Suzanne Habert : Différence entre versions
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− | Suzanne Habert naît à Paris de Jacqueline de Montmillet et d’un maître d’écriture, Pierre Habert, frère du poète François Habert. L’édition du ''Chemin de bien vivre'' que son père publie en 1572 témoigne de sa carrière et de son intérêt pour l’instruction féminine | + | Suzanne Habert naît à Paris de Jacqueline de Montmillet et d’un maître d’écriture, Pierre Habert, frère du poète François Habert. L’édition du ''Chemin de bien vivre'' que son père publie en 1572 témoigne de sa carrière et de son intérêt pour l’instruction féminine : devenu commis du trésorier général du duc d’Anjou, il dédie ce manuel aux filles du trésorier Moreau, Charlotte et Marie. Dans les années 1580, il appartient au premier cercle de Henri III, par sa charge de secrétaire des finances du roi, de la maison et couronne de France, dans laquelle lui succède son fils Isaac, né vers 1560, poète estimé.<br/> |
Déjà mariée en 1576 à Charles Du Jardin, orfèvre du roi, désigné comme valet de chambre du roi en 1581, Suzanne est déclarée séparée de biens en janvier 1584 et devient veuve après 1585. Le verdict d’un procès qu’elle intente indique que son époux est en faillite fin 1585. Bien qu’elle ait d’abord obtenu la saisie des biens de son mari, afin de préserver sa dot et son douaire, un banquier génois s’oppose à une telle saisie qui privilégierait l’épouse parmi les créanciers. Elle perd en appel, le verdict tranchant en faveur d’un dédommagement des créanciers en proportion des créances respectives.<br/> | Déjà mariée en 1576 à Charles Du Jardin, orfèvre du roi, désigné comme valet de chambre du roi en 1581, Suzanne est déclarée séparée de biens en janvier 1584 et devient veuve après 1585. Le verdict d’un procès qu’elle intente indique que son époux est en faillite fin 1585. Bien qu’elle ait d’abord obtenu la saisie des biens de son mari, afin de préserver sa dot et son douaire, un banquier génois s’oppose à une telle saisie qui privilégierait l’épouse parmi les créanciers. Elle perd en appel, le verdict tranchant en faveur d’un dédommagement des créanciers en proportion des créances respectives.<br/> | ||
Cette période de déboires correspond cependant à celle de sa renommée humaniste. Des sonnets de Jean Bertaut célèbrent ses qualités morales et intellectuelles. Imprimés dans un recueil (1610) réuni en hommage au beau-frère de Suzanne, l’homme de lettres Roland Du Jardin, ils sont conservés dans les papiers de Jean Dorat. La Croix Du Maine distingue son savoir en mathématiques et philosophie (1584). Enfin, Lucas Tremblay, professeur de mathématiques, lui dédie un traité d’arithmétique (1585).<br/> | Cette période de déboires correspond cependant à celle de sa renommée humaniste. Des sonnets de Jean Bertaut célèbrent ses qualités morales et intellectuelles. Imprimés dans un recueil (1610) réuni en hommage au beau-frère de Suzanne, l’homme de lettres Roland Du Jardin, ils sont conservés dans les papiers de Jean Dorat. La Croix Du Maine distingue son savoir en mathématiques et philosophie (1584). Enfin, Lucas Tremblay, professeur de mathématiques, lui dédie un traité d’arithmétique (1585).<br/> | ||
