Fortes de corps, d’âme et d’esprit : récits de vie et construction de modèles féminins du XIVe au XVIIIe siècle
Mont-saint-Aignan (4-5 juin 2020), avant le 31 octobre 2019

Colloque international organisé par l’Université de Rouen-Normandie et le CÉRÉdI avec le soutien du LISAA de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et de l’I-SITE FUTURE, avec le marrainage de la SIEFAR

Du jeudi 4 juin au vendredi 5 juin 2020
Campus Mont-Saint-Aignan
Maison de l’Université
Salles des conférences

Comité d’organisation
Ariane Ferry, Stéphane Pouyaud, Sandra Provini, Caroline Trotot

Comité scientifique du projet « La force des femmes »
Éric Avocat (Université d’Osaka, Japon), Anna Bellavitis (Université de Rouen-Normandie), Anne Debrosse (SIEFAR), Diane Desrosiers (Université McGill, Canada), Myriam Dufour-Maître (Université de Rouen-Normandie), Marie Franco (Université de la Sorbonne Nouvelle), Véronique Gély (Université de la Sorbonne), Nathalie Grande (Université de Nantes, SIEFAR), Claudine Poulouin (Université de Rouen-Normandie), Jean-Marie Roulin (Université Jean Monnet, Saint-Étienne).

Comité scientifique du colloque
Jean-Christophe Abramovici (Sorbonne Université), Jean-Claude Arnould (Université de Rouen-Normandie), Cynthia J. Brown (University of California), Jeanne Chiron (Université de Rouen-Normandie), Michèle Clément (Université Lumière Lyon 2), Isabelle Garnier (Université Jean Moulin – Lyon 3), Claire Lechevalier (Université de Caen-Normandie), Véronique Léonard-Roques (Université de Bretagne Occidentale), Catriona Seth (Université d’Oxford – Université de Lorraine), Clothilde Thouret (Université de Lorraine), Éliane Viennot (Université Jean Monnet – IUF).

Appel à communication
Ce colloque, programmé pour juin 2020 par l’Université de Rouen-Normandie et le CÉRÉdI, avec le soutien du LISAA de l’Université Paris Est Marne-la-Vallée, ouvrira le deuxième volet d’un projet intitulé La Force des femmes, hier et aujourd’hui, qui est piloté par le CÉRÉdI et marrainé par la SIEFAR (Société Internationale pour l’Étude des Femmes de l’Ancien Régime). Ce projet consiste en une enquête collective sur les représentations littéraires, théâtrales et cinématographiques de la force féminine – envisagée à travers ses actualisations violentes et inquiétantes (le meurtre, le combat, la torture, l’action terroriste, etc.) et ses actualisations admirables (le courage, la résistance, la ténacité) – et les présupposés idéologiques qui les ont accompagnées à travers les siècles. Le texte cadre du projet est consultable ici. Deux colloques ont déjà eu lieu, ainsi qu’une série de journées d’étude, et bientôt un colloque, dans le cycle « Reines en scènes ».

Les deux premiers colloques, Figures et personnages de criminelles, des histoires tragiques au roman policier (2017) et Le spectacle du crime féminin sur la scène et dans le cinéma européens (2018), ont exploré la face sombre de la force féminine et ses représentations contrastées dans les genres narratifs et sur la scène (théâtre, opéra) et à l’écran. La violence et la criminalité des femmes, tout en étant généralement condamnées, voire rapportées à une forme de monstruosité, peuvent dans certaines représentations être montrées sous l’angle de la réparation d’un tort ou d’une injustice subis ou sous l’angle d’une émancipation par rapport à un cadre contraignant. Quant aux travaux portant sur la criminalisation des femmes, ils ont fait apparaître à quel point les écarts par rapport aux attentes sociales et sexuelles entrent dans la condamnation de celles qui ne se soumettent pas aux assignations de genre et se montrent rebelles à l’ordre patriarcal, leur force, leur volonté d’affirmer un libre choix se retournant contre elles et les poussant parfois sur la voie du crime.

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Nous entrons désormais dans la deuxième phase du projet, qui se concentrera sur les aspects positifs de la force féminine – force du corps, mais aussi force d’âme et d’esprit – et donnera lieu à deux colloques, Fortes de corps, d’âme et d’esprit : récits de vie et construction de modèles féminins du XIVe au XVIIIe siècle (2020) et Figures de femmes fortes (XIXe–XXIe siècles) : nouvelles représentations du courage féminin, nouveaux enjeux (littérature, théâtre, cinéma, documentaire) (2021).

