Le colloque international « Lumière de la foi, lumières de la raison : l’éducation religieuse féminine en débat au 18e siècle » se déroulera à Metz les 14 et 15 mars 2016, dans les locaux de la MSH Lorraine (salle de séminaire, 4e étage de l’UFR SHS).
Il est organisé par Nicolas Brucker, Sonia Cherrad et l’équipe du projet ANR-DFG EDULUM
« Rien n’est plus négligé que l’éducation des filles ». C’est par ce constat que Fénelon ouvre son célèbre traité De l’éducation des filles (1687). Le seul domaine de l’éducation féminine sur lequel les éducateurs restent vigilants est la religion. La femme, épouse et mère, est au centre du foyer le premier agent de transmission de la foi. À ce titre elle doit recevoir sur cette matière une instruction suffisante. Mais dans une limite raisonnable. Car tous les pédagogues le répètent : la femme savante aspire à sortir de l’état où sa condition l’a placée. Sa nature propre, qui se définit à partir de spécificités physiologiques, rend la femme inapte aux connaissances abstraites. Elle n’en tire en fin de compte qu’une vaine gloire, se rend insupportable à tous, et devient même, dans les cas extrêmes, auteur ! Le dilemme religieux féminin se trouve résumé sous la plume de Fleury dans une formule de type « ni… ni… » : « elles ne doivent ni ignorer la religion, ni être trop savantes » (Traité des études, 1686). La marge, on le voit, est étroite.
Les travaux des historiens des religions (Delumeau, Sonnet, Bernos) fournissent de nombreuses informations sur le contexte culturel : ils renseignent précisément sur les différentes formes d’éducation religieuse féminine possibles selon les conditions et les aires géographiques ; ils détaillent les acteurs, habituellement des femmes, mères de famille, gouvernantes, maîtresses, religieuses ou laïques, les contenus et les méthodes. Beaucoup reste à faire cependant. Seule une étude fine du discours pédagogique, dans les formes et genres choisis en fonction du public visé, permettra de donner une vue nuancée des différentes positions adoptées dans le débat. Malgré les corrections déjà effectuées, c’est principalement le point de vue masculin qui est exposé. Les voix féminines, certes minoritaires, n’ont jusqu’ici pas été suffisamment considérées. Actrices ou observatrices de l’éducation, auteurs de manuels, de traités ou de correspondances, auteurs de fictions éducatives, de romans ou de pièces de théâtre mettant en scène des personnages féminins, les femmes n’ont pas manqué, au long du 18e siècle, de faire entendre leur point de vue. Elles l’ont fait, tantôt d’un point de vue prioritairement pédagogique, tantôt selon une préoccupation essentiellement religieuse. Elles l’ont fait tantôt en reproduisant, plus ou moins, le discours dominant, tantôt en s’en distinguant, plus ou moins ouvertement, recourant le cas échéant à des stratégies de camouflage.
Le but du colloque, qui s’inscrit dans le programme ANR/DFG EDULUM « Éducatrices et Lumières : l’exemple de Marie Leprince de Beaumont » (2015-2017 – MSH Lorraine et Universität Augsburg), est de s’interroger sur les influences qui s’exercent entre pédagogie, religion et féminité. Dans quelle mesure la réflexion pédagogique (sur les contenus, les méthodes, les moyens) porte-t-elle vers une foi non plus soumise, mais éclairée, voire critique ? La question du catéchisme, et plus largement des pratiques de mémorisation passive, est à cet égard centrale. De même que celle de l’accès, direct ou médié, au texte des Écritures, et de sa traduction en langue vernaculaire. Dans quelle mesure, aussi, le traitement pédagogique différencié, conséquence directe des conceptions culturelles (sociales, médicales, théologiques), met-il en question l’égalitarisme évangélique, principe du christianisme, et, selon certains, facteur d’émancipation ? Le « ni… ni… » de Fleury laisse donc poindre une contradiction de taille, qui met en péril un ordre social basé sur une stricte distribution des tâches selon la race, la naissance et le sexe, ordre que la religion a précisément pour fonction de fixer et de sacraliser, comme nous le rappellent les sociologues des religions (Weber, Gauchet).
