Jeanne de Lestonnac : Différence entre versions
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− | | conjoints = | + | | conjoints = Gaston de Montferrand, baron de Landiras |
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− | Dans le cadre de la Réforme catholique, Jeanne de Lestonnac, née en 1556, appartient au cénacle étroit des grandes veuves fondatrices de congrégations religieuses. Fille du très catholique conseiller au parlement Richard de Lestonnac et de Jeanne Eyquem, sœur cadette de Montaigne gagnée au protestantisme, elle connaît une enfance tourmentée, presque déchirée, entre les deux confessions. De la « tentation » protestante, elle va garder toute sa vie comme un remords qui s’exprime dans une spiritualité de réparation. Elle est mariée à dix-sept ans au baron de Landiras. Quatre enfants survivront | + | Dans le cadre de la Réforme catholique, Jeanne de Lestonnac, née en 1556, appartient au cénacle étroit des grandes veuves fondatrices de congrégations religieuses. Fille du très catholique conseiller au parlement Richard de Lestonnac et de Jeanne Eyquem, sœur cadette de Montaigne gagnée au protestantisme, elle connaît une enfance tourmentée, presque déchirée, entre les deux confessions. De la « tentation » protestante, elle va garder toute sa vie comme un remords qui s’exprime dans une spiritualité de réparation. Elle est mariée à dix-sept ans au baron de Landiras. Quatre enfants survivront parmi lesquels deux filles qui entreront en religion. Devenue veuve, elle achève l’éducation de ses enfants, avant de songer à entrer en religion. En 1603, son expérience chez les feuillantines de Toulouse se solde par un échec.<br> |
Menant à Bordeaux la vie d’une veuve pieuse, elle songe à la fondation d’un nouvel institut féminin, sur le modèle de la Compagnie de Jésus. Il faut toute la détermination de Jeanne et l’habileté des jésuites qui la dirigent, le P. de Bordes et le P. Raymond, pour vaincre les réticences du très autoritaire cardinal de Sourdis, grand archevêque réformateur jaloux de son autorité. En 1607, la bulle de fondation est enfin obtenue pour la nouvelle congrégation dont le nom très révélateur traduit la filiation : Compagnie de Marie-Notre Dame. La mission apostolique très affirmée doit composer avec une clôture dans l’esprit du temps, clôture au demeurant adaptée à la fonction enseignante par la dispense d’une longue présence au chœur. | Menant à Bordeaux la vie d’une veuve pieuse, elle songe à la fondation d’un nouvel institut féminin, sur le modèle de la Compagnie de Jésus. Il faut toute la détermination de Jeanne et l’habileté des jésuites qui la dirigent, le P. de Bordes et le P. Raymond, pour vaincre les réticences du très autoritaire cardinal de Sourdis, grand archevêque réformateur jaloux de son autorité. En 1607, la bulle de fondation est enfin obtenue pour la nouvelle congrégation dont le nom très révélateur traduit la filiation : Compagnie de Marie-Notre Dame. La mission apostolique très affirmée doit composer avec une clôture dans l’esprit du temps, clôture au demeurant adaptée à la fonction enseignante par la dispense d’une longue présence au chœur. | ||
Dans son projet éducatif qu’elle destine aux filles, Jeanne de Lestonnac subit trois influences : l’idéal humaniste de Montaigne, l’école calviniste et le modèle ignatien. Le modèle éducatif exprimé dans Les Constitutions, elles-mêmes inspirées par la ''Ratio Studiorum'' (projet pédagogique des jésuites), prévoit tout : une instruction d’un niveau élevé dispensée en français, l’accompagnement personnel, l’idéal de la relation éducative empathique, l’importance de la répétition, l’émulation avec le classement des élèves par ordre de mérite, les punitions aussi, les temps