Argumentaire
Penser, dire et représenter la séduction s’avère être beaucoup plus complexe qu’il ne paraît, car la séduction n’est pas un concept. Cette compagne ordinaire de notre quotidien aux mille visages, participe directement à la création du lien social. Les manifestations plurielles de la séduction font qu’il n’est pas toujours simple de discerner ce qui relève d’un phénomène auquel nous nous sommes habitués, de l’exceptionnel perçu comme une source d’intérêt nouvelle qui focalise notre attention, s’insinue dans nos esprits et fonde nos désirs. Si la séduction est difficile à définir, son rapport au désir l’est probablement davantage encore.
En latin, seducere signifie à l’origine « amener à part, à l’écart ». Séduire revient à écarter quelqu’un ou quelque chose de son chemin, l’action de séduire devant alors être saisie comme une tentative de détournement. C’est au début du XIIe siècle que la définition du verbe séduire se précise et désigne l’acte d’entraîner une personne à commettre des fautes. Peu à peu, le sens prend une connotation de plus en plus péjorative en lien avec les moyens utilisés pour plaire. L’acte de séduire semble supposer un élan déshonnête qui est suspect aussi bien aux yeux des théologiens qu’à ceux de la société. La profusion des ordonnances somptuaires, les discours des ecclésiastiques sur la modestie, la fama, et le rôle que les sexes doivent incarner en société, contribuent à dénoncer des pratiques associées à des occasions de manipulations contraires aux exigences divines. Les nombreux traités sur les femmes fardées interrogent la notion de contrefaçon de l’œuvre du Créateur et les finalités de ces transformations, bien souvent associées au désir charnel, à la concupiscence et donc aux voies réprouvées du plaisir qui peuvent s’exprimer hors du cadre du mariage. Au XVIe siècle, la définition se trouve modifiée et vise une action susceptible d’entraîner le déshonneur d’une femme, dans le cadre notamment des rapts de séduction. Ainsi un glissement sémantique s’est opéré et rattache les femmes à la séduction, lesquelles passent pour être non seulement la cause et la conséquence de l’acte séducteur, mais aussi comme les rouages d’une pratique douteuse et source de méfiance. Pourtant, cette association entre féminité et séduction n’est qu’un aspect réduit d’une réalité plus vaste à laquelle il semble nécessaire d’apporter des éclairages, afin de définir des axes et des pistes de recherches.
En tant qu’objet de questionnement et de réflexion, la séduction interroge les sciences sociales tout comme l’ensemble de la société, qui, ainsi, éprouvent maintes difficultés à appréhender le phénomène comme concept. Les travaux d’Arlette Farge et de Cécile Dauphin, initiés au début des années 2000, se sont heurtés à des contradictions relatives aux interprétations à formuler sur un tel sujet, notamment en raison de la complexité de la notion de séduction et des objections suscitées par l’association de termes tels que « féminité » et « séduction ». Dans une période militante, l’optique d’un travail consacré à l’histoire des femmes était un facteur de fortes divisions, l’idée de concevoir la séduction se rattachant alors, pour une partie des chercheuses en histoire des femmes, à des discours alimentant certains poncifs qui enfermaient de facto les femmes et la pratique de la séduction. Largement associée à la séduction amoureuse, cette dimension pouvait être reçue comme une reprise de discours véhiculés notamment par tout un volet de Querelle des femmes, lequel faisait des femmes des corruptrices des m’urs et de l’ordre, et contribuait à construire un archétype de la séductrice. Pourtant, la séduction n’est pas intrinsèquement liée à l’amour comme nous proposons de l’exposer et de l’interroger dans le cadre de ce colloque. La séduction est une constante historique qui ne connaît ni condition, ni richesse ; elle implique toute la société.
L’entrée dans l’univers de la séduction peut se concevoir non seulement par l’analyse de la personnalité et de la sensibilité des acteurs, mais aussi par les stratagèmes développés par ces derniers pour séduire. La séduction peut être appréhendée selon ses « représentant(e)s » : charmeurs, menteurs, ravisseurs, envouteurs, conquérants, suborneurs, manipulateurs, etc., auxquels il semble utile d’ajouter des notions telles que attraction, désir, possession, fascination, attrait, appas, détournement, éblouissement, ascendant, magie, influence … La séduction est une réalité plurielle et complexe, car elle relève de l’affect. Néanmoins, il est possible « voire indispensable » de contextualiser les occasions de séduction, leurs formes et leurs finalités, cette manifestation scientifique permettant, grâce à une démarche inductive, ainsi qu’à une analyse à la fois diachronique et synchronique, d’éclairer une pratique réputée a priori complexe.
