L’éloge (du latin eulogium— épitaphe laudative et du grec elegeion, distique élégiaque) se définit comme un discours (logos) épidictique né d’une vigoureuse admiration. L’éloge implique une instance énonciative, productrice d’un discours évaluatif saturé d’amplification et de valorisation. L’éloquence de l’acte célébratif, éminemment rhétorique, établit ainsi la singularisation et l’élévation d’un objet. Communément opposé au blâme (notamment dans le cadre de la rhétorique aristotélicienne), l’éloge viserait à produire, au terme d’un discours persuasif, un jugement mélioratif de l’objet visé. Chargé de ponctuer les occasions et les champs d’activité les plus disparates (la Grèce Antique déclamera des épithalames, des thrènes, des épinicies, des parthénées…), l’éloge est surtout sensible dans la pratique de la poésie amoureuse. L’éloge du féminin traverse l’histoire littéraire : les odes et fragments saphiques, le cantique des cantiques biblique, la tradition du ghazal dans la poésie courtoise arabe et perse, les Amours et Odes ronsardiennes, Le fameux sonnet à Caliste de Malherbe, L’union libre d’André Breton, Les Poèmes à Lou d’Apollinaire, l’hommage à la Femme noire de Léopold Sédar Senghor, The lesbian body de Monique Wittig se lisent comme autant de variantes encomiastiques. Le transport laudatif peut aller jusqu’à la fétichisation de son objet : la tradition du blason déclame la beauté d’une chevelure (Jean de Vauzelles, Baudelaire), d’un sourcil, d’un front, de la gorge, d’une larme, d’un soupir, d’un « beau tétin » (Maurice Scève) ou encore des yeux (Paul Éluard). L’éloge peut même aller jusqu’à disséquer l’objet de son discours, évoquant une opération quasi anatomique : Antoine Héroët et Mellin de Saint-Gelais font ainsi l’éloge de l’œil alors l’abbé Eustorg de Beaulieu décrit minutieusement la joue, la langue ou encore le nez.
Les propositions de communication pourront suivre les axes de recherche suivants :
Les modalités de représentation du féminin :
Il s’agit d’interroger le rapport qu’entretient l’éloge avec l’amplification de son objet. Quels rôles et conséquences attribuer à l’exagération laudative ? Textuellement sensible par le moyen de l’exclamation, l’hyperbole, l’anaphore, la répétition, l’usage du superlatif, etc., cette amplification permet-elle de rendre hommage à un objet de discours ou conduit-elle au contraire à son effacement ? Dans ce dernier cas, quel serait donc le réel contenu de l’exclamation laudative ?
-Il s’agit d’interroger le statut de l’objet du discours : étymologiquement ob-jectum (ce qui est jeté devant), il est entièrement assumé par une énonciation évaluatrice. Qu’indiquent la description, la comparaison, la gradation, la présentation totale ou partielle (le blason), etc. quant à la composition de l’objet envisagé ? L’exaltation poétique indique-t-elle une volonté de saisir entièrement l’objet par le discours, dans une sorte de possession violente ?
-Quelle relation entre le fétichisme et l’écriture, toujours partielle, d’un blason ?
-Il est aussi possible d’examiner la charge pathique de l’exaltation encomiastique, souvent lyrique. Est-il nécessaire d’exposer un entraînement affectif pour établir la singularité ou la supériorité d’un objet ? En quoi l’affect est-il garant d’authenticité poétique ? Est-il possible d’envisager une autre impulsion à partir de laquelle se déploierait le chant laudatif ? Quel rapport entre la charge pathique du chant et l’objet du discours ? Il serait ici intéressant de confronter l’apport de la philosophie des affects de l’époque au texte étudié.
Les présupposés esthétiques/ épistémologiques/ philosophiques de l’éloge :
Quels sont les idéaux (esthétiques, moraux, religieux…) qui transparaissent dans la restitution du féminin ? Chaque éloge suppose en effet une échelle de valeurs, une hiérarchisation qui justifie la mise en avant de l’objet chanté. Quelles sont les valeurs mises en avant dans la composition du féminin ? Ces valeurs recoupent-elles les conventions esthétiques/ sociales de l’époque ?
-Le poème offre-t-il une illustration du canon de beauté de l’époque ? Si oui, quelle relation entre l’éloge du particulier et l’idée, générale, du canon de beauté ?
–L’éloge se contente-il de reprendre des valeurs philosophiquement et socialement établies ou comporte-t-il une charge argumentative, voire subversive ?
L’éloge en rapport avec la construction du genre :
-Comment comprendre la relation entre l’éloge et le blâme (le féminin étant longtemps conçue comme une altérité terrifiante ou méprisée ?) En quoi l’exaltation est-elle libération de la sensualité féminine ou symptôme d’un enfermement de son image ?
-Quelle place pour l’éloge du « féminin » dans nos sociétés contemporaines, soucieuses de déconstruire le genre ?
L’éloge, fabrique du désir :
-Quel éclairage peut-on tirer de la pratique encomiastique quant au mécanisme du désir?
-Peut-on parler d’un voyeurisme, d’un fétichisme ou d’un exhibitionnisme laudatif ?
-À qui s’adresse l’éloge érotique ? En quoi une telle écriture peut-elle contribuer à la fabrique, à la subversion ou à la reproduction d’un fantasme ?
Les propositions sont ouvertes à toutes traditions poétiques, sans restriction quant à l’époque.
Mots-clés : éloge, blâme, philosophie et rhétorique, philosophie des affects, poésie, persuasion, argumentation, stylistique, esthétique, épistémologie, éloge du féminin, poésie érotique, blason, représentation, sexe et genre
Les propositions de communications devront être envoyées avant le 15 avril 2020 par mail à l’adresse suivante : elogecolloque2020@gmail.com et devront comporter un titre, un résumé (300 mots) ainsi qu’une courte biographie (affiliation universitaire, domaine de recherche). Les communications durent 25 minutes, en français ou en anglais. Elles feront l’objet d’une publication.
Date : 3 juin 2020
Lieu : Salle Las Vergnas, Sorbonne nouvelle, PARIS
Comité scientifique
Hugo Azérard, Université de Cambridge
Christian Doumet, Sorbonne université
Philippe Daros, Sorbonne nouvelle
Anne-Isabelle François, Sorbonne nouvelle
Pamela Krause, Sorbonne université, co-organisatrice
Nessrine Naccach, Sorbonne nouvelle, co-organistarice
Bibliographie
-Aristote, Rhétorique, trad. Jean Lauxerois, Paris, Pocket, coll. « Agora », 2007
-Chaim Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1988.
-dir. Alain Génetiot, L’Éloge lyrique, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Publications du Centre d’étude des milieux littéraires », 2009.
-dir. Philippe Guisard, Christelle Laizé, Éloge et blâme figures et pratiques, coll. Cultures antiques, Paris, Ellipses, 2016.
– Marc Dominicy, Madeleine Frédéric, La Mise en scène des valeurs. La Rhétorique de l’éloge et du blâme, Lausanne, Paris, Delachaux & Niestlé, 2001.
-Emmanuelle Danblon, La fonction persuasive : Anthropologie du discours rhétorique : origines et actualité, Paris, Armand Colin, 2005.
-Laurent Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1993.
-Peter Goldie, The Oxford Handbook of Philosophy of Emotion, The Oxford Handbook of Philosophy of Emotion, New York, Oxford University Press, 2009.
-Judith Butler, Gender trouble : feminism and the subversion of identity, Routledge, New York, 1990.
-Terry Castle, The Apparitional Lesbian : Female Homosexuality and Modern Culture, Columbia University Press, New York, 1993.