Dans le cadre d’un numéro consacré à la littérature de langue française à l’âge classique, lapremière question devrait être d’ordre méthodologique et terminologique, impliquant demesurer l’impact des problématiques de genre/gender venues très largement de l’aire anglosaxonne.
Le pari, à cet égard, serait que nous nous trouvons désormais à un moment depossible mesure de la spécificité de cet impact, le transfert culturel et conceptuel ayant eulieu, en France et, plus largement, sur le continent européen, comme nombre de signes, enparticulier éditoriaux, l’attestent. On voudrait donc d’abord que ce numéro soit l’occasion deréinterroger l’usage de notions « transférées » en régime littéraire, dans le champ français desXVIIe et XVIIIe siècles, et de faire le point sur ce que peut être, aujourd’hui, le paysage desétudes françaises de genre.
Si l’on dispose bien d’ancrages en études sur les femmes, et/ou qui pratiquent un mode
d’exportation des concepts gender (et même d’intersectionnalité : race, classe, subalterne,etc’) et queer, sans doute conviendrait-il de s’interroger à nouveaux frais sur l’adaptation del’approche « genrée » et de ses outils à la spécificité du discours de la littérature, alors mêmequ’ils relèvent souvent davantage des paradigmes disciplinaires historique et sociologique, età celle de l’Ancien Régime, alors qu’ils illustrent régulièrement leur efficacité sur des corpusmodernes et contemporains. Par exemple, comment, ou jusqu’où, valider l’emprunt à lanotion d’intersectionnalité (qui définit les conditions de l’interdépendance entre les variablesde la subalternité : sexe, genre, race, classe?) « Pour quels bénéfices » Si la sociologie duchamp littéraire et les études relatives aux trajectoires d’auteurs, aux stratégies éditoriales, auxmodalités de la sociabilité intellectuelle, peuvent bénéficier plus directement de cesapproches, quelle est leur légitimité et leur efficacité à l’épreuve directe de l’analyse destextes ? Quels sont, aujourd’hui, les cadres, les instruments conceptuels, les méthodes quipermettent de penser le champ des études de genre en littérature française de l’âge classique ?
Sont-ils susceptibles d’éclairer des spécificités internes, des découpes périodiquessignificatives, entre la fin de la Renaissance et le tournant des Lumières, mais aussi descontinuités ?Enfin, en quoi ces points de convergence ou de rupture permettent-ils d’éclairer notreprésent ? Si les études de genre doivent se faire, sinon militantes, à tout le moins critiques,peuvent-elles se contenter du geste de réhabilitation des oublié-e-s et dédaigné-e-s de lalittérature ? Comment l’attention aux faits de la ? domination ? s’inscrit-elle dansl’appréhension des spécificités de l’Ancien Régime ? Quels usages faire de notions contestéestelle que celle de radicalité ? L’anachronisme, en ces matières, est-il un problème ou unechance ?
Seraient appréciées les études susceptibles de poser, à partir d’un objet transversal ou
d’une étude de cas, un problème méthodologique ou théorique intéressant directement
l’espace littéraire. Parmi les points de discussion :
1/ Définir les études de genre :
– Historiquement, peut-on repérer un champ critique français et/ou francophone quipourrait faire office de généalogie (éventuellement programmatique) pour les interrogationsactuelles ? Après tout, le Barthes qui analyse, dans L’Homme racinien, la tragédie de Bajazetà partir d’une structure (le Sérail) où les fonctions sexuées transgressent les assignationsbiologiques et culturelles, n’est-il pas un fondateur possible des études de genre, bien avantque le transfert culturel des gender studies ne se fasse en France ? Ce transfert lui-mêmeétant, par ailleurs, informé par l’influence sur le continent américain de la French Theory :serait-il temps de faire l’histoire de ce cercle, ou plutôt de cette spirale, par rapport à laquellenous aurions à nous situer ?
– Méthodologiquement, quels cadres ? Configurations des sexualités, de la différence dessexes, de leurs rapports, de la sexuation des rôles, des fonctions et des pratiques ? de lecture,d’écriture, de publication et de reconnaissance, de savoir (à un moment, en particulier, où lerapport littérature / philosophie / sciences n’obéit pas aux partages disciplinaires et à laspécialisation qui sont les nôtres) : tous points intégrant notamment la question du religieux,et en particulier de la mystique.
– Quels objets, quelles notions, comment réinterroger leur pertinence (par exemple :« galanterie « , ? radicalité ?, » stratégie », etc.) ?
2/ Les textes et les livres (iconographie incluse) à l’épreuve des catégories de sexe et de
genre. Comment croiser analyse littéraire et sciences humaines ? Quels apports de l’histoireculturelle, de l’anthropologie, de la psychanalyse, des medical studies, etc ?
3/ L’appréciation du rôle différencié, selon les époques et les lieux, des institutions etpratiques littéraires dans les constructions genrées.
Les propositions sont à envoyer jusqu’au 15 novembre 2014. Les textes seront à restituerle 31 juillet 2015 dernier délai.
Contact : florence.lotterie@univ-paris-diderot.fr