Télécharger le programme : http://www.msh-lorraine.fr/fileadmin/images/2016/edulum-programme-def.pdf
Inscriptions : nicolas.brucker@univ-lorraine.fr
Lundi 14 mars 2016
10h Accueil : Sylvie CAMET, directrice de la MSH Lorraine (ou son représentant)
Introduction : Nicolas BRUCKER & Sonia CHERRAD (université de Lorraine, ECRITURES & MSH Lorraine)
Education et pratiques religieuses féminines sous l’Ancien Régime (I)
Présidence : Marie-Emmanuelle PLAGNOL
10h20-11h40 Véronique CASTAGNET-LARS : « Singularités de la voix féminine dans les récits de conversion imprimés de langue française entre le dernier
quart du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle »
11h40-12h Aurélie PERRET : « L’éducation des filles pauvres à la fin du XVIIe siècle : le témoignage des cahiers d’inspection lyonnais »
12h-12h20 Isabelle TURCAN : « L’éducation religieuse des jeunes filles et des femmes au cours de la première moitié du XVIIIe siècle : le témoignage du Dictionnaire Universel François et latin dit de Trévoux (1721-1752) »
12h20-13h Discussions
13h-14h Déjeuner
Education et pratiques religieuses féminines sous l’Ancien Régime (II)
Présidence : Alicia MONTOYA
14h20-14h40 Ana ARMENTA-LAMANT : « L’impact des catéchismes sur l’éducation féminine (Espagne, 18e siècle) »
14h40-15h Beatriz ONANDIA-RUIZ : « L’éducation religieuse véhiculée par les livres de conduite pour filles dans l’Espagne des Lumières »
15h-15h20 Discussions et Pause
Lundi 14 mars 2016
Un enseignement éclairé de la religion
Présidence : Catriona SETH
15h20-15h40 Nadège LANDON : « “Enveloppez-vous du manteau de la religion”. Anne-Thérèse de Lambert, respect des conventions sociales ou émancipation morale ? »
16h-16h20 Frédéric MARTY : « L’éducation féminine selon Louise Dupin »
16h20-16h40 Asma GUEZMIR : « Madame Roland : de la dévotion religieuse à la dévotion citoyenne »
16h40-17h Andréane AUDY-TROTTIER : « L’enseignement de la religion chez Mme de Miremont : entre nature, culture et raison »
17h-17h20 Discussions
Mardi 15 mars 2016
Raison et foi chez Marie Leprince de Beaumont
Présidence : Rotraud von KULESSA
8h40-09h Ivana LOHREY : « Soyez donc bien en garde contre le préjugé ! Marie Leprince de Beaumont vers une pédagogie éclairée »
09h-09h20 Christina MELCHER : « Dieu saura tirer d’une situation douloureuse, des biens que nous n’aurions osé espérer. Le conseil maternel
dans les Lettres de Madame du Montier de Marie Leprince de Beaumont »
09h20-09h40 Ramona HERZ-GAZEAU : « “L’éloignement du monde” : un dispositif de l’éducation chrétienne de Marie Leprince de Beaumont »
09h40-10h20 Discussions et Pause
Entre dogmatisme et modernité, la pensée religieuse féminine dans le dernier tiers du XVIIIe siècle
Présidence : Nicolas BRUCKER
10h20-10h40 Fabrice PREYAT : « La transmission de l’esprit chrétien dans les ouvrages de Marie-Françoise Loquet »
10h40-11h Alicia MONTOYA : « Des chenilles aux papillons. La pensée physico-théologique chez les éducatrices »
11h00-11h20 Amirpasha TAVAKKOLI : « La question de l’éducation religieuse chez Mary Wollstonecraft »
11h20-11h50 Discussions et clôture du colloque