventions extérieures sur leur(s) portefeuille(s) doit être évoquée, en premier lieu après une destruction, un vol ou une confiscation.

– Le destin des portefeuilles après la disparition de leurs propriétaires, lié aux légataires ou non, mérite également l’intérêt.

– Si le terme de portefeuille est employé et circule avant tout en France, cette singularité doit être considérée tout comme l’appropriation progressive du terme à l’étranger.

2. Au sein des portefeuilles et en dehors

Cet axe s’intéressera plus particulièrement aux documents contenus dans les portefeuilles, associés aussi bien à des réussites que des échecs de leur propriétaire.

– Les portefeuilles reflètent les interrogations générales de leur détenteur. Dans quelle mesure permettent-ils d’en sonder la complexité et les contradictions ? Les brouillons, les prises de notes et autres laissent aussi apparaître la construction d’un projet, avec ses pratiques d’écriture, de collecte de l’information, les filiations intellectuelles ou encore les relations avec les pairs.

– Les documents conservés ne sont pas systématiquement de la même main, suggérant de dessiner le contour du monde de ces scripteurs ou de ces dessinateurs qui insufflent, ou non, un nouvel air sur les productions finales (Benrekassa, 2004).

– La circulation de documents privés dans la République des lettres a été largement prise en compte depuis deux décennies (Chartier, 2005). Il s’agira ici d’étudier les circonstances de la sortie de documents et de leur possible nouvelle entrée dans les portefeuilles. Dans quels réseaux sont-ils diffusés ? Suscitent-t-ils des sociabilités particulières ou des avancées intellectuelles probantes ? Seront envisagés aussi bien les cercles privés que les temps des controverses, où des documents conservés dans des portefeuilles peuvent servir de caution, mais aussi leur édition, fidèle ou non, une fois le propriétaire décédé.

– Le genre littéraire « Portefeuille de », se développant au XVIIIe siècle dans la littérature pédagogique pourra donner lieu à une comparaison avec les portefeuilles, tout comme des périodiques du même nom.

3. Gouverner et exister par les portefeuilles

On pourra ici s’intéresser aux portefeuilles en relation avec les organes du pouvoir, sans oublier le pouvoir accordé à l’individu hors des institutions.

– Les portefeuilles ministériels seront ici au centre des interrogations, sans oublier le rôle des secrétaires et des commis mis en lumière par l’historiographie récente (Schapira, 2020 ; Guerre, 2019). La gestion par les portefeuilles englobe donc tous les ministères mais aussi les institutions officielles, de l’échelle locale à transnationale. Les portefeuilles ont-ils permis une meilleure administration et la possibilité aux scripteurs de devenir des hommes de pouvoir ?

– Les troubles politiques sont aussi animés par la vie des portefeuilles. L’ouverture de ces papiers privés est souvent à l’origine de grandes affaires d’Etat, comme le montre par exemple l’« affaire du portefeuille d’Antraigues », l’espion trahissant Bonaparte (Grandsaignes, 1962). Il s’agit aussi de considérer le secret pesant sur des papiers inconnus des contemporains, source de fascination mais aussi de stimulation pour la production de faux.

– En s’écartant enfin des institutions, on pourra s’interroger sur le pouvoir que l’individu tire de la possession d’un portefeuille (reconnaissance sociale, légitimité…).

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Bibliographie indicative :

Benrekassa Georges, Les manuscrits de Montesquieu : secrétaires, écritures, datations, Naples, Liguori Editore et Oxford, Voltaire Foundation, 2004.

Bertrand Paul, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.

Blair Ann M., Too Much to Know. Managing Scholarly Information before the Modern Age, Yale, Yale University Press, 2010.

Chapron Emmanuelle, Boutier Jean, « Utiliser, Archiver, Éditer. Usages savants de la correspondance en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles », Bibliothèque de l’École des chartes, 171/1 (2013), p. 7-49.

Chartier Roger, Inscrire et effacer : culture écrite et littérature (XIe-XVIIIe siècle), Paris, Gallimard, Le Seuil, 2005.

Ferrand Nathalie (dir.), numéro thématique « Brouillons des Lumières », Genesis. Manuscrits, Recherche, Invention, 34 (2012).

Gardey Delphine, Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.

Grandsaignes R. (de), « L’affaire du portefeuille d’Antraigues », Annales historiques de la Révolution française, 167 (1962), p. 54-69.

Guerre Stéphane, Nicolas Desmaretz (1648-1721) : Le Colbert oublié du Roi Soleil, Paris, Champ Vallon, 2019.

Schapira Nicolas, Maitres et secrétaires (XVIe-XVIIIe siècles). L’exercice du pouvoir dans la France d’Ancien Régime, Paris, Albin Michel, 2020.

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Envoi des propositions

Les propositions formulées en français ou en anglais, langues de ce colloque international, doivent être composées de 1 à 3 000 signes et accompagnées d’une présentation bio-biliographique. Elles seront adressées avant le 30 septembre 2023 par courriel à dolet.simon@gmail.com.

 

Ce colloque scientifique donnera lieu à publication.

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Comité scientifique

Pierre-Yves Beaurepaire-Hernandez (Université Côte d’Azur)

Jean Boutier (EHESS)

Liliane Hilaire-Pérez (EHESS, Université Paris Cité)

Isabelle Laboulais (Université de Strasbourg)

Pietro Daniel Omodeo (Università Ca’ Foscari)