Séduire revient à capter chez l’autre une faille qui le rendra attentif et donc vulnérable, car l’acte de séduire contient toujours le désir d’obtenir quelque chose de quelqu’un. Séduire c’est également flatter chez autrui ce qu’il aime entendre, voir, lire et écouter, parce que les mots, les actes et les gestes lui parlent. On n’est séduit que malgré soi (la séduction est un événement) ; en même temps, on ne l’est qu’avec son accord plus ou moins avoué (la séduction est une complicité). Séduire, c’est s’adresser à cette attente que chacun d’entre nous, en son for intérieur, développe et attise dans l’espérance de la satisfaire. La séduction est un phénomène où se mêlent la contrainte et la libre acceptation. La séduction peut être également considérée comme une forme de consentement mutuel, dépassant ainsi la simple idée d’une manipulation voulue ou non. Séduire c’est aussi parvenir à trouver chez l’autre ce que l’on recherche, la séduction prenant alors davantage les allures d’une osmose entre deux êtres que la forme d’un asservissement obtenu par l’emploi de stratagèmes. Quel que soit le positionnement adopté vis-à-vis de la séduction, il faut introduire l’idée d’un pouvoir de séduire, pouvoir résidant dans l’art de trouver un discours qui va du particulier au général, capable de capter chez l’autre un désir à satisfaire ou de le susciter. La question de la limite entre manipulation et consentement figure donc au c’ur de la réflexion, car la séduction est un acte social ordinaire, défini et façonné de façons très variables d’une société à une autre, d’une culture à l’autre. La séduction est à la fois source et garante, destructrice ou fédératrice, du lien social.
Le colloque propose donc d’interroger la séduction de manière élargie tout en ayant conscience des limites imposées par l’immensité de cette réalité. Afin de proposer des éléments de réponse et de suggérer des pistes de réflexions fructueuses, plusieurs axes thématiques ont été retenus, afin de dégager les différents langages de la séduction.
Axe 1.- Rhétorique de la séduction
La séduction impliquant un acte de communication, elle utilise de fait le discours « oral, écrit, textuel ou imagé » pour tenter de convaincre. Il s’agit ici de discuter des procédés mis en œuvre par les séducteurs afin de rallier des individus à une cause ou afin de voir exprimés des convictions et des désirs qui, initialement, n’étaient pas présents chez eux. L’art de la persuasion est un outil essentiel pour affirmer le bien-fondé de son point de vue et les domaines d’énonciation sont particulièrement évidents en politique ou dans la publicité, où il importe de séduire. Mais le propos pourra s’intéresser à tout dispositif argumentaire de la séduction visant à faire adhérer à un principe, une cause, un sentiment ou un geste.
Axe 2.- Genre, Séduction, et sexualité
La notion de « séduction » est en général associée à la sexualité et au désir, à l’art de plaire à l’autre pour le posséder. Les codes de la séduction se sont aujourd’hui enrichis de pratiques et de normes liées à nos sociétés contemporaines qui conjuguent des comportements nouveaux et des mécanismes d’approches et de découvertes quasi immuables. Commune à toutes les cultures et civilisations, la pratique de la séduction connaît des formes et des manifestations qui peuvent être différentes. Approcher la séduction par le genre permet de dépasser également une séduction qui serait réduite à une approche hétéro-normée, autorisant par là-même à étendre la question de la séduction aux relations homosexuelles. Il s’agit alors de prêter attention aux rapports entretenus par le genre, la séduction et la sexualité.
Axe 3.- La séduction dans les arts et arts de la séduction : les arts, poésie, romans, correspondances
La séduction est abondamment traitée dans les arts qui, par définition, ont pour vocation de charmer les sens, d’attiser la curiosité, la réflexion, l’identification ou encore l’admiration. Partir en quête des formes et expressions de la séduction dans les arts s’avère chose ambitieuse. Les représentations artistiques de la séduction, de la rencontre amoureuse, sont innombrables. Comment les arts disent-ils ce qu’est l’acte de séduire ? Il s’agit ici d’apprécier la lecture artistique apposée par les arts sur le phénomène de la séduction. Les nombreuses lectures et interprétations des épisodes mythologiques montrent, par exemple, qu’il y a dans la perception de la séduction des modalités d’interprétations plurielles, trahissant à la fois des sensibilités et des contextes différenciés.