de silence à respecter, les arts d’agréments comme la couture en chantant, en un mot une pédagogie progressive et personnalisée baignant dans des pratiques de dévotion mariale. Le succès est immédiat et bientôt la maison bordelaise essaime : Béziers dès 1616, puis Poitiers, Le Puy, Périgueux, Agen, la Flèche, Riom, Saintes, Pau où Jeanne se rend en personne, Toulouse (1630)... <br> | Dans son projet éducatif qu’elle destine aux filles, Jeanne de Lestonnac subit trois influences : l’idéal humaniste de Montaigne, l’école calviniste et le modèle ignatien. Le modèle éducatif exprimé dans Les Constitutions, elles-mêmes inspirées par la ''Ratio Studiorum'' (projet pédagogique des jésuites), prévoit tout : une instruction d’un niveau élevé dispensée en français, l’accompagnement personnel, l’idéal de la relation éducative empathique, l’importance de la répétition, l’émulation avec le classement des élèves par ordre de mérite, les punitions aussi, les temps de silence à respecter, les arts d’agréments comme la couture en chantant, en un mot une pédagogie progressive et personnalisée baignant dans des pratiques de dévotion mariale. Le succès est immédiat et bientôt la maison bordelaise essaime : Béziers dès 1616, puis Poitiers, Le Puy, Périgueux, Agen, la Flèche, Riom, Saintes, Pau où Jeanne se rend en personne, Toulouse (1630)... <br> | ||
− | A la mort de la fondatrice, le 2 février 1640, une trentaine maisons était établie. Au début du XXIe siècle, l’institut est encore présent dans 27 pays, et tout particulièrement dans les pays hispanophones (Espagne, Colombie, Mexique et « cône sud »). Fort de quelque 1600 sœurs, réparties en 134 communautés, il se consacre à une mission d’éducation au service des jeunes et aux côté des femmes, souvent défavorisées dans les pays du tiers-monde. Dirigé de Rome, mais restant fidèle à son berceau bordelais, il conserve le souvenir de sa fondatrice qui fut tout à la fois une femme d’action et une mystique pratiquant Les Exercices spirituels et l’oraison mentale, ce qui la conduisait parfois jusqu’à l’extase. Selon ses hagiographes, elle communiait fréquemment, s’imposait de sévères mortifications, couchait sur la dure en temps de Carême, multipliait les jeûnes. Sa lecture favorite, faite fréquemment à ses filles, était la Lettre de saint Paul aux Corinthiens dans laquelle l’apôtre vante les excellences de la charité. Les vertus héroïques de Jeanne de Lestonnac ne furent officiellement reconnues qu’au XXe siècle : elle fut béatifiée en 1900 par Léon XIII et canonisée en 1949 par Pie XII. | + | A la mort de la fondatrice, le 2 février 1640, une trentaine maisons était établie. Au début du XXIe siècle, l’institut est encore présent dans 27 pays, et tout particulièrement dans les pays hispanophones (Espagne, Colombie, Mexique et « cône sud »). Fort de quelque 1600 sœurs, réparties en 134 communautés, il se consacre à une mission d’éducation au service des jeunes et aux côté des femmes, souvent défavorisées dans les pays du tiers-monde. Dirigé de Rome, mais restant fidèle à son berceau bordelais, il conserve le souvenir de sa fondatrice qui fut tout à la fois une femme d’action et une mystique pratiquant Les ''Exercices spirituels'' et l’oraison mentale, ce qui la conduisait parfois jusqu’à l’extase. Selon ses hagiographes, elle communiait fréquemment, s’imposait de sévères mortifications, couchait sur la dure en temps de Carême, multipliait les jeûnes. Sa lecture favorite, faite fréquemment à ses filles, était la ''Lettre de saint Paul aux Corinthiens'' dans laquelle l’apôtre vante les excellences de la charité. Les vertus héroïques de Jeanne de Lestonnac ne furent officiellement reconnues qu’au XXe siècle : elle fut béatifiée en 1900 par Léon XIII et canonisée en 1949 par Pie XII. |