− | Après 1599, veuve dévote et riche héritière, Suzanne Habert manoeuvre pour préserver son patrimoine, sollicitant le chancelier de Bellièvre dans la succession de son père contre un Gondi (1603), gagnant un procès au sujet d’une reconnaissance de dette signée par son mari (1604). Dans la lignée de cette gestion patrimoniale active, elle finit par léguer sa fortune (1615) aux bénédictines de Notre-Dame-de-Grâce, prieuré érigé deux ans plus tôt dans le faubourg parisien de | + | Après 1599, veuve dévote et riche héritière, Suzanne Habert manoeuvre pour préserver son patrimoine, sollicitant le chancelier de Bellièvre dans la succession de son père contre un Gondi (1603), gagnant un procès au sujet d’une reconnaissance de dette signée par son mari (1604). Dans la lignée de cette gestion patrimoniale active, elle finit par léguer sa fortune (1615) aux bénédictines de Notre-Dame-de-Grâce, prieuré érigé deux ans plus tôt dans le faubourg parisien de La Ville-l’Évêque. En contrepartie, elle y est admise comme oblate jusqu’à sa mort.<br/> |
− | Suzanne Habert devient ainsi la bailleuse de fonds de cette fondation religieuse : si les lettres royaux et patentes ainsi que l’acte notarié sont aux noms des duchesses [[Catherine d'Orléans-Longueville]] et Marguerite d’Orléans-Estouteville, l’acte est signé chez elle, et c’est elle qui fournit des revenus au couvent. Elle s’avère donc au contact direct de la mystique espagnole, les duchesses d’Orléans étant proches du cercle Acarie, lui-même à l’origine de l’installation à Paris du Carmel réformé [par Thérèse d’Avila] (1604). Il est plausible que, suivant son hagiographe Hilarion de Coste, le curé de sa paroisse René Benoist ait morigéné sa pratique de l’oraison mentale avant qu’elle entre en clôture. Dépendant de l’abbaye de Montmartre, le prieuré est alors dirigé par la réformatrice [[Marguerite de Véni d'Arbouze|Marguerite d’Arbouze]].<br/> | + | Suzanne Habert devient ainsi la bailleuse de fonds de cette fondation religieuse : si les lettres royaux et patentes ainsi que l’acte notarié sont aux noms des duchesses [[Catherine d'Orléans-Longueville]] et Marguerite d’Orléans-Estouteville, l’acte est signé chez elle, et c’est elle qui fournit des revenus au couvent. Elle s’avère donc au contact direct de la mystique espagnole, les duchesses d’Orléans étant proches du [[cercle Acarie]], lui-même à l’origine de l’installation à Paris du Carmel réformé [par Thérèse d’Avila] (1604). Il est plausible que, suivant son hagiographe Hilarion de Coste, le curé de sa paroisse René Benoist ait morigéné sa pratique de l’oraison mentale avant qu’elle entre en clôture. Dépendant de l’abbaye de Montmartre, le prieuré est alors dirigé par la réformatrice [[Marguerite de Véni d'Arbouze|Marguerite d’Arbouze]].<br/> |
Une lettre sans date du cardinal Jacques Du Perron (1556-1618) publie le rôle de conseil éditorial que Suzanne Habert joue discrètement auprès de lui, ainsi que leur dialogue intellectuel et spirituel. L’inventaire (1631) de la bibliothèque d’étude de l’humaniste dévote confirme les talents de polyglotte et les compétences théologiques mentionnés par Hilarion de Coste : la centaine d’ouvrages comprend un fonds scripturaire, y compris en grec biblique ; des volumes produits depuis le début du siècle par les docteurs de la Sorbonne ou les jésuites du Collège romain, en théologie néo-scolastique, exégèse biblique et controverse ; des livres mystiques ou dévots et des usuels relevant des arts libéraux. De son rôle dévot et spirituel, il reste pour trace deux manuscrits reproduits par Hilarion de Coste : un programme de visites charitables à l’Hôtel-Dieu de Paris et un texte sur l’humilité, qui devait faire partie d’un traité sur les voeux monastiques. Sa créancière et proche Jeanne-Angélique Paulet, familière de l’hôtel de Rambouillet, hérite de sa bibliothèque.