Depuis la fin du 16e siècle, la fiction d’ordre dévote sert les objectifs de la religion catholique qu’elle aide à promouvoir. De Fénelon à l’abbé Gérard en passant par l’abbé Crillon, le roman de nature édifiante parcourt de nouveaux horizons, embrassant la forme didactique et le parti antiphilosophique. Au contact des idées et des valeurs que défendent Encyclopédistes et philosophes, plusieurs romanciers, dont l’abbé Jean Olivier, Claude-François Lambert, Pierre Chansierges, François Mace, le marquis de Caraccioli et Michel-Ange Marin, sont amenés à s’interroger sur la religion dans ses rapports sociaux et moraux avec la société et à assortir les acquis philosophiques aux dogmes chrétiens à l’aide d’un discours alliant foi et raison. En mobilisant la sensibilité, ces « apologistes sentimentaux », pour reprendre l’expression de Didier Masseau, proposent une alternative pieuse selon laquelle la religion serait mise au service de l’ordre établi et de la cohésion sociale. Intimement lié au rousseauisme, le discours optimiste que donnent à lire les romans des Lumières catholiques renoue avec l’idée de perfectibilité humaine et de progrès social, dévoilant un espace de chevauchement qui brouille les frontières entre philosophie et antiphilosophie et qui témoigne de leur porosité. Parce que la religion repose sur une démarche personnelle et une expérience individuelle, son adaptation romanesque promet une liberté nouvelle, surtout pour les personnages féminins. On peut d’ailleurs se demander si l’apologétique romanesque sentimentale sourit à Louise Lévesque, à Mme Leprince de Beaumont, à Mme de Genlis, à Mme de Souza, à Sophie Cottin et à Marie-Françoise Loquet parce qu’elle constitue une stratégie narrative efficace pour faire avancer la cause des femmes.
Tandis que ni la critique religieuse de romanciers militants tels que Montesquieu, Diderot ou Prévost, ni la transgression de romanciers libertins comme Crébillon ou Sade n’ont échappé à la critique contemporaine, la prose des romanciers et des romancières de la conciliation continue d’être marginalisée par l’histoire littéraire qui néglige de reconnaître les réseaux de filiation qui se tissent entre eux. Dans la foulée d’ouvrages récents ayant infléchi le portrait univoque que trace la tradition historiographique, tels que Le Matérialisme du XVIIIe siècle et la littérature clandestine (1982) dirigé par Olivier Bloch, Jansénismes et Lumières. Pour un autre 18e siècle (1998) de Monique Cottret, les travaux de Didier Masseau (Les Ennemis des philosophes (2000); Les Marges des Lumières (2004), The Other Enlightenment (2001) de Carla Hesse, les Lumières clandestines (2001) de Geneviève Artigas-Menant et Christianisme et Lumières (2002) dirigé par Sylviane Albertan-Coppola et Antony McKenna, ce projet d’ouvrage collectif a pour objectifs d’explorer les entreprises de mise en roman des Lumières catholiques dans leurs dimensions narrative, rhétorique, topique, philosophique, etc. afin d’en faire ressortir l’originalité et la complexité, d’exposer leur apport aux débats qui marquent le XVIIIe siècle et de les réhabiliter dans la constellation littéraire des Lumières.
Les auteur-trice-s désireux de contribuer à cet ouvrage collectif sont donc fortement encouragés à étudier les romans qui rompent avec la conception homogène des Lumières que construisent les catégories conceptuelles existantes. Comme sujets à traiter, suggérons :
– Les Lumières catholiques en roman, expression des tensions et des préoccupations idéologiques d’une société en transformation.
– Philosophie dévote et hybridité romanesque à l’époque des Lumières.
– Infléchir la postérité des Lumières : restituer le caractère éclectique de sa production romanesque.
– La perspective utilitariste ou la convergence du bonheur individuel et collectif.
– Le roman didactique entre imagination et religion ou la morale romancée.
– La providence à la croisée de la foi et de l’esprit critique.
– Évolution des notions de vertu, de piété et de bienfaisance vers des forces libératrices sous la plume de Mme Leprince de Beaumont, de Mme de Genlis, de Mme de Souza et de Mme Cottin.
– Des Lumières catholiques au romantisme, quel pas franchir ?
Envoi des propositions
Nous sollicitons des propositions d’articles originaux (de 400 à 500 mots) pour le 1er novembre 2014 au plus tard. Veuillez joindre à votre proposition une courte notice biobibliographique et les envoyer à :
Isabelle Tremblay (Isabelle.Tremblay@rmc.ca)
Les auteur-trice-s dont les propositions auront été acceptées seront invités à soumettre leurs textes complets (entre 7500 et 9500 mots) à l’été 2015.
1. Didier Masseau, « La position des apologistes conciliateurs », Dix-Huitième siècle, 2002, n’34, p. 125.