− | Certes, à ce jour, elle n’occupe pas la place qu’elle mériterait, peut-être en partie en raison de la discrétion de son institut, plus soucieux d’efficacité que de notoriété. Il y a chez Jeanne de Lestonnac, comme chez beaucoup de ces agents féminins de la Réforme catholique, un sens très fort de l’universalité et de la modernité, avec en même temps, ce qui n’est pas contradictoire, une réinsertion dans la grande tradition, par le retour des femmes dans l’apostolat, comme dans | + | Certes, à ce jour, elle n’occupe pas la place qu’elle mériterait, peut-être en partie en raison de la discrétion de son institut, plus soucieux d’efficacité que de notoriété. Il y a chez Jeanne de Lestonnac, comme chez beaucoup de ces agents féminins de la Réforme catholique, un sens très fort de l’universalité et de la modernité, avec en même temps, ce qui n’est pas contradictoire, une réinsertion dans la grande tradition, par le retour des femmes dans l’apostolat, comme dans l’Église primitive. |
==Oeuvre== | ==Oeuvre== | ||
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* François de Toulouse, ''La vie de la vénérable Mère Jeanne de l’Estonnac…'', Toulouse, J. Pesch, 1671, 473 p. | * François de Toulouse, ''La vie de la vénérable Mère Jeanne de l’Estonnac…'', Toulouse, J. Pesch, 1671, 473 p. | ||
* Bouzonié, le P. Jean, ''Histoire de l’ordre des religieuses filles de Notre-Dame'', Poitiers, Braud, 1697, 613 p. -- rééd. annot. Françoise Soury-Lavergne, Rome, Typ. vaticane, 2012, 937 p. | * Bouzonié, le P. Jean, ''Histoire de l’ordre des religieuses filles de Notre-Dame'', Poitiers, Braud, 1697, 613 p. -- rééd. annot. Françoise Soury-Lavergne, Rome, Typ. vaticane, 2012, 937 p. | ||
− | + | * Beaufils, le P. Guillaume, ''La vie de la vénérable mère de Lestonnac, fondatrice des religieuses de Notre-Dame'', Toulouse, P. Robert, 1742, 399 p. | |
− | + | * Foz y Foz, Pilar, odn, ''Fuentes primarias para la historia de la educación de la mujer en Europa y América, Archivos históricos Compañía de Maria Nuestra Señora, 1607-1621'', Rome, Tipografía poliglota vaticana, 1989, 1445 p. | |
==Choix bibliographique== | ==Choix bibliographique== | ||
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* Suire, Eric, ''La sainteté française de la Réforme catholique (XVIe-XVIIe siècles) d’après les textes hagiographiques et les procès de canonisation'', Bordeaux, PUB, 2001, 507 p. | * Suire, Eric, ''La sainteté française de la Réforme catholique (XVIe-XVIIe siècles) d’après les textes hagiographiques et les procès de canonisation'', Bordeaux, PUB, 2001, 507 p. | ||
* Numéro consacré à Jeanne de Lestonnac de la ''Revue française d’histoire du livre'', n° 128, nouvelle série, 2007, avec des articles de Claude Grenet-Delisle (« Jeanne de Lestonnac, la baronne de Landiras »), Pierre Coudroy de Lille (« Développement et essor de l’ordre enseignant de Marie Notre-Dame depuis 1640 jusqu’à 1792 ») et de Philippe Loupès, (« Jeanne de Lestonnac, un chemin de sainteté »). | * Numéro consacré à Jeanne de Lestonnac de la ''Revue française d’histoire du livre'', n° 128, nouvelle série, 2007, avec des articles de Claude Grenet-Delisle (« Jeanne de Lestonnac, la baronne de Landiras »), Pierre Coudroy de Lille (« Développement et essor de l’ordre enseignant de Marie Notre-Dame depuis 1640 jusqu’à 1792 ») et de Philippe Loupès, (« Jeanne de Lestonnac, un chemin de sainteté »). | ||
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+ | ==Choix iconographique== | ||
+ | * 1645?: Portrait gravé en frontispice publié dans D. de Saincte-Marie,'' Abrégé…'', Voir ''supra'' Principales sources. | ||
