Les historiens et les critiques des XIXe et XXe siècles, jusqu’aux travaux idéologiquement opposés de Jean Duvignaud et de Marvin Carlson, ont privilégié dans leur étude du théâtre de la Révolution ce qu’ils ont perçu comme rupture, fracture radicale dans les pratiques diverses qui caractérisent le théâtre de cette époque. On a analysé alors ce théâtre en fonction de la Révolution qu’il était censé « porter » au point de s’identifier avec un geste historique qui ne se distinguait pas d’elle. On a présenté le répertoire des théâtres de la Révolution en privilégiant tout ce qui allait dans le sens de la nouveauté révolutionnaire ou du moins de l’événement révolutionnaire. En un mot on a cherché et trouvé un théâtre révolutionnaire, puis on l’a condamné du point de vue idéologique et esthétique, et certains lui ont opposé les fêtes et cortèges qui ont rythmé la dernière décennie du dix-huitième siècle. Vinrent alors des études, au début des années 1980 qui, à partir de réexamens, le plus souvent quantitatifs comme celle d’Emmet Kennedy, ont insisté sur la permanence du répertoire traditionnel, dans tous les sens du mot. Les représentations des pièces composées sous l’Ancien Régime, de comédies politiquement anodines et de bluettes n’ont-elles pas été plus nombreuses que celles de pièces qui présentent un contenu politique et social en rapport avec l’actualité, à l’exception de la période de la Terreur « On a aussi noté le petit nombre de pièces présentant des innovations de forme, même dans le cas de pièces idéologiquement « révolutionnaires ? : » du vin nouveau et de vieilles outres », selon la formule d’un critique.
Le théâtre de l’époque impériale a, lui, été réduit au mélodrame et à une sorte de réaction classicisante. Mais n’a-t-on pas alors sous-estimé d’autres facteurs ? L’interaction étonnante du public et de la représentation, la labilité du procès de signification, la création de formes éphémères et réellement théâtrales, la multiplication de pratiques nouvelles, la richesse du répertoire de l’époque consulaire et impériale, l’existence d’une vie théâtrale en province suscitent des questions et nous invitent à reprendre ces problématiques dans des perspectives nouvelles.
Dans le cadre du projet de recherches Therepsicore1, qui associe les universités de Paris- Sorbonne et de Clermont-Ferrand, une journée d’études sera organisée à la Sorbonne le 17 novembre 2014.
Une première rencontre a été consacrée à la traduction et à l’adaptation des répertoires étrangers (Moulins, Centre National du Costume de Scène, 13 novembre 2012) et une deuxième à la direction et l’organisation des troupes de théâtre dans les provinces françaises et les territoires conquis (Vizille, Musée de la Révolution, 16 octobre 2013).
Elle sera consacrée à l’étude des relations entre répertoires traditionnels et répertoire nouveau et aux transformations des genres théâtraux en France entre la Révolution et l’Empire. Le répertoire dramatique de cette période sera analysé par rapport au cadre idéologique, politique, normatif, économique et esthétique où il est inséré ainsi que par rapport aux bouleversements qui ont caractérisé l’histoire de France entre 1789 et 1815. Au sein de ce vaste thème, plusieurs axes de réflexion sont envisageables :
– Exemples de continuité et/ou rupture dans le répertoire d’un théâtre en province ou à Paris. Reconstitution du répertoire d’un département ou d’une ville et/ou aperçu de la vie théâtrale de cette ville ou département à travers le répertoire.
– Persistance et métissage des genres théâtraux à Paris et dans les départements ; analogies et différences dans la constitution des répertoires selon une perspective diachronique (de la Révolution à l’Empire) ou synchronique (comparaison entre Paris et un ou plusieurs départements à une époque déterminée).
– Exportation et diffusion du répertoire central en province ; différences entre le cadre normatif et législatif et la réalité matérielle du répertoire théâtral et de sa réception (central ou provincial, en perspective diachronique ou synchronique).
– Effets de transformation du sens et orientation de la signification politique d’une oeuvre ou d’un ensemble d’oeuvres dans une période déterminée ; réécritures et diverses reprises d’un texte et/ou réélaboration d’un « sens vécu » à travers une réception inédite des applications ; le répertoire en tant qu’instrument d’éducation et/ou de propagande politique (p.e. diffusion des « pièces à décret » dans les territoires des provinces) ; le spectacle et le répertoire en tant qu’instruments de contestation du pouvoir centralisé (formes dissimulées de dissidence politique) ; la question de la censure des répertoires en province et à Paris.
Les propositions de communication (temps de parole : 20 minutes) sont à envoyer au plus tard le 1er juillet 2014. Elles doivent comporter le titre de la communication et un argumentaire d’une demi page, le nom et prénom de l’auteur et son laboratoire de rattachement.
Secrétariat : Thibaut Julian – thibaut.julian@gmail.com
Comité scientifique :Philippe Bourdin, Pierre Frantz, Thibaut Julian, Françoise Le Borgne, Sophie Marchand, Paola Perazzolo, Vincenzo de Santis, Cyril Triolaire
1 Le projet Therepsicore, mené par une équipe pluridisciplinaire constituée d’historiens de la Révolution et de l’Empire rattachés au CHEC (Clermont-Ferrand) et de littéraires spécialistes des théâtres français et étrangers de la période rattachés au CELIS (Clermont-Ferrand) et au CELLF 17e-18e siècles (Paris-Sorbonne) a pour but de recenser les salles de spectacle, les artistes, leurs circuits et leurs répertoires afin d’aboutir à une meilleure connaissance de la diffusion, de l’offre dramatique, des conditions de représentation, de la construction des carrières individuelles, de la nature et de la réception des répertoires et des goûts du public en province ainsi que dans les départements créés ou annexés dans l’espace germanique et les Républiques soeurs pendant la Révolution et l’Empire grâce à l’élaboration et à la réalisation d’une base de données autour de ces thèmes et à l’organisation de plusieurs journées d’étude.