<br/> | Une lettre sans date du cardinal Jacques Du Perron (1556-1618) publie le rôle de conseil éditorial que Suzanne Habert joue discrètement auprès de lui, ainsi que leur dialogue intellectuel et spirituel. L’inventaire (1631) de la bibliothèque d’étude de l’humaniste dévote confirme les talents de polyglotte et les compétences théologiques mentionnés par Hilarion de Coste : la centaine d’ouvrages comprend un fonds scripturaire, y compris en grec biblique ; des volumes produits depuis le début du siècle par les docteurs de la Sorbonne ou les jésuites du Collège romain, en théologie néo-scolastique, exégèse biblique et controverse ; des livres mystiques ou dévots et des usuels relevant des arts libéraux. De son rôle dévot et spirituel, il reste pour trace deux manuscrits reproduits par Hilarion de Coste : un programme de visites charitables à l’Hôtel-Dieu de Paris et un texte sur l’humilité, qui devait faire partie d’un traité sur les voeux monastiques. Sa créancière et proche Jeanne-Angélique Paulet, familière de l’hôtel de Rambouillet, hérite de sa bibliothèque.<br/> | ||
Après la mort de Suzanne, Hilarion de Coste publie son hagiographie, pour l’édification des veuves dévotes et femmes instruites. Cette tradition élogieuse conduit [[Marguerite-Ursule-Fortunée Bernier|Fortunée Briquet]] à attribuer sans preuve à Suzanne Habert un recueil de vers de son frère. Tante du théologien Isaac Habert, elle n’est en revanche pas apparentée à Philippe et Germain Habert. | Après la mort de Suzanne, Hilarion de Coste publie son hagiographie, pour l’édification des veuves dévotes et femmes instruites. Cette tradition élogieuse conduit [[Marguerite-Ursule-Fortunée Bernier|Fortunée Briquet]] à attribuer sans preuve à Suzanne Habert un recueil de vers de son frère. Tante du théologien Isaac Habert, elle n’est en revanche pas apparentée à Philippe et Germain Habert. | ||
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* Bibliothèque nationale de France (Paris, France), « Lettres adressées à Pomponne de Bellièvre, Chancelier », cote Manuscrit français 15 900 (2), deux lettres autographes de Suzanne Habert feuillets 442 et 745. | * Bibliothèque nationale de France (Paris, France), « Lettres adressées à Pomponne de Bellièvre, Chancelier », cote Manuscrit français 15 900 (2), deux lettres autographes de Suzanne Habert feuillets 442 et 745. | ||
* Bacquet, Jehan, ''Cinquiesme Traicté [...] des droicts du domaine et de la Couronne de France: Concernant les droicts de Justice, Haute, Moyenne, et Basse'', Paris, S. et R. Nivelle, 1587, p. 352. | * Bacquet, Jehan, ''Cinquiesme Traicté [...] des droicts du domaine et de la Couronne de France: Concernant les droicts de Justice, Haute, Moyenne, et Basse'', Paris, S. et R. Nivelle, 1587, p. 352. | ||
− | * Goujet, Claude-Pierre, ''Bibliotheque françoise ou Histoire de la littérature françoise'', Paris, H.-L. Guérin et P.-G. Le Mercier, 1752, p. 51-52. | + | * Goujet, Claude-Pierre, ''Bibliotheque françoise ou Histoire de la littérature françoise'', Paris, H.-L. Guérin et P.-G. Le Mercier, 1752, p.51-52. |
* Malingre, Claude, ''Les Antiquitez de la ville de Paris [...]'', Paris, P. Rocolet et al., 1640, p. 784-789. | * Malingre, Claude, ''Les Antiquitez de la ville de Paris [...]'', Paris, P. Rocolet et al., 1640, p. 784-789. | ||
* Montholon, Jacques de, ''Arrest de la Cour prononcez en robbes rouges'', Paris, C. Cramoisy, 1622, arrêt XXXVIII, p. 80-81. | * Montholon, Jacques de, ''Arrest de la Cour prononcez en robbes rouges'', Paris, C. Cramoisy, 1622, arrêt XXXVIII, p. 80-81. | ||
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==Jugements== | ==Jugements== | ||
