Antoinette de Salvan
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Antoinette de Salvan | ||
Titre(s) | Dame de Saliez | |
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Conjoint(s) | Antoine de Fontvieille, seigneur de Saliez | |
Dénomination(s) | Mme de Saliez Mme de Saliès Mme de Salvan de Saliès la viguière d’Alby | |
Biographie | ||
Date de naissance | 1639 | |
Date de décès | 14 juin 1730 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) | ||
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779) |
Sommaire
Notice de Nathalie Grande, 2014
Antoinette de Salvan naît en 1639 dans une famille de robe bien connue à Albi, où son père, Etienne de Salvan, était juge, tandis que sa mère, Anne de Teissier, était fille d’un écuyer. Fille aînée d’une fratrie qui compte encore deux sœurs et un frère, elle semble avoir bénéficié d’une éducation au-dessus de la moyenne. Bien dotée, elle épouse en septembre 1661 Antoine de Fontvieille, seigneur de Saliez, nommé depuis peu viguier d’Albi, qui est issu d’une famille de récente noblesse. Il meurt en 1672, lui laissant trois garçons et une situation financière mal assurée ; en effet, la fortune des Saliez est entachée par les procès que son époux menait contre le tout-puissant évêque d’Albi. Mme de Saliez ne se remarie pourtant pas et fera face à des difficultés financières durant son long veuvage – elle meurt en 1730. Dans sa correspondance, elle explique que ce veuvage a favorisé sa vocation littéraire en lui donnant « la liberté et l’indépendance » d’écrire.
Connue pour avoir tenu à Albi un salon « de gens d’esprit et de savants » (Dictionnaire de Moreri) dans l’esprit des académies de province, elle a aussi composé une œuvre diversifiée. Son unique roman, La Comtesse d’Isembourg, paraît en 1678 à Paris chez Claude Barbin, un éditeur mondain bien connu. Cette nouvelle historique raconte comment une belle et jeune princesse allemande, en butte à la jalousie tyrannique et menaçante d’un vieux mari, finit par s’enfuir, d’abord à Paris, puis à Albi, pour lui échapper et trouver le repos. La lecture féministe qui peut être faite de cette fiction, appuyée sur un témoignage recueilli auprès d’une religieuse de la Visitation d’Albi, est confirmée par les positions ouvertement militantes de l’autrice : elle adresse en juillet 1681 au Mercure galant un « Projet d'une nouvelle secte de philosophes en faveur des dames » où elle développe une ambition, dont l’esprit rappelle la préciosité, qui consiste à proposer « de vivre commodément et de déterminer toutes les personnes raisonnables à secouer le joug des contraintes que l’erreur et la coutume ont établies dans le monde ». Excluant les messieurs trop galants pour être honnêtes, les pédants comme les matamores, elle refuse également les coquettes aussi bien que les dévotes, et, conformément à « l’Amitié Tendre » prônée par Madeleine de Scudéry, entend bannir « l’amour [...] de peur qu’il ne trouble le repos [recherché et] substituer à sa place l’amitié galante et enjouée ». Elle récidive dans cette recherche d’un modèle social mixte et apaisé en publiant dans la même gazette en mars 1704 les statuts d’une « Société des chevaliers et chevalières de bonne foi », projet mené en commun avec son ami, M. de Vertron, lui-même féministe militant et auteur de la première histoire littéraire exclusivement consacrée aux femmes du XVIIe siècle, La Nouvelle Pandore ou les femmes illustres de ce siècle (1698). Antoinette de Salvan se consacre aussi à la poésie : son premier poème est publié par Le Mercure galant en juin 1679, et le dernier en mai 1707. Elle laisse également des paraphrases des psaumes, témoignant de sa maîtrise du latin, la traduction de deux odes du poète grec Anacréon, et une élégie en occitan, qui attestent qu’elle était une authentique femme savante.
Le Mercure galant, en publiant régulièrement ses textes, prouve l’intérêt du public mondain pour les utopies sociales et les poésies de la viguière d’Albi, au-delà du cercle local auquel elle appartenait et dont elle ne s’éloigna jamais. Le féminisme de Mme de Saliez a d’ailleurs été salué favorablement, puisque elle devient membre de l’Académie des Ricovrati de Padoue en 1689 ; il n’a pas non plus empêché ses talents littéraires d’être reconnus dans les cercles les plus légitimes, comme en témoignent les relations officielles qu’elle publie à l’occasion de tel ou tel événement de la vie albigeoise (réception d’un nouvel évêque, fête religieuse), ou un ouvrage de piété, Réflexions chrétiennes (1689), publié « avec approbation » par les imprimeurs officiels «du clergé, du diocèse, de la ville et du collège», et dédié à Mgr de La Berchère, l’archevêque d’Albi. Riballier et Cosson en 1779, tout comme Fortunée Briquet en 1804, lui ont consacré une notice dans leurs Dictionnaires, tandis que sa correspondance a été éditée en 1806 et son roman réédité en 1851, preuve d’une postérité dépassant sa gloire locale (Albi possède une école primaire qui porte son nom). La récente édition de ses œuvres complètes par Gérard Gouvernet témoigne du renouveau de l’intérêt pour cette autrice, dont l’œuvre mérite de nouveaux travaux.
Oeuvres
- La Comtesse d'Isembourg, Claude Barbin, 1678.
- «Lettre à Mme de Mariotte de Toulouse sur l'entrée de Mgr Serrony, premier archevêque d'Alby», dans Mercure Galant, avril 1679, p. 2-39.
- « Projet d'une nouvelle secte de philosophes en faveur des dames », dans Mercure galant, juillet 1681, p. 16-27.