L’enquête, circonscrite aux domaines français et britannique, portera d’abord sur la fin du Moyen Âge et la première modernité, durant laquelle la force peine à trouver sa place parmi les qualités reconnues aux femmes. Cette vertu – qui dans la pensée chrétienne fait partie des quatre vertus cardinales reprises à la typologie platonicienne – est considérée comme l’apanage du masculin : en grec, la vertu d’ἀνδρεία, dont la racine est ἀνήρ, « l’homme fort, dans la force de l’âge », est la vertu virile par excellence, étrangère aux femmes, faibles et passives par nature selon la tradition aristotélicienne relayée par la pensée chrétienne médiévale. L’expression « femme forte », à la fin du Moyen Âge, apparaîtrait presque comme un oxymore.

Pourtant, les textes philogynes composés dans le cadre de la « querelle des femmes[1] » font l’éloge de certains personnages féminins pour leur énergie et leur puissance, y compris l’exercice physique de la force[2], autant d’aspects généralement associés à un usage « viril » de cette vertu. Celle-ci fait aussi l’objet d’un traité de théologie, Le Livre de la femme forte, en 1501 : son auteur, François Le Roy, présente Marie, victorieuse sur « l’ennemy d’enfer », comme modèle de « femme forte » avant de définir la force féminine comme chasteté, c’est-à-dire capacité de résister à la tentation du péché. Outre la force du corps et la force d’âme, celle de l’entendement féminin se trouve aussi mise en avant à la fin du Moyen Âge, par exemple par Christine de Pizan dans la Cité des Dames, comme à la Renaissance par Anne de France dans ses Enseignements (1503-1505), Antoine Dufour dans Les Vies des femmes célèbres (1504) et Symphorien Champier dans La Nef des dames vertueuses (1503) ou encore par Marguerite de Navarre et Marie de Gournay[3].

Durant cette période, la force peut-elle donc entrer dans une liste de vertus féminines au même titre que la prudence ou la chasteté et, si oui, dans quelles acceptions du terme ? Apparaît-elle comme une qualité physique ou/et une vertu morale, une capacité de résistance à l’adversité ou/et une puissance d’action autonome ? Quelles sont les conditions de possibilité de l’exercice de la force féminine : les femmes fortes sont-elles des exceptions à une nature féminine définie par la faiblesse, voire des femmes « dénaturées » ? ou bien la faiblesse physique et intellectuelle des femmes n’est-elle qu’une construction socio-historique et un résultat de leur éducation[4] ? C’est la thèse de Christine de Pizan, selon laquelle si “coustume estoit de mettre les petites filles a l’escole et que suivamment on les feist apprendre les sciences, comme on fait aux filz, qu’elles apprendroient aussi parfaictement et entendroient les soubtilletéz de tous les ars et sciences, comme ilz font”[5].

Autre problème : celui de la visibilité de ces femmes fortes et de leur inscription dans la mémoire collective, conditions nécessaires à la production de modèles féminins positifs. Au début du XIXe siècle, Gabrielle de Plancy publie deux almanachs (1820 et 1823) avec l’objectif de réparer l’injustice faite à la mémoire des femmes de talent : “On a publié les Vies des saints, les Éphémérides des Braves, l’Annuaire des grands hommes… ; on n’a rien fait de semblable pour les dames. C’est ce vide que je cherche à remplir. J’ai voulu présenter aux Françaises une femme célèbre par jour, comme un encouragement ou comme un modèle. […]. Les personnes qui voudront bien parcourir ce livre, verront qu’il y a plus de femmes célèbres qu’on ne pense, et qu’elles se sont distinguées dans toutes les carrières […]”[6].

Pourtant les siècles que nous nous proposons de considérer (XIVe-XVIIIe) ont œuvré à faire entrer des femmes fortes et vertueuses « dans l’histoire », à les proposer comme exemples et modèles, comme ils ont créé des personnages féminins fictionnels « forts » en phase avec l’imaginaire collectif et/ou le renouvelant. Comment ce travail de mémoire et de modélisation s’est-il fait et qui l’a entrepris ? Dans quel cadre idéologique ? Comment ont été articulés vies réelles, mythes héroïques et vies fictionnelles ?

Pour répondre à ces questions, on se propose de parcourir une « galerie de femmes fortes[7] » de la première modernité – gouvernantes et religieuses, guerrières[8] et martyres, femmes savantes[9], travailleuses des villes[10] et des campagnes – en s’intéressant tout à la fois à la vie des femmes historiques – transmises notamment par les Mémoires, biographies, dictionnaires et autres Vies – et aux modèles construits par les textes fictionnels et non fictionnels[11].