− | * « Vous semblez ce jardin, ou vestu d’innocence, | + | * « Vous semblez ce jardin, ou vestu d’innocence, // Notre premier parent conta ses premiers jours : // Votre divin esprit, qui germe en beaux discours, // Se peut accomparer à l’arbre de science. /// Votre jeune beauté qui mille fleurs avance, // Est l’Eternel Printemps qui vous pare toujours : // Vos fruicts, sont voz vertus, et l’admirable cours, // D’Euphrate et de Tigris semble à vostre Eloquence. /// Bref vous vous pouvez dire un Paradis parfaict // Aussi ne croy-je point qu’en ce monde il y ait // Un plus doux Paradis que vostre bonne grâce /// Mais le glaive d’honneur qui flamboye au dedans // En va gardant la porte, et semble qu’il menace // Un Amant de rigueur, et de perte de tans. » (Jean Bertaut, « Deux sonnets de Monsieur Bertauld sur le portraict de Mad. Du Jardin vostre belle-soeur, Susanne Habert », ''Recueil de quelques vers latins, italiens, et françois. De differents autheurs dediez et faictz en faveur de Monsieur Du Jardin'', Paris, s. n., 1610, p. 3-4, ici p. 4). |
− | Notre premier parent conta ses premiers jours : | + | * « Octonaire à ladicte Dame du Jardin // Madame, qui très-fort aymez // Les nobles Vertus, et Sciences, // Tousjours ceux-la vous estimez // Qui vous en font expériences. // C’est pourquoy voz faicts renommez // M’ont esmeu ce présent vous faire, // M’asseurant bien que ne blasmez, // Chose qui tant vous peut complaire. » (Lucas Tremblay, dédicace des « Appendices, ou commentaires exemplifiez », ''Arithmetique de Gemme Phrison'', Paris, J. de Marnef et Vve G. Cavellat, 1585, entre les p. 170 et 171) |
− | Votre divin esprit, qui germe en beaux discours, | + | * « Mais pour revenir à parler de laditte dame du Jardin, et pour mettre fin à une si longue periode, (laquelle ne m’est causee d’aucune passion mais pour la merveille de tant de perfections qui sont en elle plus qu’és autres de nostre siecle) je diray que plusieurs amateurs de vertu, m’ont asseuré qu’elle a ce don de bien parler, et d’escrire, si familier, qu’elle en passe beaucoup en celà, de ceux qui s’estiment des premiers, sans faire mention de la Philosophie et des Mathematiques esquelles elle est for[t] bien instruite et grandement versee. Je n’ay encores rien veu imprimé de ses escrits et compositions, mais quand il luy plaira de les mettre en lumiere, elle monstrera que les hommes se sont jusques icy vantez de surpasser les femmes en inventions de plusieurs beaux escrits, et toutesfois le jugement en sera delaissé à juger à la postérité, qui n’aura esgard aux personnes mais aux effects de la chose. » (François Grudé, La Croix du Maine, « Susanne Habert », ''Premier volume de la bibliotheque du sieur de La Croix du Maine, qui est un catalogue general de toutes sortes d’Autheurs, qui ont escrit en François depuis cinq cents ans et plus, jusques à ce jourd’huy [...]'', Paris, A. L’Angelier, 1584, p. 461). |
− | Se peut accomparer à l’arbre de science. | + | * « Les parties [ont] accordé convenu et consenty ce qui suit C’est asscavoir que ladite dame prieure et religieuses du couvent Ntre dame de grace desirant satisfaire aux instantes prieres qui leurs ont été faites par plusieurs foys par ladite dame du Jardin de laquelle la pieté et vertu est recongnue par la grande experience du passé et par la saincte conversation en tous lieux estant douée de plusieurs tres rares partys lesquelles lui ont acquis une tres grande reputation et l’ont fait admirer par les grands dons et graces tresparticulieres de Dieu qui reluisent en elle pour ces causes elles ont permis la recevoir et retirer au dedans dudict prieuré en qualité de donnée... » ; « sçachans ladite dame prieure et religieuses que puisque elle a desiré achever le reste de ses jours au dedans dudit prieuré pour recevoir plus de consolation qu’elle ne faisoit au monde et d’avoir la communication desdites religieuses, qu’elle servira d’exemple et de lumiere par tout le couvent [...] » (Extraits du contrat de donation sous condition entre la prieure et les religieuses de Notre-Dame-de-Grâce de La Ville-l’Évêque, et Suzanne Habert, 1er juin 1615, Archives nationales, AN/L//1044, pièce n° 3). |
