Figures de veuves à l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècles) : Images d’un statut social accepté, caché, revendiqué ?
Paris (15 juin 2021), avant le 15 mars 2021

Journée d’études du GRHAM 

Paris, Galerie Colbert

Femme et veuve sous l’Ancien Régime ? Les images qui permettent de définir la première abondent qu’il s’agisse de décrire une femme séduisante, une femme d’influence ou une femme du peuple. En revanche les images qui pourraient caractériser la seconde restent floues. De fait, la veuve se définit avant tout par la négative ; une veuve, c’est « celle qui a perdu son mari[1] ». La condition sociale imposée par le veuvage est jugée moins favorable que celle de la femme mariée, le Dictionnaire de Trévoux précisant qu’une « veuve pleure son mari, moins pour son mari, que parce qu’elle se voit déchue du rang qu’elle tenoit, et de la considération où elle étoit[2] », ce qui peut conduire cette dernière à des expédients condamnables : « La veuve soustrait souvent et recèle les plus beaux meubles de son mari[3] ». À l’opposé de cette vision peu séduisante, le statut de veuve semble toutefois offrir aux femmes une liberté que ne connaissent ni les filles ni les épouses[4].

Ce portrait contrasté fait naître plusieurs images. C’est tout d’abord la veuve prise sous l’angle de la politique d’État qui apparaît, qu’il s’agisse de Marie de Médicis en régente telle que peinte par Frans Pourbus (1613), d’Anne d’Autriche en habit de veuve avec ses enfants par Philippe de Champaigne (1643) ou encore de Marie-Antoinette en deuil à la prison de la Conciergerie par Alexandre Kucharski (1793). Ces portraits évoquent tour à tour la femme de pouvoir, la mécène, l’amie des arts et des lettres, mais aussi la femme endeuillée, solitaire, vieillie, déchue.

La veuve peut se signaler encore sous bien d’autres registres. Comme Madame Godefroid chargée de l’entretien des tableaux du roi par Jean Valade (1755), elle peut occuper une fonction par succession à son défunt mari. Elle peut aussi se faire le porte-parole de différentes passions qui sont mises en valeur par le drame bourgeois : la tristesse de la Veuve inconsolable de Greuze (1762), la mélancolie de la Comtesse de Lincoln dépeinte par Reynolds (1781), ou la probité morale de la veuve recevant son prêtre entourée de ses enfants telle que la représente Greuze (1782). Ces différents aspects du veuvage révélés par les artistes permettent d’interroger l’ensemble des références statutaires qui définissent la veuve : ses vêtements de deuil, ses attributs tel le chien fidèle, et ses caractéristiques psychologiques faisant une grande place à la sentimentalité. L’absence de certains de ces codes visuels permet de questionner d’autres figures de veuve. Car, comme le rappelle La Fontaine[5], la jeune veuve reste rarement inconsolable. Sous la plume de Choderlos de Laclos, la Marquise de Merteuil devient même une libertine manipulatrice, profitant pleinement de l’autonomie financière et de l’indépendance d’esprit que lui offre son veuvage.

Ce trop bref panorama resterait incomplet s’il n’évoquait pas la veuve telle qu’elle apparaît dans la peinture d’histoire qu’il s’agisse de La Résurrection du fils de la veuve de Naïm, de La Résurrection de Lazare ou encore d’Agrippine arrivant à Brindisi avec les cendres de Germanicus. L’image de la veuve est également dotée d’un fort pouvoir allégorique qui en fait l’une des premières figures des monuments aux morts à l’instar du Monument du cœur de Victor Thérèse Charpentier, comte d’Ennery (1777-1781).

Célèbres ou anonymes, il s’agira de questionner l’identité de ces veuves afin de mieux connaître leur influence politique, intellectuelle et sociale en cherchant à savoir si leur veuvage s’est révélé être un atout ou une faiblesse. Comment l’image de cette femme veuve s’est-elle développée au cours des XVIIe et XVIIIe siècles ? Et comment a-t-elle fait face à la représentation rousseauiste d’une femme mère dédiée à son foyer et à l’éducation de ses enfants, valeur montante de la seconde moitié du XVIIIe siècle ?

La journée d’études propose notamment plusieurs axes de réflexion pour mieux cerner la figure de la veuve dans les arts non seulement en France, mais aussi en Europe :

  • L’image de la veuve au travers des différents portraits qui en sont faits, relevant leur pouvoir politique, économique, intellectuel, moral. Le portrait est-il réservé aux seules femmes d’influence ou ayant eu des maris célèbres ? Peut-il aussi dépeindre des femmes de la bourgeoisie, du peuple ?
  • La représentation de la veuve dans le cadre de la peinture d’histoire et de la peinture de genre : la veuve est-elle la figure principale ou secondaire de ces peintures ? Au travers de celles-ci quelles sont les caractéristiques psychologiques qui sont le plus souvent sollicitées ? Ces descriptions rendent-elles compte d’une identité spécifique à la veuve ?
  • La destination de l’image de la veuve dans les arts de l’Ancien Régime : ces représentations sont-elles davantage réservées au cercle restreint de la famille ou sont-elles diffusées dans un environnement plus large et pourquoi ?
  • Au-delà des représentations de veuves, une attention spécifique sera réservée aux artistes veuves ainsi qu’aux veuves d’artistes. Quelle est leur place dans la société ? Quel rôle jouent-elles dans la conservation du patrimoine artistique de leur mari ?
  • Enfin, sous l’angle de la culture matérielle, les vêtements et accessoires, signes extérieurs du deuil portés par les veuves, témoignent-ils de codes imposés constants ou, au contraire, d’une évolution non seulement de la mode, mais aussi de la manière de se faire représenter ?

Les propositions de communication en français ou en anglais, d’une page d’environ 500 mots, pourront prendre la forme de propos généraux ou d’études de cas. Les candidats sont invités à y joindre un curriculum vitae.

Date limite d’envoi des propositions : 15 mars 2021.

Envoi des propositions et contact : asso.grham@gmail.com

Cette journée sera organisée par le GRHAM avec le soutien de l’École doctorale d’Histoire de l’art de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ED 441) et de l’HiCSA (EA 4100).


[1] Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, & les Termes des Sciences & des Arts, La Haye, Rotterdam, Arnoud et Reinier Leers, 1701, t. III, Art. « Veuf, Veuve ».

[2] Dictionnaire universel François et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux., Paris, Delaune, 1743, t. VI, Art. « Veuf, Veuve ».

[3] FURETIÈRE, Dictionnaireop. cit., Art. « Soustraire ».

[4] Françoise FORTUNET, « Veuves de guerre à l’époque révolutionnaire », PELLEGRIN, Nicole, WINN, Colette H. (dir.), Veufs, veuves et veuvage dans la France d’Ancien Régime, Paris, Champion, 2004, p. 138-139 : « On a noté depuis longtemps que le statut de veuve était le plus favorable que pût connaître une femme dans notre ancienne société, parce qu’elle y trouvait une liberté qu’ignoraient les filles et les épouses. On le savait en principe, mais les exemples vivants sont d’un autre pouvoir ».

[5] Jean de LA FONTAINE, Fables choisies mises en vers, Lyon, Sarrazin, 1696 (1668), p. 140, Fable CXXIV : « La perte d’un époux ne va point sans soupirs//On fait beaucoup de bruit, et puis on se console ».