Depuis la fin du Moyen Âge, la question de l’entrée et de la sortie des couvents est au c’ur des préoccupations de l’Église qui encadre ces pratiques par le décret « Des réguliers et moniales » du Concile de Trente (XXVe session, 3-4 décembre 1563). Différentes mesures sont prises concernant la discipline, le caractère volontaire des v?ux solennels et l’obligation de la clôture pour les religieuses. Ainsi, l’âge de la profession est fixé à seize ans accomplis pour les deux sexes et des mesures particulières réglementent l’entrée en religion des jeunes filles (pas de prise d’habit avant l’âge de douze ans, la cérémonie de vêture doit être précédée d’un examen par l’évêque ou une personne commise par lui, examen qui doit être réitéré avant l’émission des v?ux solennels). Parallèlement, les décrets font aussi comprendre les conditions de sortie des couvents.
L’entrée aux couvents ainsi que les possibilités d’en sortir ont ainsi parfois pu être étudiées par les historiens dans le cadre de la réception du Concile de Trente, pour certains pays (en France, par exemple, avec l’ordonnance de Blois de mai 1579 qui aligne l’âge de la profession religieuse sur celui défini par le Concile), ou pour certains ordres religieux. Mais l’attention a surtout été centrée sur la question de la clôture ? en mesurant les tensions entre normes et pratiques, et non sans empathie, le plus souvent, avec les efforts des agents de la Contre-Réforme pour l’imposer. Aussi ces approches allaient-elles de pair, dans bien des cas, avec une orientation quasi téléologique vers l’« enfin « du succès de ces efforts, ce qui n’encourageait guère la compréhension, ni l’étude des régularités, des logiques de conduite que pouvaient sous-tendre les » résistances » ou les exceptions aux règles promues, ou encore des tentatives de régler autrement.
Et pourtant il est clair que le champ d’activités considéré n’était guère caractérisé par un immobilisme « dérangé ? seulement par les tensions que nous venons de mentionner. D’une part, le monde des ordres religieux ne cessait d’affronter lui-même des défis nouveaux qui devaient forcément concerner les questions évoquées » il suffit de penser à ce propos aux tentatives de fonder des congrégations féminines prônant pour leurs membres des formes d’un apostolat actif. D’autre part, l’entrée dans les ordres, et, plus généralement, les modes de recrutement du clergé, de même que les possibilités d’en sortir avaient des enjeux sociétaux importants qui devaient forcément alimenter les conflits, jusqu’à devenir, à certains moments, sujets à débat politique. Débats aux multiples protagonistes, alliés ou opposés, selon les occasions, les uns aux autres : les différents ordres religieux, les familles « alimentant » le recrutement du clergé, les institutions romaines, les autorités étatiques, l’opinion publique naissante. Last but not least, le sujet a laissé des traces importantes, qu’elles soient liées ou non aux débats en question, dans le domaine des représentations qui vaudraient la peine d’être explorées davantage.
Axes thématiques
Le colloque envisagé cherche à dresser un tableau de ce sujet à facettes multiples, en prenant en compte la production des normes autant que les pratiques, les entrées et les sorties définitives ou temporaires, bien réelles ou fictives. Il s’articulera autour de trois axes principaux :
1) Les tentatives de réformation des pratiques d’entrée et de sortie des couvents
Il s’agira tout d’abord de s’intéresser aux tentatives de réformation des pratiques d’entrée (âge de la prise d’habit, durée du noviciat, âge de la profession, montant de la dot) et de sortie des couvents qui ont vu le jour après le Concile de Trente, que ces tentatives soient générales (comme celle de l’âge d’entrée aux couvents imposée en France dans les années 1770, qu’il vaudrait sans doute la peine de « revisiter »), qu’elles ne concernent qu’un ordre particulier, ou ne s’emploient qu’au niveau local, qu’elles aient pour origine des acteurs du champ religieux ou qu’elles émanent du pouvoir temporel, qu’elles soient restées à l’état de projets ou aient trouvé une application. Certains ordres religieux ou pays sont-ils plus particulièrement concernés par ces tentatives de réformation « Quels sont les objectifs de ces tentatives ? Comment sont-elles justifiées » Cas limite de ce champs d’analyses : les tentatives d’abandon total de la vie régulière, dans les pays passant à la Réforme protestante ou lors de la déchristianisation révolutionnaire.