+ | * « Il est vray que comme d’un costé, je ne desire rien plus, que de contenter vostre zele : aussi de l’autre, ne souhaittay-je pas moins, de satisfaire à vostre jugement, et ne meriter point, si je puis, de juste reprehension, et principalement en me meslant de reprendre les autres [...] » (Lettre non datée « A madame du Jardin », ''Les Ambassades et negotiations de l’Illustrissime et Reverendissime Cardinal Du Perron [...]'', Paris, A. Estienne, 1623, p. 69 notée par erreur 99). | ||
+ | * « Elle passoit pour un prodige de science, & sçavoit l’hébreu, le grec, le lat[in], l’ital[ien], l’espagnol, la Philosoph[ie] & même la Théologie, ce qui lui acquit une gr[ande] réput[ation] parmi les Sçav[ants]. Elle m[ourut] en 1633 dans le Monastere [...] où elle s’étoit retirée depuis près de 20 ans, laissant un gr[and] nombre d’ouvr[ages] manus[crits] entre les mains d’Isaac Habert son neveu. » (Jean-Baptiste Ladvocat, ''Dictionnaire historique portatif'', Paris, Didot, 1755, t. 1, p. 522, s. v. Isaac Habert). | ||
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Version actuelle en date du 20 avril 2021 à 14:30
Suzanne Habert | ||
Conjoint(s) | Charles Du Jardin | |
---|---|---|
Dénomination(s) | Dame ou Madame Du Jardin, Dujardin, veuve de Charles Du Jardin | |
Biographie | ||
Date de naissance | 1559 | |
Date de décès | 1633 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) | ||
Dictionnaire Hilarion de Coste (1647) | ||
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779) |
Sommaire
Notice de Audrey Duru, 2020
Suzanne Habert naît à Paris de Jacqueline de Montmillet et d’un maître d’écriture, Pierre Habert, frère du poète François Habert. L’édition du Chemin de bien vivre que son père publie en 1572 témoigne de sa carrière et de son intérêt pour l’instruction féminine : devenu commis du trésorier général du duc d’Anjou, il dédie ce manuel aux filles du trésorier Moreau, Charlotte et Marie. Dans les années 1580, il appartient au premier cercle de Henri III, par sa charge de secrétaire des finances du roi, de la maison et couronne de France, dans laquelle lui succède son fils Isaac, né vers 1560, poète estimé.
Déjà mariée en 1576 à Charles Du Jardin, orfèvre du roi, désigné comme valet de chambre du roi en 1581, Suzanne est déclarée séparée de biens en janvier 1584 et devient veuve après 1585. Le verdict d’un procès qu’elle intente indique que son époux est en faillite fin 1585. Bien qu’elle ait d’abord obtenu la saisie des biens de son mari, afin de préserver sa dot et son douaire, un banquier génois s’oppose à une telle saisie qui privilégierait l’épouse parmi les créanciers. Elle perd en appel, le verdict tranchant en faveur d’un dédommagement des créanciers en proportion des créances respectives.
Cette période de déboires correspond cependant à celle de sa renommée humaniste. Des sonnets de Jean Bertaut célèbrent ses qualités morales et intellectuelles. Imprimés dans un recueil (1610) réuni en hommage au beau-frère de Suzanne, l’homme de lettres Roland Du Jardin, ils sont conservés dans les papiers de Jean Dorat. La Croix Du Maine distingue son savoir en mathématiques et philosophie (1584). Enfin, Lucas Tremblay, professeur de mathématiques, lui dédie un traité d’arithmétique (1585).