Axe 4.- La séduction à la lumière de la philosophie/théologie/droit
L’approche juridique et philosophique de la séduction est essentielle. La question de la moralité fut en effet de longue date un objet de préoccupation commun au trône et à l’autel, veillant à statuer sur les comportements jugés respectables et sur ceux qui ne l’étaient pas. L’association de la séduction à la tentation et à ses nombreuses déclinaisons, permet de saisir l’évolution d’une pratique sociale et des dangers qui ont pu lui être associés. La prostitution, le stupre, la fornication, l’adultère, rapt de séduction, et, par exemple, sont au Moyen-âge et sous l’Ancien Régime, voire jusqu’à nos jours, explicités notamment par la question de la responsabilité/culpabilité du séducteur/séductrice, et de son ascendant sur le séduit/ la séduite.
Modalités de soumissions
Les propositions seront à adresser au comité scientifique via l’adresse mail suivante
Les propositions de communications ne devront pas excéder une page maximum. Elles devront être impérativement accompagnées d’un titre. Nous demandons également aux contributeurs de joindre à leur proposition un bref curriculum vitae précisant leurs champs de recherches et leur affiliation.
La proposition de communication ainsi que la notice personnelle seront adressées dans un seul et même fichier, en indiquant l’axe dans lequel la proposition s’insère.
Le fichier qui sera expédié à l’adresse mail indiquée (format word ou pdf) sera nommé comme il suit :NOM_Prénom_Axe
Calendrier
Les propositions de communications seront à adresser au comité au plus tard le 30 juin 2015.
Les résultats de la sélection des propositions seront annoncés en septembre 2015.
Langues du colloque : français, anglais.
Organisateurs
Céline Borello ? Université de Haute-Alsace, CRESAT, Mulhouse.
Christophe Regina ? Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse.
Comité scientifique
Aziza Gril-Mariotte ? Université de Haute-Alsace, CRESAT, Mulhouse.
Alexandra Roger ? Université de Limoges, CRIHAM.
Lucien Faggion ? Aix-Marseille Université, TELEMME- MMSH, Aix-en-Provence.
Sylvie Chaperon ? Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse.
Sylvie Mouysset ? Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse.
Christine Seiden-Dousset ? Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse.
Claire Carlin ? Université de Victoria, Canada.
Sophie Cassagnes-Brouquet ? Université Jean Jaurès, FRAMESPA, Toulouse.
Isabelle Luciani ? Aix-Marseille Université, TELEMME- MMSH, Aix-en-Provence.
Jacques Guilhaumou ? CNRS TRIANGLE, ENS, Lyon.
Yannick Ripa ? Université de Paris VIII, Centre d’Études féminines et d’Études de Genre.
Guillaume Mazeau ? Université Paris I, IHRF.
Claude Gauvard ? Université Paris I, LAMOP.
Martine Charageat ? Université Bordeaux-Montaigne, CNRS.
Mathieu Grenet ? Université Jean-François Champollion, Albi.
Benoît Garnot ? Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier, Dijon.
Frédéric Chauvaud ? Université de Poitiers, GERHICO.
Martine Lapied ? Aix-Marseille Université, TELEMME- MMSH, Aix-en-Provence.
Nicole Pellegrin ? ENS, CNRS-IHMC, Paris.
Nahema Hanafi ? Université d’Angers, CERHIO – UMR 6258.
Maurice Daumas ? Université de Pau, ITEM EA 3002, IRSAM.
Marie-Elisabeth Héneau ? Université de Liège, SIEFAR.
Stéphane Minvielle ? Université de la Nouvelle-Calédonie, CNEP.
Emmanuelle Rétaillaut-Bajac ? Université de Tours, CETHIS.
Anne-Claude Ambroise Rendu ? Université de Limoges, CRIHAM.
Agnès Walch ? Université d’Artois, CREHS.
Laura Talamante ? Université de Domingez Hills, Californie.
Jean-Claude Kaufmann ? Université Paris-Descartes, CNRS-CERLIS.
Pierre-Yves Quiviger ? Université de Nice Sophia Antipolis, CHRI.
Dimitri El Murr ? Université Paris I, GRAMATA.
Marie-Frédérique Pellegrin ? Université de Lyon III, CERPHI-ENS.
Gabriele Wickermann-Ribémont ? Université d’Orléans, POLEN.
Bernard Ribémont ? Université d’Orléans, POLEN.
Philippe Chométy ? Université Jean Jaurès, PLH-ELH, Toulouse.
Martine Yvernault ? Université de Limoges, EHIC.
Frédéric Callas ? Université de Clermont-Ferrand II, CELIS.
Pierre Legal ? Université de Nantes, UMR-CNRS 6297.
Nicolas Derasse ? Université de Lille 2, Centre d’Histoire Judiciaire, UM5 8025.
Solange Ségala de Carbonnières ? Université de Valenciennes, IDP.
Géraldine Cazals ? Université d’Avignon, Laboratoire Biens, Normes, Contrats (EA 3788).
Elisabeth Rallo-Ditche, Aix-Marseille Université, Transpositions