Sous la direction d’Yves BAUDELLE et Mirna VELCIC-CANIVEZ, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3.
Les relations compliquées et intenses entre la fiction et l’histoire sont un thème récurrent dans la théorie littéraire. Depuis les polémiques autour des thèses de H. White elles n’ont jamais cessé de ramener au centre des débats entre théoriciens et critiques littéraires, historiens et sémioticiens, des questions épistémologiques importantes. Nous l’avons vu encore ces dernières années à l’occasion de la publication d’ouvrages fictionnels qui empiètent ouvertement sur le terrain de l’histoire, notamment celui de l’histoire du Nazisme, de la Shoah et de la 2e guerre mondiale, tels Les Bienveillantes de Johnattan Littel (2006) et Jan Karski de Yannick Haenel (2009). C’est ce dossier, déjà riche de polémiques houleuses et de problèmes épistémologiques, que nous nous proposons ici de rouvrir : nous proposons un dossier thématique qui traite de figures ou personnages historiques en s’attachant à la problématique de leurs noms.
L’objectif principal de ce numéro thématique est d’examiner le fonctionnement des noms des personnages historiques dans la fiction littéraire, mais aussi dans d’autres genres de discours ordinairement tenus à la frontière de la fiction ? autofiction, mémoires, témoignages. Ainsi, la problématique de ce dossier s’inscrit dans un double champ de recherche : elle concerne l’étude du nom propre et l’étude des textes qui manifestent une hybridité générique instaurant des relations nouvelles entre le fictif, le vrai et le faux. Ce projet se veut résolument interdisciplinaire, au croisement de la poétique des textes, de l’onomastique, de la sémiotique et de la linguistique du discours.
Les noms des personnages historiques sont une sous-catégorie de noms propres et nous savons que les noms propres disent peu sur l’identité du porteur. En revanche, les noms propres des personnages historiques donnent l’impression d’avoir un sens univoque, non ambigu : ils permettent d’identifier des personnes réelles que nous reconnaissons comme des « acteurs de l’histoire « . En découle la principale propriété des noms des personnages historiques : ce sont des noms connus. Or, sous la plume d’un écrivain, ils sont souvent utilisés à côté de noms ? inconnus ?, désignant des » personnes inventées ». C’est en se mélangeant avec des personnages dits « romanesques » que les personnages historiques intègrent la fiction.
De plus, nous savons que le même nom propre peut être utilisé simultanément dans différents univers ? pratique à effets poétiques intéressants sur le terrain de la fiction littéraire s’agissant notamment des personnages historiques. Au vu de nombreux exemples récents, force est de constater qu’en littérature, le recours aux noms propres de personnages historiques a pour effet d’abolir la frontière qui sépare l’univers factuel et celui créé par la fiction. Ces noms et leurs porteurs contribuent à la création d’espaces nouveaux qui ne sont ni vrais, ni faux, qui ne relèvent ni de la fiction pure, ni de l’histoire savante, et qui ne donnent pas non plus un accès direct à la réalité historique. Le lecteur est ainsi amené à participer à la confusion de l’histoire et de la fiction.
Plusieurs pistes seront suivies pour traiter du fonctionnement des noms de personnages historiques dans la prose littéraire :
La question du genre textuel : dans le contexte d’une mise en œuvre du principe de mélange et d’hybridité générique par la littérature contemporaine, le recours aux noms de personnages historiques rapproche-t-il la fiction de la réalité historique et, du coup, de la non-fiction (du témoignage ou du discours de savoir qui, comme le pensait M. De Certeau, « fait de l’histoire ») « La dimension de l’adresse : quel lecteur serait en mesure de s’orienter dans ce mélange du vrai ou du pseudo-vrai, du fictif et du faux » La dimension onomastique des noms de personnages historiques : questions de motivation (pourquoi donner tel nom à tel personnage ?) L’importance de la forme : un tel nom se prête-t-il facilement à la déformation « avec quels effets sur le plan esthétique » La référence des noms de personnages historiques dans la fiction : si ces noms désignent les individus d’une manière univoque ou rigide, il est important de se demander d’où vient leur stabilité référentielle et pourquoi ils nous disent des choses sur leurs porteurs.
Échéancier :
? Envoi des propositions d’articles, avec résumé (environ 1500 signes, espaces compris) : 1erjuin 2013.
? Remise des articles pour évaluation : 15 juillet 2013.
? Publication prévue : octobre 2013.
Contacts:
Bibliographie :
Baudelle Yves, Nardout-Lafarge Elisabeth (éd.) (2011), Nom propre et écritures de soi, Montréal.
Compagnon Antoine (2012), « Nazism, History and Fantasy », Yale French Studies, 121.
De Certeau Michel (1975), L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard.
Dubel Sandrine, Rabau Sophie (éd.) (2001), Fictions d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours, Paris, Champion.
Gary-Prieur Marie-Noëlle (2009), « Le nom propre, entre langue et discours », Carnets du Cediscor, n’ 11, 153-168.
Ginzburg Carlo (1989), Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion.
Léonard, Martine et Nardout-Lafarge Elisabeth (dir.) (1996), Le Texte et le Nom, Montréal, XYZ éditeur.
Vaxelaire Jean-Louis (2005), Les noms propres. Une analyse lexicologique et historique, Champion.
Velcic-Canivez Mirna (2012), « Quelle importance ont les noms d’auteurs dans le discours historique ? Les savants, les puissants et les inconnus »,
Cultura, Revista de Historia e Teoria das Ideias, vol. 30/ 2012, 72-87.
Vilain Philippe (2009), L’Autofiction en théorie, Chatou, Les éditions de la Transparence.
Responsables: Yves Baudelle (Lille 3), Mirna Canivez-Velcic (Lille 3)
Url de référence :http://figures-historiques.revue.univ-lille3.fr/
Adresse : Université Lille 3, Alithila Pont-de-bois BP 149 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex