Anne-Josèphe Bonnier de la Mosson

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Anne-Josèphe Bonnier de la Mosson
Titre(s) duchesse de Picquigny (ou Pecquigny), puis duchesse de Chaulnes.
Conjoint(s) Michel Ferdinand d'Ailly, duc de Picquigny, puis duc de Chaulnes
Martial Henry de Giac.
Dénomination(s) Madame de Chaulnes
Biographie
Date de naissance 15 avril 1718
Date de décès 4 décembre 1782
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Nicole Proux, 2021

Anne-Josèphe Bonnier de la Mosson, née en 1718, appartient à une famille de financiers. Son père, trésorier général des États du Languedoc, est un riche et grand amateur d'art mort en 1726 un an avant son épouse. Le frère d’Anne-Josèphe, de seize ans son aîné, est un éminent bibliophile et possède à Paris un remarquable cabinet de curiosités. Ainsi, les passions de son père et de son frère peuvent avoir donné à Anne-Josèphe un accès précoce aux sciences et à la culture.
En 1734, âgée de seize ans, la riche héritière est mariée à un descendant de l'illustre famille des Luynes, Michel-Ferdinand d'Albert d'Ailly, vidame d'Amiens, duc de Picquigny, puis duc de Chaulnes. Jean-Marc Nattier exécute en 1744 le portrait en Hébé de la duchesse de Chaulnes ; elle y apparaît légèrement plantureuse, avec des yeux noirs dans un visage ovale.
Son époux, Michel-Ferdinand d'Albert d'Ailly, né en 1714, est un officier et un habile stratège, qui contribue à la victoire de Fontenoy en 1745. Sa bravoure et ses qualités humaines sont reconnues par Louis XV qui le surnomme « l'honnête homme » et l'autorise à acheter la lieutenance générale de Bretagne en juin 1747. En 1751, la duchesse qui accompagne son mari à Rennes pour la tenue des États y est chaleureusement accueillie. L'hostilité des États bretons éclate cependant à propos du vingtième taxant les revenus et de la nomination des commissaires chargés de la répartition des impôts. Patient et conciliant, le duc, soutenu par sa femme, réussit à mettre fin au mécontentement. Cependant, en 1752, lassé, il revend sa charge. Déjà gouverneur d'Amiens, il obtient le gouvernement d'Artois. Cet homme est un bibliophile averti et un grand amateur de musique. Physicien, astronome et collectionneur de curiosités, il est attiré par les sciences et les inventions et il aime réunir des savants en son hôtel parisien. La duchesse partage leurs discussions et y fait l'apprentissage des sciences. La vie de la duchesse se déroule principalement à Paris, dans leur hôtel Place Royale, puis dans une autre demeure spacieuse, près du jardin du Luxembourg, ou dans leur logement de Versailles. D'abord « dame à accompagner la reine », elle accède en 1767 à la fonction de dame du Palais qu'elle exerce jusqu'à sa mort. Quand elle aspire à la tranquillité, elle se réfugie au château de Chaulnes en Picardie.
Sa correspondance avec le comte d'Argenson, alors ministre et secrétaire d'État de la guerre, devenu son amant en 1743-1744, révèle une femme cultivée, sachant citer Racine et évoquer les mythes grecs. Son esprit critique acéré lui fait juger avec lucidité et férocité l'aristocratie dont elle fait pourtant partie. Elle écrit que les « petits politiques […] moitié importants, moitié freluquets » l'agacent. Elle trouve la vie à la cour difficile car les femmes y sont toujours tentées « d'égratigner tout le monde ». Selon elle, la noblesse a un rôle à jouer : elle doit montrer l'exemple au reste de la société. Même si elle se réjouit « des elevations inatendues arrivées [aux] armés » (sic), elle déclare détester « le bruit affreux des armes » et souhaite que les années de guerre n'aient jamais existé. Le duc de Chaulnes meurt en 1769, désespéré, diront les ennemis de la duchesse, par les infidélités de celle-ci. Leur fils, né en 1741, a lui aussi la passion des sciences et s'adonne à des travaux de chimiste et de naturaliste. Il décède sans descendance en 1792.
Madame de Chaulnes crée un grand scandale en se remariant, à cinquante-cinq ans, avec Martial Henry de Giac, maître des requêtes, conseiller au Parlement. Il n'appartient pas à la haute noblesse, il est de vingt ans son cadet et on le soupçonne d'être attiré par la fortune de son épouse. Elle devient donc, selon ses propres termes « la femme à Giac ». Mariés en octobre 1773, ils se séparent d'un commun accord en juin 1774. Elle passe les dernières années de sa vie rue Saint-Jacques, probablement à l’abbaye du Val-de-Grâce, où elle décède en décembre 1782.
Femme d'esprit, fantasque, impulsive, guidée, semble-t-il, par ses passions, et mal aimée des gens de son monde, elle diffère des autres dames de la Cour par sa curiosité, sa soif de connaissances, l'acuité de ses jugements. Épistolière accomplie, sa maîtrise élégante de l'écriture et son éloquence lui ont permis de traduire ses états d'âme dans des lettres d'amour oscillant entre abattement profond, emportement colérique et enthousiasme exalté.

Oeuvres

  • Bibliothèque universitaire de Poitiers (France), archives d'Argenson : carton P 69 (soixante-trois lettres) ; carton P 74 (deux lettres). Soit 65 lettres, écrites en 1743 et 1744 et destinées au comte d'Argenson.