- Réflexions chrétiennes, Albi, Jean et Guillaume Pech, 1689.
- De nombreuses lettres et poésies figurent dans le recueil publié par M. de Vertron, La Nouvelle Pandore ou les femmes illustres de ce siècle, Paris, Veuve Mazuel, 1698.
- « Inscriptions tirées de l'écriture sainte pour les arcs de triomphe dressés dans la ville d'Alby le 22 septembre 1700 en la solennité de la translation des reliques de Saint Clair martyr, premier évêque d'Alby», dans Mercure galant, septembre 1700.
- « Relation de l'entrée de Mgr de Nesmond, archevêque d'Alby », dans Mercure galant, avril 1704.
- Correspondance (partiellement ?) éditée dans Lettres de Mmes de Scudéry, de Salvan de Saliez et de Mlle Descartes, Collin, 1806.
- Œuvres complètes, édition annotée par Gérard Gouvernet, Paris, Honoré Champion, «Sources classiques», 2004.
Choix bibliographique
- Grande, Nathalie, Stratégies de romancières de Clélie à La Princesse de Clèves (1654-1678), Paris, Honoré Champion, « Lumière classique » n° 20, 1999, passim.
- Grande, Nathalie, « Madame de Saliez, une précieuse occitane », dans Garona (revue de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine), n° 16 (décembre 2000), p. 47-62.
- Maître, Myriam, Les Précieuses, Naissance des femmes de lettres en France au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 335-337 et p. 716.
- Pianori, Renata, « Antoinette de Salvan de Saliès, una femminista avanti lettera », dans Atti e Memorie dell’Academia patavina di Scienze Lettere et Arti già Accademia dei Ricovrati (1982-83), volume 95, parte III, p. 33-63.
- Stuurman Siep, « Literary Feminism in Seventeenteh Century Southern France, The case of Antoinette de Salvan de Saliez », dans Journal of modern History, n° 71, march 1999, p. 1-27.
Choix iconographique
- Un portrait, sans date, issu d’une collection particulière, est reproduit dans l’édition de G. Gouvernet, p. 481.
Jugements
- « Gélasire a de l’esprit infiniment, et beaucoup de politesse, pour n’être jamais sortie de la Province. Elle fait des vers fort galants et fort heureux, et sa Prose est spirituelle et brillante », (Donneau de Visé, L’Amour échappé, 1669, III p. 32)
- « C’est une dame d’un fort grand mérite. Tous ceux qui ont lu La Comtesse d’Isambourg, que nous avons d’elle, connaissent la force et la délicatesse de son esprit. Elle s’appelle Mme de Saliez et si sa prose est aisée, on n’a pas moins sujet d’admirer le tour naturel qu’elle donne aux vers » (Donneau de Visé, Mercure galant, mars 1678, p. 90-91)
- « Il m’a suffi de la connaître pour aussitôt l’admirer et lui être acquis. Je ne peux oublier la sagacité d’esprit dont l’a dotée la nature en tous domaines ; son sens de la réplique et l’éloquence de son discours ; la pureté et l’élégance de son écriture ; la délicatesse, l’aisance, l’expressivité des vers qu’elle compose. Aussi mérite-t-elle amplement de porter le surnom de Sapho, qui, de l’approbation de tous, lui a été donné. Elle choisit ses amis, et que mon nom figure sur leur liste me remplit de joie et me procure une immense fierté » (Louis-Julien de Héricourt, De Academia Suessionensi cum epistolis ad familiares, Montauban, 1688, p. 48-50. Traduction du latin par Bérénice Stoll, dans l’édition de G. Gouvernet, op. cit., p. 46).
- « [Elle…] a été, par son génie et son goût pour les sciences, un des ornements de la République des Lettres […]. A l’exemple de Sapho, sa maison était ouverte à tous les Gens de Lettres, et il s’y tenait des assemblées où l’on discourait sur toutes sortes de sciences ». (Philibert Riballier et Charlotte-Catherine Cosson de La Cressonnière, De l'éducation physique et morale des femmes, avec une notice alphabétique de celles qui se sont distinguées dans les différentes carrières des sciences & des beaux-arts, ou par des talents & des actions mémorables, Paris, 1779, notice « Saliez »).
- « Mme de Saliez, romancière, poète, chroniqueuse, salonnière, académicienne, peut apparaître à certains seulement comme une « muse de département » (si l’on ose l’anachronisme), certes attachante par ses tentatives pour animer la vie intellectuelle d’une petite capitale de province. Ce serait cependant oublier que par sa vie comme par ses œuvres, elle donne l’exemple d’une femme qui s’est fait connaître en France, et même au-delà des frontières, sans avoir jamais quitté son Albi natal. Un tel rayonnement [est une] invitation à réévaluer l’histoire littéraire qu’une conception trop étroite a trop longtemps entraînée sur les pentes de la sélection, d’une hiérarchie qui évoque plus le classement de fin de trimestre que l’ouverture à la diversité des cultures […]. Travailler à rendre leur place à des auteurs comme Mme de Saliez ne relève donc pas seulement de l’exercice d’érudition, mais aussi d’un choix de culture » (Nathalie Grande, « Madame de Saliez, une précieuse occitane », dans Garona, n° 16 (décembre 2000), p. 61-62.
- « Cette femme de lettres, sans certes avoir jamais atteint le niveau de célébrité de ses deux compatriotes [Toulouse-Lautrec et La Pérouse] est parvenue à acquérir une notoriété certaine dans la France de Louis XIV et ce, en ayant passé toute sa vie dans l’Albigeois, en province donc. Ce qui, au XVIIe siècle, paraît une gageure » (Gérard Gouvernet, introduction à l’édition des Œuvres complètes, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 7).