+ | * XVIIe s.: « Jeanne de Lestonnac remettant le voile de novices à deux jeunes filles de Périgueux, Huile sur toile, Musée d’art et d’archéologie du Périgord, inv.n° B 427 (photo de Bernard Dupuy). | ||
+ | * 1697 : Portrait gravé en frontispice publié dans Jean Bouzonié, ''Histoire de l’ordre des religieuses filles…'', Voir ''supra'' Principales sources. | ||
+ | * 1901 : L. Fournier, Jeanne de Lestonnac, Statue, Cathédrale de Bordeaux. | ||
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+ | ==Jugements== | ||
+ | * « Il ne faut pas obmettre ici une chose digne de remarque, c’est qu’elle portoit tant d’amour de S. Ignace fondateur de la Compagnie de Jésus, et affectionnoit si fort tout ce qui luy avoit appartenu, et qui le touchoit, qu’elle ne consentit à s’en aller fonder à Pau, que pour avoir un moyen plus facile, et un accez plus libre de passer en Espagne, pour planter son Ordre dans les propres terres où S. Ignace de Loyola estoit nay, et je croy qu’il ne tint pas à elle qu’elle ne mit à exécution ce pieux dessein, mais la divine providence en avoit disposé autrement » (D. de Saincte-Marie, ''Abrégé de la vie de madame Jeanne de Lestonnac…'', Voir ''supra'' Principales sources, [1645], p. 115). | ||
+ | * « Entre ces lumières, elle avait un admirable discernement des esprits qui lui faisait quelquefois apporter des remèdes à des maux qu’on ne lui avait pas découverts. Un jour, elle dit en secret à une Religieuse qu’elles étaient les inclinations de son âme ; et elle ne commença qu’alors à trouver du défaut en ce qui lui avait toujours paru innocent. Cette connaissance des passions et des pensées faisait qu’elle donnait des avis différents et convenables aux personnes qui s’adressaient à elle et qui demandaient ses soins. Elle traitait autrement une passion naissante que celle qu’un long empire et qu’une pleine liberté rendait opiniâtre. ; elle employait des remèdes plus forts pour guérir des maux qui se produisent au dehors et qui peuvent mettre le trouble dans une Communauté que pour ceux qui s’arrêtent à la personne qui les fait naître, et on admirait quelquefois son application à combattre de très légères fautes, dont elle voyait mieux que les autres les dangereuses suites » (Jean Bouzonié, ''Histoire de l’ordre des religieuses filles de Notre-Dame…'' [1697], rééd. 2012, Voir ''supra'' Principales sources, p. 414. | ||
+ | * « Elle étoit d’une haute taille, d’un air grave et majestueux, conservant encore dans une vieillesse très avancée des restes d’une beauté que le tems n’avoit pu entièrement effacer. Elle étoit généreuse, affable, pleine d’agrément dans la conversation, se familiarisant sans bassesse, mais seulement pour se faire, à l’exemple de l’Apôtre, toute à tous et gagner à Dieu les personnes de tous états. Elle avoit le cœur noble, élevé, capable de former de grandes entreprises, avec un esprit industrieux pour les conduire avec sagesse et un courage patient et ferme, propre à les soutenir contre les plus grandes difficultéz. Les vertus les plus éminentes rehaussoient en elle le prix de ces dons naturels, en les sanctifiant et en les faisant uniquement servir à la gloire de Dieu et aux progrez de la vertu dans les âmes » (Guillaume Beaufils, ''La vie de la vénérable mère de Lestonnac'', … Voir ''supra'' Principales sources, 1742, p. 305). | ||