Le corpus que nous proposons d’explorer dans ce premier colloque inclura à la fois les genres narratifs (roman, épopée, mais aussi Mémoires et récits de vie) et argumentatifs (éloges collectifs[12], traités polémiques, dictionnaires historiques) composés en France et en Grande-Bretagne durant la période où la querelle des femmes bat son plein, du XIVe siècle au XVIIIe siècle[13], un second colloque portant sur les XIXe-XXIe siècles. Si des études monographiques, consacrées à une femme ou un personnage féminin, pourront être reçues par le comité scientifique, on privilégiera des communications associant fiction et non-fiction et l’on cherchera particulièrement à articuler les parcours des femmes réelles avec les constructions idéologiques qui leur sont contemporaines, dans un double mouvement : les textes théoriques et catalogues de femmes illustres proposent des modèles de comportement qui orientent le comportement féminin tandis que les vies de femmes réelles leur fournissent de nouveaux exemples, voire de nouveaux modèles.

Plusieurs axes pourront être abordés à travers les communications proposées :

Typologies et constructions idéologiques

Les acceptions et les usages du mot « force » dans les textes polémiques de la Querelle des femmes, les dictionnaires historiques et les catalogues de femmes illustres. Comment la force des femmes est-elle définie ? quelles figures – mythiques, bibliques, historiques – l’illustrent-elles ? On prêtera une attention particulière à la définition de la force féminine dans les traités d’éducation des filles et aux figures exemplaires proposées.
La rhétorique de l’éloge des femmes fortes : identification de topoï spécifiques ? points communs et différences par rapport à l’éloge des hommes ? (exemple du traitement des Neuf Preuses par Sébastien Mamerot, de celui des Dames illustres par Brantôme, en regard de leurs homologues masculins, etc.).

Mises en récit

Les vies de femmes fortes, du personnage historique à la figure exemplaire. On pense notamment au traitement de l’histoire de Jeanne d’Arc, mais aussi aux Vies de saintes, aux biographies spirituelles, au Recueil des Dames de Brantôme, etc.
Les « récits de formation » et la place accordée à l’éducation de femmes dans les textes, qu’ils soient fictionnels ou non (accès aux livres et aux savoirs, formation à l’écriture, entraînement physique…).
La représentation/(re)construction de soi par des femmes de pouvoir (Mémoires, etc.).

Représentations fictionnelles et non fictionnelles

Les figures de femmes fortes offertes par les textes non fictionnels et les échos qu’elles trouvent dans le roman ou l’épopée : comment ces deux genres se nourrissent-ils mutuellement ?
Les figures de femmes fortes propres à un écrivain particulier et leur articulation avec les constructions idéologiques et débats de son époque.

Voix de femmes et auctorialité

Quelles voix féminines s’imposent dans le champ intellectuel ? quels espaces d’expression s’ouvrent-elles dans le champ social (création des premiers salons, lieux d’impression, bibliothèques, etc.) ? Des communications pourront porter sur des autrices, des femmes de savoir et des philosophes françaises et britanniques, comme Christine de Pizan, Marguerite de Navarre, les Dames des Roches, Georgette de Montenay, Marie de Gournay, Madame de La Fayette, Mary Wollstonecraft, Jane Barker, Eliza Haywood, Helen Maria Williams, Charlotte Lennox, Olympe de Gouges, jusqu’à Madame de Staël, et sur leur contribution à la mise en œuvre et à la définition de la force des femmes.

Culture matérielle et matrimoine

Que reste-t-il des actions transformantes des femmes au-delà des récits de vie considérés ? On s’interrogera notamment sur les traces matérielles qui en subsistent et la connaissance que nous en avons aujourd’hui, point de départ de nouveaux récits (quel est l’état de l’inventaire des fonds d’archive et de bibliothèques ? quelle est la visibilité du matrimoine des villes en France et en Grande-Bretagne [14]?).

Envoi des propositions de communication
Les titres et propositions de communication (autour de 2000 signes), accompagnées d’une courte biobibliographie (situation institutionnelle, laboratoire, champs de recherche et principales publications), devront être envoyées avant le 31 octobre 2019 aux quatre organisatrices du colloque :

Ariane Ferry : ariane.ferry@univ-rouen.fr

Stéphane Pouyaud : s.pouyaud@gmail.com

Sandra Provini : sandra.provini@univ-rouen.fr

Caroline Trotot : caroline.trotot@u-pem.fr

[1] Voir les ouvrages Revisiter la « Querelle des femmes » : discours sur l’égalité-inégalité des sexes, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 4 vol., 2012-2015. Pour une bibliographie complémentaire sur la Querelle des femmes, nous renvoyons au site de la SIEFAR : http://siefar.org/revisiter-la-querelle-des-femmes/

[2]On pense par exemple au Traictié des Neuf Preuesde Sébastien Mamerot (c. 1461-1472), qui a fait l’objet d’une édition critique récente par Anne Salamon (Genève, Droz, 2016).