2) Des normes aux pratiques
La production des normes renvoie naturellement aux pratiques, puisqu’il s’agit d’appréhender les écarts entre la norme et les usages, entre la règle et l’exception. Ces normes sont-elles systématiquement respectées « Y a-t-il eu des moyens de les contourner ? Quelles résistances suscitaient-elles »
Qu’il s’agisse de normes nouvelles ou de celles émanant du Concile de Trente, il faudrait en tout cas :
– mieux connaître le profil de ceux qui cherchent à bénéficier des règles établies, ou, autrement dit, des exceptions à la Règle. Pour les cas de vocation forcée, par exemple, on dispose désormais d’un tableau général grâce aux recherches d’Anne Jacobsen Schutte, alors qu’un recensement systématique est en cours pour la France de l’Ancien Régime. Mais pour bien d’autres pays catholiques, et pour d’autres époques, la question est peu étudiée, et il n’en va guère autrement pour d’autres motifs de quitter les ordres, comme celui d’un engagement militaire, ou encore celui de ces membres de la noblesse amenés à demander leur sécularisation pour assurer la survie du lignage suite à la mort du frère aîné.
– étudier l’ensemble des motifs récurrents justifiant l’entrée « hors norme « dans la vie régulière, ou la volonté d’en sortir, temporairement ou définitivement. On peut penser, par exemple, au motif de » réunion familiale », telle veuve souhaitant rejoindre sa fille religieuse, ou, au sens inverse, au motif médical, invoqué par certains religieux pour obtenir leur translation dans un ordre moins strict ou leur sécularisation. S’il s’agit ici de se placer du côté des intentions, des motivations des aspirants à l’état régulier ou des religieux souhaitant quitter leur état, il faudrait là encore étudier également le traitement de ces motifs par les différentes autorités religieuses en jeu.
Naturellement, cette typologie peut aussi concerner les entrées ou sorties « temporaires « ainsi que leur justification. Son analyse devrait en tout cas aller de pair avec celle des circonstances ou encore celle des » modalités d’action » caractérisant (ou pouvant favoriser) les pratiques considérées ; pensons, par exemple, au contexte de la guerre, ou à la pratique de la fuite du couvent.
3) Le domaine des représentations
Il s’agirait enfin d’analyser la place que les entrées et les sorties extraordinaires du couvent ont pu occuper dans l’imaginaire. S’il vaudrait la peine de s’interroger, à ce propos, sur cette place chez les membres des ordres religieux eux-mêmes « à travers l’analyse des biographies spirituelles, par exemple », il est clair que le thème a été particulièrement prisé par les hommes de lettres. Le cloître devient alors, sous leur plume, un lieu de refuge pour des personnes souhaitant échapper à la justice. C’est également un cadre propice aux évasions rocambolesques sous-tendues, le plus souvent, par une intrigue amoureuse. Quelle vision des pratiques d’entrée et de sortie des couvents la littérature nous donne-t-elle « Quels rapports établir entre fictions et pratiques réelles, étant donné que la fuite, par exemple, s’observe aussi dans ces dernières, en direction du couvent tout aussi bien qu’en s’éloignant de lui »
Le colloque s’adresse aux historiens, mais est ouvert également aux spécialistes d’autres disciplines, notamment en lettres, histoire de l’art et histoire de la musique. Une section particulière pourrait être consacrée à l’analyse des problématiques esquissées dans le cadre du Limousin.
Modalités pratiques d’envoi des propositions
Merci d’adresser les propositions (d’environ 3000 signes, en anglais ou en français, accompagnées d’une fiche de présentation de l’auteur) à Albrecht Burkardt (albrecht.burkardt@unilim.fr)
Date limite : le 15 avril 2015
Organisateurs à Limoges
Albrecht Burkardt (CRIHAM, Université de Limoges),
Alexandra Roger (CRIHAM, Université de Limoges)
Membres du Conseil Scientifique
Benedetta Albani (Institut für Rechtsgeschichte, Frankfurt am Main),
Laurence Croq (Université de Paris Ouest ? Nanterre),
Silvia Evangelisti (University of East Anglia),
Pierre-Antoine Fabre (CARE, EHESS),
Bernard Hours (LARHRA-RESEA, Université de Lyon),
Dominique Julia (CARE, EHESS),
Jacques Le Brun (EPHE),
Francesca Medioli (University of Reading),
Gerd Schwerhoff (TU Dresden)