+ | * « [Après son retour de Toulouse], elle est prête pour travailler à la grande œuvre : donner au monde des femmes qui sachent y tenir leur place, une place de militantes pour le maintien dans la société de la foi et de la fidélité à Dieu et à l’Eglise. Toute sa vie, en apparence décousue, n’a été que l’élaboration du plan providentiel. Le temps est venu de sa réalisation. La lumière se fait, plus de doute. Il lui faut fonder un Ordre religieux qui aura cette mission à remplir. Ici encore sa part est la part douloureuse. Ses filles devront joindre à la vie contemplative celle de l’instruction, de l’éducation. Si difficile, à certains égards, qu’elle puisse être, cette vie mixte a pourtant ses attraits. Pour elle, après le labeur et les soucis de fondations dans les conditions les plus ardues , après la rédaction, bien souvent entravée, des constitutions, après les tracas des installations, sa part au sein même de la famille dont elle est mère, sera d’être clouée, souffrante et humiliée sur la croix…Contre l’hérésie de son temps, acharnée à proscrire Marie, elle veut donner à Marie des enfants pleines d’amour et de dévouement et donner à celles-ci Marie pour Mère. L’Ordre nouveau sera celui des Filles de Notre-Dame, vouées à son service, au culte de la Conception Immaculée, et les petites filles seront consacrées à Marie dans le mystère de la Présentation. » («Discours de Pie XII aux pèlerins réunis à Rome pour la canonisation de Jeanne de Lestonnac, 19 mai 1949», dans ''Discours et messages-radio de S.S. Pie XII'', t. XI, Rome, Typographie polyglotte vaticane, p.79-84. | ||
+ | * « L’esquisse de cette personnalité marque donc déjà une direction. Jeanne de Lestonnac s’avance vers un but qui, malgré les circonstances d’apparence contraire au cours de sa vie, peut néanmoins s’y lire en transparence. Cette « future » fondatrice est créative dès le berceau et cette « future » éducatrice » n’a rien perdu pour attendre si longtemps le droit d’en avoir le titre officiel. Bien au contraire, les problèmes qu’il lui a fallu affronter n’ont fait qu’accuser avec plus de soin la préparation exigée par le métier qui l’attend » (Françoise Soury-Lavergne, ''Chemin d’éducation…'', Voir ''supra'' Choix bibliographique, 1985, p.52). | ||
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Version actuelle en date du 18 décembre 2014 à 11:54
Jeanne de Lestonnac | ||
Conjoint(s) | Gaston de Montferrand, baron de Landiras | |
---|---|---|
Dénomination(s) | Sainte Jeanne de Lestonnac | |
Biographie | ||
Date de naissance | 1556 | |
Date de décès | 1640 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice de Philippe Loupès, 2013
Dans le cadre de la Réforme catholique, Jeanne de Lestonnac, née en 1556, appartient au cénacle étroit des grandes veuves fondatrices de congrégations religieuses. Fille du très catholique conseiller au parlement Richard de Lestonnac et de Jeanne Eyquem, sœur cadette de Montaigne gagnée au protestantisme, elle connaît une enfance tourmentée, presque déchirée, entre les deux confessions. De la « tentation » protestante, elle va garder toute sa vie comme un remords qui s’exprime dans une spiritualité de réparation. Elle est mariée à dix-sept ans au baron de Landiras. Quatre enfants survivront parmi lesquels deux filles qui entreront en religion. Devenue veuve, elle achève l’éducation de ses enfants, avant de songer à entrer en religion. En 1603, son expérience chez les feuillantines de Toulouse se solde par un échec.
Menant à Bordeaux la vie d’une veuve pieuse, elle songe à la fondation d’un nouvel institut féminin, sur le modèle de la Compagnie de Jésus. Il faut toute la détermination de Jeanne et l’habileté des jésuites qui la dirigent, le P. de Bordes et le P. Raymond, pour vaincre les réticences du très autoritaire cardinal de Sourdis, grand archevêque réformateur jaloux de son autorité. En 1607, la bulle de fondation est enfin obtenue pour la nouvelle congrégation dont le nom très révélateur traduit la filiation : Compagnie de Marie-Notre Dame. La mission apostolique très affirmée doit composer avec une clôture dans l’esprit du temps, clôture au demeurant adaptée à la fonction enseignante par la dispense d’une longue présence au chœur.