[3]Voir Renée-Claude Breitenstein : « Le savoir comme « vertu » : la redéfinition des valeurs dans les éloges collectifs de femmes, du xveau xviesiècle », Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de 1400 à 1600, A. Dubois-Nayt, N. Dufournaud et A. Pauper (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2013, p. 155-167 ; Gisèle Mathieu-Castellani, La quenouille et la lyre, Paris, Librairie José Corti, 1998.

[4]Voir notamment l’ouvrage de Linda Timmermans sur L’Accès des femmes à la culture (1598-1715), Paris, Classiques Garnier, 2007.

[5]Christine de Pizan, La città delle dame, trad. Patrizia Caraffi, éd. Earl Jeffrey Richards, Milan, Luni, 1998, p. 150-152.

[6]Cité dans Isabelle Ernot, « L’histoire des femmes et ses premières historiennes (xixe-début xxesiècle) », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2007/1 (n° 16), p. 165-194. DOI : 10.3917/rhsh.016.0165. URL : https://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2007-1-page-165.htm

[7]Pour reprendre le titre de l’ouvrage bien connu de Pierre Le Moyne, La Gallerie des femmes fortes(Paris, 1647).

[8]Sur les guerrières, nous renvoyons au récent colloque « Femmes de guerre » organisé par la SIEFAR en partenariat avec le Centre de Recherche des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC) les 29-30 mars 2019.

[9]Sur les femmes de savoir, nous renvoyons en particulier au programme de recherche « Visibilité et invisibilité des savoirs des femmes » (voir le Carnet d’hypothèses : Carnet).

[10]Quelques exemples de travaux sur le travail des femmes sous l’Ancien Régime :Christine Dousset, « Commerce et travail des femmes à l’époque moderne en France », Les Cahiers de Framespa [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 01 octobre 2006. URL : http://journals.openedition.org/framespa/57 ; Roméo Arbour, Les femmes et les métiers du livre en France, de 1600 à 1650, Chicago-Paris, Garamond Press et Didier Erudition, 1997 ; Madeleine Ferrieres, Genevière Dermenjian, Jacques Guilhaumou, Martine Lapied (dir.), Femmes entre ombre et lumière : recherches sur la visibilité sociale, XVIe XXe siècle, Aix, Publisud, 2000 ; Cynthia Truant, « La maîtrise d’une identité ? Corporations féminines à Paris aux XVIIeet XVIIIesiècles », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 3 | 1996, mis en ligne le 01 janvier 2005. URL : http://journals.openedition.org/clio/462 ; Nicole Dufournaud et Bernard Michon, « Les femmes et le commerce maritime à Nantes (1660-1740) : un rôle largement méconnu », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 23 | 2006, mis en ligne le 01 juin 2008. URL : http://journals.openedition.org/clio/1926.

[11]La question des modalités de qualification de l’héroïsme féminin et de la représentation des héroïnes féminines dans le champ non fictionnel a été envisagée récemment dans un colloque organisé en janvier 2016 à l’Université de Strasbourg, « Héroïsme féminin, héroïnes et femmes illustres : une représentation sans fiction (xvie-xviie siècles) ».

[12]Sur ce genre, voir le dossier préparé par Renée-Claude Breitenstein, « Publics et publications dans les éloges collectifs de femmes à la fin du Moyen Âge et sous l’Ancien Régime », Études françaises, vol. 47, n° 3, 2011.

[13]Voir par exemple l’article de Joan Kelly, « Early feminist theory and the “Querelle des Femmes”, 1400-1789 », Signs, n° 8-1, 1982. Une périodisation plus large, courant jusqu’au début du xxe siècle, pourrait être adoptée comme l’a montré Eliane Viennot qui situe la Querelle des femmes entre la fin du xiiie siècle et le début du xxe siècle (http://www.elianeviennot.fr/Articles/Viennot-Querelle1-intro.pdf).

[14]Le projet « Cité des dames » de l’Université Paris Est Marne la Vallée (2019-2022) cherche en particulier comment rendre visibles aujourd’hui les traces de l’action des femmes inventrices et créatrices en valorisant le matrimoine de nos villes pour faire revivre les cités des dames.