Après 1599, veuve dévote et riche héritière, Suzanne Habert manoeuvre pour préserver son patrimoine, sollicitant le chancelier de Bellièvre dans la succession de son père contre un Gondi (1603), gagnant un procès au sujet d’une reconnaissance de dette signée par son mari (1604). Dans la lignée de cette gestion patrimoniale active, elle finit par léguer sa fortune (1615) aux bénédictines de Notre-Dame-de-Grâce, prieuré érigé deux ans plus tôt dans le faubourg parisien de La Ville-l’Évêque. En contrepartie, elle y est admise comme oblate jusqu’à sa mort.
Suzanne Habert devient ainsi la bailleuse de fonds de cette fondation religieuse : si les lettres royaux et patentes ainsi que l’acte notarié sont aux noms des duchesses Catherine d'Orléans-Longueville et Marguerite d’Orléans-Estouteville, l’acte est signé chez elle, et c’est elle qui fournit des revenus au couvent. Elle s’avère donc au contact direct de la mystique espagnole, les duchesses d’Orléans étant proches du cercle Acarie, lui-même à l’origine de l’installation à Paris du Carmel réformé [par Thérèse d’Avila] (1604). Il est plausible que, suivant son hagiographe Hilarion de Coste, le curé de sa paroisse René Benoist ait morigéné sa pratique de l’oraison mentale avant qu’elle entre en clôture. Dépendant de l’abbaye de Montmartre, le prieuré est alors dirigé par la réformatrice Marguerite d’Arbouze.
Une lettre sans date du cardinal Jacques Du Perron (1556-1618) publie le rôle de conseil éditorial que Suzanne Habert joue discrètement auprès de lui, ainsi que leur dialogue intellectuel et spirituel. L’inventaire (1631) de la bibliothèque d’étude de l’humaniste dévote confirme les talents de polyglotte et les compétences théologiques mentionnés par Hilarion de Coste : la centaine d’ouvrages comprend un fonds scripturaire, y compris en grec biblique ; des volumes produits depuis le début du siècle par les docteurs de la Sorbonne ou les jésuites du Collège romain, en théologie néo-scolastique, exégèse biblique et controverse ; des livres mystiques ou dévots et des usuels relevant des arts libéraux. De son rôle dévot et spirituel, il reste pour trace deux manuscrits reproduits par Hilarion de Coste : un programme de visites charitables à l’Hôtel-Dieu de Paris et un texte sur l’humilité, qui devait faire partie d’un traité sur les voeux monastiques. Sa créancière et proche Jeanne-Angélique Paulet, familière de l’hôtel de Rambouillet, hérite de sa bibliothèque.
Après la mort de Suzanne, Hilarion de Coste publie son hagiographie, pour l’édification des veuves dévotes et femmes instruites. Cette tradition élogieuse conduit Fortunée Briquet à attribuer sans preuve à Suzanne Habert un recueil de vers de son frère. Tante du théologien Isaac Habert, elle n’est en revanche pas apparentée à Philippe et Germain Habert.
Oeuvres
- Dates non connues : « Reglement pour les Dames qui serviront les pauvres à l’Hostel-Dieu » et « De l’humilité », dans Hilarion de Coste, « Susanne Habert », Les Eloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en Pieté, en Courage et en Doctrine, qui ont fleury de nostre temps, et du temps de nos Peres, Paris, S. et G. Cramoisy, t. 2, 1647, p. 783-788 et p. 790-797 (attribution vraisemblable).
- 1626 : « Lettre en forme de memoire que madame du Jardin m’a envoyé du Convent de nostre Dame de Grace, à l’Abbaye de nostre Dame du Val de Grace l’an mil six cens vingt six le trentiesme d’Aoust », dans Jacques Ferraige, La Vie admirable, et digne d’une fidele imitation, de la B. Mere Marguerite d’Arbouze, ditte de Saincte Gertrude, Paris, F. Dehors et J. Moreau, 1628, p. 67-68.
- (attribuées par Hilarion de Coste à Suzanne Habert, manuscrits supposés ou perdus) : Catéchisme, Explication du symbole de saint Athanase, Traités sur les sacrements, Traité de l’oraison.