Dans son projet éducatif qu’elle destine aux filles, Jeanne de Lestonnac subit trois influences : l’idéal humaniste de Montaigne, l’école calviniste et le modèle ignatien. Le modèle éducatif exprimé dans Les Constitutions, elles-mêmes inspirées par la Ratio Studiorum (projet pédagogique des jésuites), prévoit tout : une instruction d’un niveau élevé dispensée en français, l’accompagnement personnel, l’idéal de la relation éducative empathique, l’importance de la répétition, l’émulation avec le classement des élèves par ordre de mérite, les punitions aussi, les temps de silence à respecter, les arts d’agréments comme la couture en chantant, en un mot une pédagogie progressive et personnalisée baignant dans des pratiques de dévotion mariale. Le succès est immédiat et bientôt la maison bordelaise essaime : Béziers dès 1616, puis Poitiers, Le Puy, Périgueux, Agen, la Flèche, Riom, Saintes, Pau où Jeanne se rend en personne, Toulouse (1630)...
A la mort de la fondatrice, le 2 février 1640, une trentaine maisons était établie. Au début du XXIe siècle, l’institut est encore présent dans 27 pays, et tout particulièrement dans les pays hispanophones (Espagne, Colombie, Mexique et « cône sud »). Fort de quelque 1600 sœurs, réparties en 134 communautés, il se consacre à une mission d’éducation au service des jeunes et aux côté des femmes, souvent défavorisées dans les pays du tiers-monde. Dirigé de Rome, mais restant fidèle à son berceau bordelais, il conserve le souvenir de sa fondatrice qui fut tout à la fois une femme d’action et une mystique pratiquant Les Exercices spirituels et l’oraison mentale, ce qui la conduisait parfois jusqu’à l’extase. Selon ses hagiographes, elle communiait fréquemment, s’imposait de sévères mortifications, couchait sur la dure en temps de Carême, multipliait les jeûnes. Sa lecture favorite, faite fréquemment à ses filles, était la Lettre de saint Paul aux Corinthiens dans laquelle l’apôtre vante les excellences de la charité. Les vertus héroïques de Jeanne de Lestonnac ne furent officiellement reconnues qu’au XXe siècle : elle fut béatifiée en 1900 par Léon XIII et canonisée en 1949 par Pie XII.
Certes, à ce jour, elle n’occupe pas la place qu’elle mériterait, peut-être en partie en raison de la discrétion de son institut, plus soucieux d’efficacité que de notoriété. Il y a chez Jeanne de Lestonnac, comme chez beaucoup de ces agents féminins de la Réforme catholique, un sens très fort de l’universalité et de la modernité, avec en même temps, ce qui n’est pas contradictoire, une réinsertion dans la grande tradition, par le retour des femmes dans l’apostolat, comme dans l’Église primitive.
Oeuvre
- Règles et constitutions des religieuses de Notre-Dame dont le premier établissement fut fait dans la ville de Bordeaux… par Mme de Lestonnac…, Bordeaux, La Court, 1722, 401 p. -- rééd. Clermont-Ferrand, Librairie catholique, 1844, XXIV-358 p.
Principales sources
- D. de Saincte-Marie, Abrégé de la vie de madame Jeanne de Lestonnac, veuve du sieur baron de Landiras, fondatrice de l’ordre des religieuses de Notre-Dame, s.l.n.d., [Toulouse?, 1645].
- François de Toulouse, La vie de la vénérable Mère Jeanne de l’Estonnac…, Toulouse, J. Pesch, 1671, 473 p.
