Clôture
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Notice de Marie-Elisabeth Henneau, 2012
Le mot clausura, attesté dans les traductions latines de la Bible et chez les Pères de l’Eglise désigne non seulement le fait d’enfermer, mais aussi les dispositifs utilisés à cette fin et, enfin, le lieu même d’enfermement. Il est apparenté à claustrum, qui renvoie également à la notion d’incarcération et c’est avec cette signification que le terme passe dans le monachisme.
Dès les premiers moments de l’histoire des communautés religieuses, les autorités qui ont pouvoir sur elles vont s’employer à régler les modalités des relations possibles entre le cloître et le monde, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Toutefois, avec les canonistes du XIIIe siècle, la distinction s’accentue de plus en plus entre les mises en garde adressées aux moines et les exigences imposées aux moniales. Si le motif officiel invoqué pour imposer une clôture stricte à ces dernières fait état d’une atmosphère de prières à préserver, une autre raison devient rapidement prépondérante : la nécessité de les protéger du monde et de préserver ce dernier des risques de les rencontrer. Il ne s’agit pas seulement d’entretenir chez elles un esprit de retraite, mais de signifier de manière visible et efficace leur réel enfermement rendu indispensable du fait de leur nature faible et menaçante.
Si une plus grande sévérité se manifeste dans les textes normatifs, la pratique se révèle toutefois plus souple. Quantité de moniales circulent pour affaires ou par dévotion, et la mention explicite, par leurs hagiographes, de leurs multiples déplacements dans le monde ne ternit nullement leur aura de saintes pénitentes. En outre, de nouveaux projets permettent à des « semi-religieuses » d’envisager une voie moyenne, hors des sentiers battus et loin des contraintes institutionnelles. Mais au vu de ces initiatives pour le moins dérangeantes, les chantres du droit de l’Église se montrent inquiets, voire vindicatifs.
Une étape est franchie sous le pontificat de Boniface VIII, qui, réaffirme avec vigueur la nécessité d'une clôture totale pour les religieuses. Sa décrétale Periculoso (1298) prescrit à toutes les moniales des règles nouvelles et rigoureuses en matière de clôture, bien moins pour leur offrir des conditions favorables à l’épanouissement de leur vocation que pour protéger leur integritas et les préserver du péché de luxure auquel elles ne pourraient manquer de succomber. Avec ces mesures disciplinaires, le pape ne craint pas de bouleverser de fond en comble les modes de fonctionnement des établissements monastiques, dont la survie (tant au spirituel qu’au temporel) dépend des nombreuses relations entretenues avec le monde des vivants.
Alors que ce document devient d’emblée la référence en matière de législation sur la clôture, la résistance des femmes, très souvent soutenues sur le terrain par les autorités masculines, est tenace. Ou, du moins, leurs propres conceptions de la clôture résistent aux injonctions pontificales. Car la notion de clôture n’est pas absente des couvents de femmes ni de leurs propres projets de réforme. La clôture souhaitée par les religieuses est sensée leur offrir les garanties d’un espace privé où gérer personnellement leur vie, lieu qu’elles envisagent évidemment comme une retraite spirituelle (et non comme une prison) mais qu’elles conçoivent aussi comme un endroit où vivre de manière autonome, à l’abri des pressions extérieures (civiles et religieuses). Si les aspirations des réformatrices du XVIIe siècle rencontrent les souhaits de leurs accompagnateurs spirituels ou les injonctions des responsables de l’ordre public, elles sont généralement mal reçues par un entourage (parents, amis, bienfaiteurs) qui voit d’un mauvais œil de se voir exclu de ces lieux de sociabilité. À côté d’initiatives de femmes aspirant à la retraite la plus absolue, bon nombre de religieuses se contentent d’une clôture mitigée, qui n’abrite pas que des scandales, quoi qu’en disent certaines autorités, pour qui tout contact avec l’extérieur entraîne nécessaire une dépravation des mœurs. Les pires rumeurs parvenant aux oreilles des dignitaires romains. Au concile de Trente, les pères jugent bon de rappeler vigoureusement les religieuses à l’ordre (1563). Le débat sur la clôture bat à nouveau son plein sitôt le concile clôturé, suscitant, pour longtemps, autant d’engouements passionnés que de vives oppositions. Tandis que les théoriciens tentent d’imposer leurs points de vue et les supérieurs de composer sur le terrain, les destinataires disposent des règlements… selon les circonstances et leur état d’esprit.
Choix bibliographique
- Concha Torres Sanchez, La clausura feminina en La Salamanca del siglo XVII, Domenicas y carmelitas descalzas, Acta Salmanticensia, Estudios historicos y geograficos 73, Salamanque, 1991.
- Marie-Élisabeth Henneau, « La clôture chez les cisterciennes du pays mosan, une porte entr’ouverte... », Les religieuses dans le cloître et dans le monde, Pub. U. de Saint-Étienne, 1994, p. 615-633. ID., « Monachisme féminin au pays de Liège à la fin du XVIIe siècle : une vie sub clausura perpetua ? », Revue Histoire, Économie et société, 3 « La Femme dans la ville : clôtures choisies, clôtures imposées », 2005, p. 387-398. ID., « Les débats relatifs à la clôture des moniales aux XVIIe et XVIIIe siècles : discours croisés entre deux mondes », Le cloître et la prison (VIe-XVIIIe s.), dir. Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset, Paris, Pub. de la Sorbonne, 2011 p. 261-274.
- Giovanna Paolin, Lo spazio del silenzio. Monacazioni forzate, clausura e proposte di vita religiosa femminile nell’età moderna, Pordenone, éd. Bibliotheca dell’imagine, 1996.
- Ulrike Strasser, « Cloistering Women’s Past : Conflicting Accounts of Enclosure in a Seventeenth-Century Munich Nunnery », Gender in Early Modern German History, éd. U. Rublack, Cambridge, 2002, p. 221-246.
- Gabriella Zarri, « La clôture des religieuses et les rapports de genre dans les couvents italiens (fin XVIe-début XVIIe siècles) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, t. XXVI, 2007, p. 37-60