Principales sources
- Archives nationales de France (Paris, France), Minutier Central, MC/ET/XCI/224 (testament et inventaire autographes de Suzanne Habert, 29 mai 1631) ; MC/ET/LIX/17 (succession de Pierre Habert, 23 mars 1599) ; AN/L//1044 (archives de la fondation de Notre-Dame-de-Grâce de La Ville-l’Évêque), notamment pièce 9 (quittance de J.-A. de Paulet) et pièce 3 : voir infra Jugements.
- Bibliothèque nationale de France (Paris, France), « Lettres adressées à Pomponne de Bellièvre, Chancelier », cote Manuscrit français 15 900 (2), deux lettres autographes de Suzanne Habert feuillets 442 et 745.
- Bacquet, Jehan, Cinquiesme Traicté [...] des droicts du domaine et de la Couronne de France: Concernant les droicts de Justice, Haute, Moyenne, et Basse, Paris, S. et R. Nivelle, 1587, p. 352.
- Goujet, Claude-Pierre, Bibliotheque françoise ou Histoire de la littérature françoise, Paris, H.-L. Guérin et P.-G. Le Mercier, 1752, p.51-52.
- Malingre, Claude, Les Antiquitez de la ville de Paris [...], Paris, P. Rocolet et al., 1640, p. 784-789.
- Montholon, Jacques de, Arrest de la Cour prononcez en robbes rouges, Paris, C. Cramoisy, 1622, arrêt XXXVIII, p. 80-81.
- Papon, Estienne, Commentaires sur la loy si umquam c. de revocand. donat., Genève (?), M. Berjon, 1616, p. 642 et 729-730.
Choix bibliographique
- Berriot-Salvadore, Évelyne, Les Femmes dans la société française de la Renaissance, Genève, Droz, 1990, p. 317-320 et 534-538.
- Diefendorf, Barbara B., From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 229-230.
- Duru, Audrey, « Compétences lettrées et autorité spirituelle au féminin, fin XVIe-début XVIIe siècle : les vies parallèles de Suzanne Habert (Paris) et Jaqua Françoise Pautrard (Arbois) », à paraître dans Autorité de la parole spirituelle féminine en français au XVIe, dir. Michèle Clément, Isabelle Garnier, Dariusz Krawczyk.
- Duru, Audrey, « Théologie et exégèse au féminin : la bibliothèque d’étude de Suzanne Habert (Paris, 1631) », XVIIe siècle, à paraître.
Jugements
- « Vous semblez ce jardin, ou vestu d’innocence, // Notre premier parent conta ses premiers jours : // Votre divin esprit, qui germe en beaux discours, // Se peut accomparer à l’arbre de science. /// Votre jeune beauté qui mille fleurs avance, // Est l’Eternel Printemps qui vous pare toujours : // Vos fruicts, sont voz vertus, et l’admirable cours, // D’Euphrate et de Tigris semble à vostre Eloquence. /// Bref vous vous pouvez dire un Paradis parfaict // Aussi ne croy-je point qu’en ce monde il y ait // Un plus doux Paradis que vostre bonne grâce /// Mais le glaive d’honneur qui flamboye au dedans // En va gardant la porte, et semble qu’il menace // Un Amant de rigueur, et de perte de tans. » (Jean Bertaut, « Deux sonnets de Monsieur Bertauld sur le portraict de Mad. Du Jardin vostre belle-soeur, Susanne Habert », Recueil de quelques vers latins, italiens, et françois. De differents autheurs dediez et faictz en faveur de Monsieur Du Jardin, Paris, s. n., 1610, p. 3-4, ici p. 4).