- Bouzonié, le P. Jean, Histoire de l’ordre des religieuses filles de Notre-Dame, Poitiers, Braud, 1697, 613 p. -- rééd. annot. Françoise Soury-Lavergne, Rome, Typ. vaticane, 2012, 937 p.
- Beaufils, le P. Guillaume, La vie de la vénérable mère de Lestonnac, fondatrice des religieuses de Notre-Dame, Toulouse, P. Robert, 1742, 399 p.
- Foz y Foz, Pilar, odn, Fuentes primarias para la historia de la educación de la mujer en Europa y América, Archivos históricos Compañía de Maria Nuestra Señora, 1607-1621, Rome, Tipografía poliglota vaticana, 1989, 1445 p.
Choix bibliographique
- Colloque, Michel de Montaigne, Jeanne de Lestonnac : aux sources d’un nouvel humanisme chrétien pour notre temps ?, Bordeaux, Compagnie Notre-Dame, 2006, 143 p.
- Loupès, Philippe, L’apogée du catholicisme bordelais à l’époque tridentine (1600-1789), Bordeaux, Mollat, 2001, 341 p.
- Soury-Lavergne, Françoise, Un chemin d’éducation : sur les traces de Jeanne de Lestonnac, 1556-1640, Chambray-les-Tours, C.D.L., 1985, 455 p. (texte remanié de la thèse 3e cycle, Lyon II, 1984 : L’oeuvre éducatrice de Jeanne de Lestonnac )
- Suire, Eric, La sainteté française de la Réforme catholique (XVIe-XVIIe siècles) d’après les textes hagiographiques et les procès de canonisation, Bordeaux, PUB, 2001, 507 p.
- Numéro consacré à Jeanne de Lestonnac de la Revue française d’histoire du livre, n° 128, nouvelle série, 2007, avec des articles de Claude Grenet-Delisle (« Jeanne de Lestonnac, la baronne de Landiras »), Pierre Coudroy de Lille (« Développement et essor de l’ordre enseignant de Marie Notre-Dame depuis 1640 jusqu’à 1792 ») et de Philippe Loupès, (« Jeanne de Lestonnac, un chemin de sainteté »).
Choix iconographique
- 1645?: Portrait gravé en frontispice publié dans D. de Saincte-Marie, Abrégé…, Voir supra Principales sources.
- XVIIe s.: « Jeanne de Lestonnac remettant le voile de novices à deux jeunes filles de Périgueux, Huile sur toile, Musée d’art et d’archéologie du Périgord, inv.n° B 427 (photo de Bernard Dupuy).
- 1697 : Portrait gravé en frontispice publié dans Jean Bouzonié, Histoire de l’ordre des religieuses filles…, Voir supra Principales sources.
- 1901 : L. Fournier, Jeanne de Lestonnac, Statue, Cathédrale de Bordeaux.
Jugements
- « Il ne faut pas obmettre ici une chose digne de remarque, c’est qu’elle portoit tant d’amour de S. Ignace fondateur de la Compagnie de Jésus, et affectionnoit si fort tout ce qui luy avoit appartenu, et qui le touchoit, qu’elle ne consentit à s’en aller fonder à Pau, que pour avoir un moyen plus facile, et un accez plus libre de passer en Espagne, pour planter son Ordre dans les propres terres où S. Ignace de Loyola estoit nay, et je croy qu’il ne tint pas à elle qu’elle ne mit à exécution ce pieux dessein, mais la divine providence en avoit disposé autrement » (D. de Saincte-Marie, Abrégé de la vie de madame Jeanne de Lestonnac…, Voir supra Principales sources, [1645], p. 115).