Principales sources imprimées

  • Créquy, Mme de, Les Souvenirs de Madame de Créquy de 1710 à 1803, Paris, Garnier frères, 1873.
  • Du Deffand, Mme, Correspondance complète de la Marquise du Deffand avec ses amis, éd. par M. de Lescure, Paris, Henri Plon,1865.
  • Luynes, duc de, Mémoires sur la cour de Louis XV, publiés par L. Dussieux et Eud. Soulié, Paris, F. Didot, 1860, tome 10, « Appendice de l'année 1750 ».
  • Sénac de Meilhan, Gabriel, Portraits et Caractères des Personnes distinguées à la fin du XVIIIe siècle, Paris, J. G. Dentu, 1813.

Choix bibliographique

  • Caron, Philippe, Traineau-Durozoy, Anne-Sophie, Pellegrin, Nicole, et autres, « Des femmes à leur écritoire au XVIIIe siècle : les épouses d’Argenson », Revue historique du Centre-Ouest, 2016, t. XV, p. 7-87.
  • Argenson, Françoise d', Caron, Philippe, et autres, « Le comte d'Argenson et les dames. La place des femmes dans les réseaux du secrétaire d'état à la guerre à travers les archives d'Argenson », Revue historique du Centre-Ouest, 2020, t. XVIII, p. 7-86.
  • Combeau, Yves, Le Comte d'Argenson, Ministre de Louis XV, Paris, École des Chartes, 1999.
  • Grasset-Morel, Louis, Les Bonnier ou une famille de financiers au XVIIIe siècle, Paris, E. Dentu, 1886.

Choix iconographique

  • 1744, Jean-Marc Nattier, La duchesse de Chaulnes représentée en Hébé, huile sur toile, 144 x110 cm. Musée du Louvre, Paris, France.
  • 1746, Jean-Marc Nattier, Portrait du duc de Chaulnes, représenté en Hercule, huile sur toile, 129 x103 cm. Musée du Louvre, Paris, France.

Jugements

  • Forges, station thermale en Normandie, 2 juillet 1742 : «  O mon dieu qu'elle me déplaît ! Elle est radicalement folle […]. Sa prétention est d'avoir de l'imagination et de voir toute chose sous des faces singulières, et comme la nouveauté des idées lui manquent, elle y supplée par la bizarrerie de l'expression, sous prétexte qu'elle est naturelle. » -- Forges, 9 juillet 1742 : «  La Pecquigny n'est d'aucune ressource, et son esprit est comme l'espace : il y a étendue, profondeur, et peut-être toutes les autres dimensions que je saurais dire, parce que je ne les sais pas, mais cela n'est que du vide pour l'usage. Elle a tout senti, tout jugé, tout éprouvé, tout choisi, tout rejeté. […]. Elle est, dit-elle, toute la journée avec toutes nos petites dames à jaboter comme une pie. [...] Elle est aisée à vivre ; mais je la défierais d'être difficile avec moi : je me soumets à toutes ses fantaisies. » (Madame du Deffand au président Hénault, in Correspondance complète de la Marquise du Deffand avec ses amis, par M. de Lescure, Paris, Henri Plon, 1865, p. 16-17, 37).
  • Bretagne, 1747- 1752 : «  Madame de Chaulnes alla ce jour-là dans la salle des Etats ; c'était le moment où l'on faisait les adjudications pour les fermes. Dans le moment qu'on la vit paroître, il y eut des acclamations les plus grandes et les plus flatteuses. » (Duc de Luynes, Mémoires sur la cour de Louis XV, publiés publiés par L. Dussieux et Eud. Soulié, Paris, Firmin Didot, 1860, tome 10 : « Appendice de l'année 1750 », p. 454).
  • Le remariage de 1773 vu par Renée Caroline de Frouly, marquise de Créquy (1714- 1803) et femme de lettres (texte sans doute apocryphe) : « La duchesse de Chaulnes était certainement la plus extravagante et la plus ridicule personne de France. C'était une grosse douairière toute bouffie, gorgée, soufflée, boursoufflée de santé masculine et de sensibilité philosophique, qui se faisait ajuster et coiffer en petite mignonne et qui zézayait en parlant pour se rajeunir. » (Les Souvenirs de Madame de Créquy de 1710 à 1803, Paris, Garnier frères, 1873, tome 2, page 5).
  • Un portrait plus nuancé ou plus perfide par l'écrivain Gabriel Sénac de Meilhan (1736- 1803) qui a fréquenté Madame de Chaulnes déjà âgée : « Sans avoir jamais été belle, elle avoit de la physionomie, ses yeux étoient brillants, expressifs [...], son teint avoit de la blancheur mais rien d'animé ; son maintien avoit de la gêne et de l'embarras jusqu’à ce qu'elle eût donné l'essor à son esprit. […] Elle avoit à un degré supérieur le don de la pensée. […] Son esprit car il composoit tout son être […] avoit le plus rapide élan. […] L'esprit étoit tout pour elle. […] Ses pensées n'avoient jamais ni passé ni futur : elle voyait tantôt les choses sous un angle, tantôt sous un autre. […] Sa vie a été une longue jeunesse que n'a jamais éclairée l'expérience. » (Gabriel Sénac de Meilhan, Portraits et Caractères des Personnes distinguées à la fin du XVIIIe siècle, Paris, J. G. Dentu, 1813, p. 71).
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