- « Octonaire à ladicte Dame du Jardin // Madame, qui très-fort aymez // Les nobles Vertus, et Sciences, // Tousjours ceux-la vous estimez // Qui vous en font expériences. // C’est pourquoy voz faicts renommez // M’ont esmeu ce présent vous faire, // M’asseurant bien que ne blasmez, // Chose qui tant vous peut complaire. » (Lucas Tremblay, dédicace des « Appendices, ou commentaires exemplifiez », Arithmetique de Gemme Phrison, Paris, J. de Marnef et Vve G. Cavellat, 1585, entre les p. 170 et 171)
- « Mais pour revenir à parler de laditte dame du Jardin, et pour mettre fin à une si longue periode, (laquelle ne m’est causee d’aucune passion mais pour la merveille de tant de perfections qui sont en elle plus qu’és autres de nostre siecle) je diray que plusieurs amateurs de vertu, m’ont asseuré qu’elle a ce don de bien parler, et d’escrire, si familier, qu’elle en passe beaucoup en celà, de ceux qui s’estiment des premiers, sans faire mention de la Philosophie et des Mathematiques esquelles elle est for[t] bien instruite et grandement versee. Je n’ay encores rien veu imprimé de ses escrits et compositions, mais quand il luy plaira de les mettre en lumiere, elle monstrera que les hommes se sont jusques icy vantez de surpasser les femmes en inventions de plusieurs beaux escrits, et toutesfois le jugement en sera delaissé à juger à la postérité, qui n’aura esgard aux personnes mais aux effects de la chose. » (François Grudé, La Croix du Maine, « Susanne Habert », Premier volume de la bibliotheque du sieur de La Croix du Maine, qui est un catalogue general de toutes sortes d’Autheurs, qui ont escrit en François depuis cinq cents ans et plus, jusques à ce jourd’huy [...], Paris, A. L’Angelier, 1584, p. 461).
- « Les parties [ont] accordé convenu et consenty ce qui suit C’est asscavoir que ladite dame prieure et religieuses du couvent Ntre dame de grace desirant satisfaire aux instantes prieres qui leurs ont été faites par plusieurs foys par ladite dame du Jardin de laquelle la pieté et vertu est recongnue par la grande experience du passé et par la saincte conversation en tous lieux estant douée de plusieurs tres rares partys lesquelles lui ont acquis une tres grande reputation et l’ont fait admirer par les grands dons et graces tresparticulieres de Dieu qui reluisent en elle pour ces causes elles ont permis la recevoir et retirer au dedans dudict prieuré en qualité de donnée... » ; « sçachans ladite dame prieure et religieuses que puisque elle a desiré achever le reste de ses jours au dedans dudit prieuré pour recevoir plus de consolation qu’elle ne faisoit au monde et d’avoir la communication desdites religieuses, qu’elle servira d’exemple et de lumiere par tout le couvent [...] » (Extraits du contrat de donation sous condition entre la prieure et les religieuses de Notre-Dame-de-Grâce de La Ville-l’Évêque, et Suzanne Habert, 1er juin 1615, Archives nationales, AN/L//1044, pièce n° 3).
- « Il est vray que comme d’un costé, je ne desire rien plus, que de contenter vostre zele : aussi de l’autre, ne souhaittay-je pas moins, de satisfaire à vostre jugement, et ne meriter point, si je puis, de juste reprehension, et principalement en me meslant de reprendre les autres [...] » (Lettre non datée « A madame du Jardin », Les Ambassades et negotiations de l’Illustrissime et Reverendissime Cardinal Du Perron [...], Paris, A. Estienne, 1623, p. 69 notée par erreur 99).
- « Elle passoit pour un prodige de science, & sçavoit l’hébreu, le grec, le lat[in], l’ital[ien], l’espagnol, la Philosoph[ie] & même la Théologie, ce qui lui acquit une gr[ande] réput[ation] parmi les Sçav[ants]. Elle m[ourut] en 1633 dans le Monastere [...] où elle s’étoit retirée depuis près de 20 ans, laissant un gr[and] nombre d’ouvr[ages] manus[crits] entre les mains d’Isaac Habert son neveu. » (Jean-Baptiste Ladvocat, Dictionnaire historique portatif, Paris, Didot, 1755, t. 1, p. 522, s. v. Isaac Habert).