- « Entre ces lumières, elle avait un admirable discernement des esprits qui lui faisait quelquefois apporter des remèdes à des maux qu’on ne lui avait pas découverts. Un jour, elle dit en secret à une Religieuse qu’elles étaient les inclinations de son âme ; et elle ne commença qu’alors à trouver du défaut en ce qui lui avait toujours paru innocent. Cette connaissance des passions et des pensées faisait qu’elle donnait des avis différents et convenables aux personnes qui s’adressaient à elle et qui demandaient ses soins. Elle traitait autrement une passion naissante que celle qu’un long empire et qu’une pleine liberté rendait opiniâtre. ; elle employait des remèdes plus forts pour guérir des maux qui se produisent au dehors et qui peuvent mettre le trouble dans une Communauté que pour ceux qui s’arrêtent à la personne qui les fait naître, et on admirait quelquefois son application à combattre de très légères fautes, dont elle voyait mieux que les autres les dangereuses suites » (Jean Bouzonié, Histoire de l’ordre des religieuses filles de Notre-Dame… [1697], rééd. 2012, Voir supra Principales sources, p. 414.
- « Elle étoit d’une haute taille, d’un air grave et majestueux, conservant encore dans une vieillesse très avancée des restes d’une beauté que le tems n’avoit pu entièrement effacer. Elle étoit généreuse, affable, pleine d’agrément dans la conversation, se familiarisant sans bassesse, mais seulement pour se faire, à l’exemple de l’Apôtre, toute à tous et gagner à Dieu les personnes de tous états. Elle avoit le cœur noble, élevé, capable de former de grandes entreprises, avec un esprit industrieux pour les conduire avec sagesse et un courage patient et ferme, propre à les soutenir contre les plus grandes difficultéz. Les vertus les plus éminentes rehaussoient en elle le prix de ces dons naturels, en les sanctifiant et en les faisant uniquement servir à la gloire de Dieu et aux progrez de la vertu dans les âmes » (Guillaume Beaufils, La vie de la vénérable mère de Lestonnac, … Voir supra Principales sources, 1742, p. 305).
- « [Après son retour de Toulouse], elle est prête pour travailler à la grande œuvre : donner au monde des femmes qui sachent y tenir leur place, une place de militantes pour le maintien dans la société de la foi et de la fidélité à Dieu et à l’Eglise. Toute sa vie, en apparence décousue, n’a été que l’élaboration du plan providentiel. Le temps est venu de sa réalisation. La lumière se fait, plus de doute. Il lui faut fonder un Ordre religieux qui aura cette mission à remplir. Ici encore sa part est la part douloureuse. Ses filles devront joindre à la vie contemplative celle de l’instruction, de l’éducation. Si difficile, à certains égards, qu’elle puisse être, cette vie mixte a pourtant ses attraits. Pour elle, après le labeur et les soucis de fondations dans les conditions les plus ardues , après la rédaction, bien souvent entravée, des constitutions, après les tracas des installations, sa part au sein même de la famille dont elle est mère, sera d’être clouée, souffrante et humiliée sur la croix…Contre l’hérésie de son temps, acharnée à proscrire Marie, elle veut donner à Marie des enfants pleines d’amour et de dévouement et donner à celles-ci Marie pour Mère. L’Ordre nouveau sera celui des Filles de Notre-Dame, vouées à son service, au culte de la Conception Immaculée, et les petites filles seront consacrées à Marie dans le mystère de la Présentation. » («Discours de Pie XII aux pèlerins réunis à Rome pour la canonisation de Jeanne de Lestonnac, 19 mai 1949», dans Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, t. XI, Rome, Typographie polyglotte vaticane, p.79-84.
- « L’esquisse de cette personnalité marque donc déjà une direction. Jeanne de Lestonnac s’avance vers un but qui, malgré les circonstances d’apparence contraire au cours de sa vie, peut néanmoins s’y lire en transparence. Cette « future » fondatrice est créative dès le berceau et cette « future » éducatrice » n’a rien perdu pour attendre si longtemps le droit d’en avoir le titre officiel. Bien au contraire, les problèmes qu’il lui a fallu affronter n’ont fait qu’accuser avec plus de soin la préparation exigée par le métier qui l’attend » (Françoise Soury-Lavergne, Chemin d’éducation…, Voir supra Choix bibliographique, 1985, p.52).