Colloque prévu à l’université d’Artois, Arras
S’il est défini canoniquement par la papauté comme un sacrement depuis 1184, le mariage est aussi depuis 1792 un contrat civil qui, du moins jusqu’en 2013 en France, unissait un homme et une femme. Objet de nombreux débats et satires, le mariage est donc régi par des règles juridiques et religieuses que la littérature et les arts ont reformulées avec leur propre langage et leurs propres codes esthétiques et moraux. L’exemple le plus connu de cet écart est que le mariage d’amour est présenté comme le dénouement heureux de la comédie et du roman héroïque, dans une période où pourtant, selon la célèbre formule de Montaigne, « Un bon mariage, s’il en est, refuse la compagnie et conditions de l’amour ». Aussi la littérature invente-t-elle des « fictions » du mariage – à moins qu’elle ne décide de le rejeter comme dans la fin’amor ou la préciosité – visant à idéaliser l’union conjugale pourtant soumise à des contraintes sexuelles et sociales imposées par l’Église ou la loi.
Les études sur le mariage, l’élaboration de ses normes et l’évolution de ses représentations ont été particulièrement approfondies par les historiens et les anthropologues. Pour la période qui nous occupe, on peut citer par exemple la magistrale étude de Jack Goody sur L’Évolution de la famille et du mariage en Europe (1985), les travaux de Georges Duby sur le mariage dans la France féodale (1981) ou encore de Maurice Daumas sur le mariage amoureux sous l’Ancien Régime (2004). Dans le même mouvement, la critique littéraire s’est attachée à l’étude des représentations du mariage, principalement dans le genre narratif, donnant lieu à plusieurs recueils collectifs d’une grande richesse. Ainsi, après avoir élaboré un numéro spécial des Dalhousies French Studies, intitulé « Le Mariage sous l’Ancien Régime » (2001), Claire Carlin a réalisé un site réunissant de nombreux traités sur le mariage composés entre le XVIe et le XVIIIe siècle. De leur côté, Richard Crescenzo, Marie Roig-Miranda et Véronique Zaercher ont recueilli deux volumes d’études sur Le Mariage dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles. Réalités et représentations, parus aux Presses Universitaires de Nancy en 2003. Ultérieurement, en prenant appui sur la définition du mariage comme topos littéraire, Françoise Lavocat avec la collaboration de Guiomar Hautcœur a édité et présenté un volume collectif intitulé Le Mariage et la loi dans la fiction narrative avant 1800 (2014).
Dans le sillage de ces importantes publications, et dans une perspective transdisciplinaire l’incidence, sur la représentation du mariage dans la littérature, des normes morales, sociales et religieuses, mais aussi juridiques et médicales, qui connaissent d’importants changements entre le Moyen Âge et le XVIIIe siècle. On s’intéressera tout particulièrement aux discours tenus sur le mariage à l’intérieur des œuvres. À titre d’exemples, on peut évoquer les règles d’amour du Traité d’André le Chapelain (XIIe siècle), les célèbres « maximes du mariage » de l’École des femmes, ou encore la réflexion de Jean-Jacques Rousseau sur le mariage dans l’Émile et La Nouvelle Héloïse, et plus largement tous les conseils donnés aux jeunes marié.e.s. Il conviendra à propos de ces règles de nous interroger sur la façon dont la littérature reformule les normes extra-littéraires, pour les conforter, les critiquer ou les transgresser, offrant parfois des modèles alternatifs du couple susceptibles à leur tour de transformer le réel.
Quel sort fait précisément la littérature à ces règles régissant l’union et la sexualité, à leur langage, aux sanctions qui sont attachées à leur infraction (adultère, rébellion contre l’époux, viol conjugal, fuite) ? On portera une attention privilégiée aux discours tenus par les femmes – qu’elles soient autrices ou personnages – qui « n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles », écrivait encore Montaigne. La littérature est-elle le miroir fidèle d’une réalité vécue par les femmes à l’intérieur du mariage ? Ses représentations inversent-elles au contraire des relations de pouvoir subies dans la réalité ?
Plus généralement, on étudiera les modalités, la valeur et la portée de la critique du mariage à partir de différents contextes discursifs. Cette critique se déploie-t-elle dans le cadre d’un discours religieux, optant pour la précellence de l’amour divin sur l’amour humain ? Ou dans le cadre d’un discours intramondain, dénonçant les souffrances d’un mariage malheureux (comme dans les poésies de la malmariée) ou les chaînes de la conjugalité ? À l’inverse on considérera les textes prenant la défense du mariage, fondés sur une louange des femmes ou écrits en réaction à une tradition misogame. La comparaison des points de vue masculin et féminin pourrait offrir des pistes de compréhension des discours normatifs sur le rôle traditionnellement dévolu à la femme et à l’homme dans le mariage.
Les communications pourront porter sur tous les genres littéraires y compris les écrits intimes (journaux intimes, mémoires, correspondances) et les ouvrages didactiques.
Orientations bibliographiques :
Bologne (Jean-Claude), Histoire du mariage en Occident, Paris, Calmann-Lévy (Pluriel), 1997.
Carlin (Claire), Le Mariage sous l’Ancien Régime, URL : http://mariage.uvic.ca/
___________ (éd.), Le Mariage sous l’Ancien Régime, in Dalhousies French Studies 56, automne 2001.
Crescenzo (Richard), Roig-Miranda (Marie), Zaercher (Véronique), Le Mariage dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles. Réalités et représentations, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2003.
Daumas (Maurice), Le Mariage amoureux. Histoire du lien conjugal sous l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2004.
Discours juridique et amours littéraires, Jean-Pierre Dupouy et Gabriele Vickermann-Ribémont (dir.), Paris, Klincsieck, 2013.
Duby (Georges), Le Chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981.
Dion (Laëtitia), Histoires de mariage. Le mariage dans la fiction narrative française (1515-1559), Paris, Classiques Garnier, 2017.
Goody (Jack), L’Évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, 1985.
Lavocat (Françoise), avec la collaboration de Hautcœur (Guiomar), Le Mariage et la Loi dans la fiction narrative avant 1800, Louvain, Peeters, 2014.
Love and marriage in the Twelfth century, éd. van Hoecke (Willy) & Welkenhuysen (Andries), Leuven, Leuven UP, 1981.
Walch (Agnès), La Spiritualité conjugale dans le catholicisme français XVIe-XXe siècle, Paris, Le Cerf, 2002.
_____________, Histoire du couple en France, de la Renaissance à nos jours, Ouest-France, 2003.
____________, Histoire de l’adultère, Perrin, 2009.
Les propositions de communication sont à adresser conjointement avant le 31 janvier 2024 à :
Marianne Closson : marianne.closson at wanadoo.fr
Mireille Demaules : mireille.demaules at wanadoo.fr
Cassandre Crespin : cassandre.crespin at gmail.com