Colloque international « jeunes chercheurs » du Laboratoire de recherche Lettres, Idées, Savoirs (UPEC) et du Laboratoire sur l’histoire et la pensée modernes 16e-18e siècles (UQTR)
Colloque organisé à l’Université Paris-Est Créteil les 9 et 10 novembre 2016
La Renaissance offre les prémisses d’une réflexion sur la nature de l’enfance, notamment chez Érasme qui affirme, dans De pueris instituendis (1529), la « nécessité de s’intéresser au petit enfant dès sa naissance et énonce des recommandations concernant son éducation jusqu’à l’âge de cinq ans » (Van Elslande, 2011). Il faut toutefois attendre le dernier tiers du xviie siècle pour que soient affirmés le statut particulier de l’enfance et l’importance des toutes premières années de la vie dans la généalogie d’une personnalité intellectuelle. Les travaux de Philippe Ariès, entre autres, ont montré que c’est au cours du xviie siècle que les scènes picturales, dont celles de Le Brun ou encore de Van Dyck, commencent à refléter l’enfant tel qu’on le voit et qu’on se l’imagine aujourd’hui : son corps, ses habits, ses jeux se distinguent désormais de ceux de l’adulte, témoignant d’un univers qui lui est propre. De plus, l’enfant se retrouve de plus en plus fréquemment à former le sujet principal des toiles, devenant même parfois celui autour duquel la composition du tableau s’organise lors des portraits de famille. C’est également à cette époque que se retrouve intimement associée la capacité d’apprendre d’un individu à la capacité du corps à recevoir cet enseignement, capacité qui dépend à la fois de l’humidité et de la malléabilité des fibres du cerveau. C’est en partie en raison de la prédominance de la médecine humorale qui faisait alors autorité que l’on s’intéresse à l’enfance comme à une période cruciale du développement. Malebranche, par exemple, en faisant sienne cette théorie, observe, dans De la Recherche de la vérité, que « les fibres du cerveau dans l’enfance sont molles, flexibles et délicates » (L. II, 1ère partie, chap. VI, § II). C’est également durant cette période qu’apparaît l’idée de plus en plus soutenue, en particulier par les pédagogues, de l’innocence de l’enfant que l’on doit alors préserver : les interrogations scientifiques croisent ainsi les questions morales. Mais si l’enfant échappe de plus en plus à l’idée d’une nature corrompue liée au péché originel, il n’en demeure pas moins un être imparfait, qu’il importe d’autant plus d’éduquer afin de l’aider à développer son discernement moral, son esprit et son goût.
Ces vastes questionnements qui embrassent la philosophie de l’entendement ont des conséquences sur les pratiques éducatives. À la suite de la traduction que propose, dès 1695, Pierre Coste au Some thoughts concerning education de Locke se multiplient les propositions de rénovations éducatives, attentives à réformer les « méthodes » et à inventer des postures éducatives soucieuses d’intégrer à la fois les thèses empiristes et cette nouvelle réflexion sur la nature de l’enfant qui affleure alors. En amont ou en aval de l’éducation négative théorisée par Rousseau apparaissent de multiples propositions d’éducation que l’on pourrait dire positives, encourageant une implication forte de la figure éducative, et promouvant une éducation dans et par le monde social. Face à l’enfant et devant l’expérience éducative, des rénovations sont proposées, jouant d’un désir diffus de réformer les anciennes techniques et de donner un contenu adapté à l’action éducative : postures pédagogiques et pratiques éducatives sont l’objet d’un vaste mouvement de réflexion dont nous aimerions examiner la diversité, avec et par-delà les acquis de l’empirisme. En termes de postures pédagogiques, des pistes de réflexion nouvelles se font jour, principalement autour de la revalorisation des passions dans l’éducation : en tentant de stimuler l’intérêt de l’élève, et en veillant à donner une consistance renouvelée au principe horatien de l’utile dulci, les éducateurs s’interrogent entre autres sur la place de la joie, de la curiosité et des relations affectives dans l’éducation. En outre, la conception du plaisir, combinée à une philosophie de l’entendement liée aux apports de l’empirisme et, plus tard, aux propositions séduisantes d’Helvétius, prend une place dans les justifications des formes nouvelles proposées pour éduquer (dialogues, saynètes, théâtre éducatif, etc.). Ces interrogations ont aussi des conséquences sur la définition d’une juste posture du précepteur : les figures tutélaires et dirigistes, sous la forme de gouverneurs omniprésents ou de mères toutes puissantes (à l’instar des fictions de Genlis ou de Leprince de Beaumont, ou encore des propositions théoriques de Fénelon concernant la place de la mère dans l’éducation des filles) côtoient des figures d’éducateurs qui se placent en retrait pour mettre en œuvre des situations d’apprentissages autonomes. Comment se définit alors un « idéal pédagogique » (Grandière, 1998) entre enfermement et ouverture mesurée au monde ?
En ce sens, la question des représentations de l’enfance et de l’émergence de nouvelles postures éducatives sous l’Ancien Régime dépasse le champ des études littéraires. C’est pourquoi ce colloque, de nature interdisciplinaire, souhaite accueillir les chercheurs en début de carrière (étudiants à la maîtrise ou au master ainsi que des doctorants, postdoctorants et jeunes chercheurs) œuvrant dans les différents champs des sciences humaines, de la littérature à la philosophie, en passant par l’histoire (de l’éducation, des mentalités, de l’art, de la médecine et du corps, etc.). Nous sollicitons des propositions d’intervention s’inscrivant dans l’un des axes suivants : Représentations physiologiques, intellectuelles et morales de l’enfant : conceptualisation de l’enfance (corruption ou pureté, caractères, aptitudes morales et responsabilité, naissance d’une personnalité intellectuelle et morale) ; périodisation (différenciation des âges de la vie, question de l’évolution des passions) ; physiologie (le corps de l’enfant, les fibres et l’« impression » des connaissances) ; représentations picturales.
Modulations et rénovations des postures éducatives : postures pédagogiques (temps et moments de l’éducation, posture du précepteur, adaptation à une « individualité », usage des passions positives, joie et curiosité) ; pratiques éducatives (journées types et emploi du temps, lieux de l’éducation, bibliothèques éducatives, instruments pédagogiques interrogeant notamment la place des jeux, de la fiction, de l’imagination dans l’éducation) ; différenciations pédagogiques (mixité, critiques et bénéfices respectifs des enseignements particulier ou scolaire) ; enfin, enjeux posés par l’hygiène de l’enfant.
Les communications inédites ne devront pas dépasser les vingt minutes allouées à chaque participant. Les propositions de communication en français (titre et résumé de 250 mots, courte notice biobibliographique incluant niveau d’étude et affiliation institutionnelle) devront être envoyées au comité organisateur avant le 15 juillet 2016 à l’adresse suivante : enfanceancienregime@gmail.com
Comité organisateur et scientifique :
Andréane Audy-Trottier (UPEC) et Jeanne Chiron (UPEC)
Coordination scientifique :
Marc André Bernier (UQTR) et Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval (UPEC)
RESPONSABLE : Andréane Audy-Trottier et Jeanne Chiron
ADRESSEUniversité Paris-Est Créteil