Comité d’organisation
Mélanie Bost-Fievet (EPHE), Perrine Galand (EPHE), Louise Katz (EPHE, CNRS-IRHT) et Sandra Provini (CÉRÉdI/Rouen)
Comité scientifique
Anne Besson (Maître de conférences HDR à l’université d’Artois), Daniele Maira (Professeur à l’université de Göttingen), Gérard Milhe Poutingon (Professeur à l’université de Rouen), Jean-Charles Monferran (Professeur à l’université de Strasbourg), Isabelle Pantin (Professeur à l’École Normale Supérieure), Stéphane Rolet (Maître de conférences à l’université Paris 8), Jean Vignes (Professeur à l’université Paris-Diderot), Véronique Gély (Université Paris-Sorbonne).
Les études de réception, qui constituent aujourd’hui en France un champ de la recherche en plein essor, ont abordé largement la présence du Moyen Âge(1) et, plus récemment, de l’Antiquité gréco-latine(2) aux xxe et xxie siècles, en prenant de plus en plus fréquemment en compte les littératures de l’imaginaire et la culture populaire contemporaine. Le colloque organisé en 2012 sur L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain : fantasy, science-fiction, fantastique(3) a notamment permis de mettre en évidence la complexité des jeux de réécriture, de citation, de détournement, et la fécondité des motifs et mythes antiques dans la construction d’univers secondaires, mais a aussi fait apparaître la Renaissance comme un jalon incontournable de la réception de l’Antiquité aux xxe et xxie siècles.
Pourtant, cette période, envisagée ici sur la longue durée, du Quattrocento à la fin du xvie siècle, n’a pas encore reçu en France toute l’attention qu’elle semble mériter et que lui accordent déjà depuis plusieurs années les recherches anglophones sur le devenir de la Renaissance anglaise(4). La Renaissance entretient en effet avec l’idée même de réception une affinité évidente : humanistes et artistes commentent, imitent, réinventent textes, œuvres et concepts antiques et médiévaux. Nombreux sont ainsi les travaux consacrés à la réception des œuvres antiques à la Renaissance, qui font apparaître cette période comme un modèle pour le réinvestissement de sources anciennes dans la création. Mais on ne s’est encore guère intéressé à la manière dont les œuvres, les personnes, les idées de la Renaissance avaient pu informer l’imaginaire contemporain(5), et dont les œuvres des xxe et xxie siècles s’approprient ce matériau(6). La réception de la Renaissance au xixe siècle est mieux connue, et a suscité de nouvelles études ces dernières années(7), qui ont pu à l’occasion aborder le xxe siècle(8). L’attention s’est aussi portée, plus ponctuellement, sur la réception de tel ou tel « grand » auteur dans une perspective diachronique large : Rabelais, Ronsard et la Pléiade, Montaigne et d’Aubigné se sont vu consacrer des monographies ou des collectifs. Mais là encore, les travaux ont principalement exploré le xixe siècle(9), qui apparaît comme un point de relais majeur pour la réception contemporaine de la Renaissance.
C’est sur celle-ci cependant que nous souhaitons nous concentrer, en privilégiant la réception du Quattrocento et du xvie siècle aux xxe et xxie siècles, et en nous intéressant tout particulièrement aux œuvres de grande diffusion et à la présence de la Renaissance dans la culture populaire des cinquante dernières années, afin de dégager, dans un travail comparable à celui qui a été conduit sur les époques antérieures, les particularités de la réception de la Renaissance à l’époque contemporaine. Quels événements ont marqué l’imaginaire collectif « Quelles caractéristiques spécifiques de la Renaissance des différents pays européens peut-on identifier dans les représentations populaires de la période « Que reste-t-il de l’humanisme aujourd’hui » Comment est perçue sa place dans l’histoire européenne »
On s’intéressera, pour répondre à ces questions, à un large éventail de créations, prioritairement dans le domaine francophone, encore peu étudié : littérature, en particulier littérature dite de genre (science-fiction, fantasy, roman policier, romance) et succès de librairie, bande-dessinée, cinéma, séries télévisées, jeux (vidéo, de société, de rôle).
Trois axes de réflexion nous ont paru particulièrement féconds :
– la réception de la littérature européenne de la Renaissance.
On s’intéressera aux lectures actualisantes, aux réécritures littéraires et aux transpositions sur la scène et à l’écran des œuvres de la période ? sans s’en tenir à l’auteur le plus abondamment adapté, Shakespeare. On se demandera quel type d’imitation les auteurs contemporains pratiquent : la contaminatio patiemment élaborée à partir de sources précises (réécriture futuriste de la Jérusalem libérée par François Baranger dans Dominium mundi), qui pourra donner lieu à des analyses hypertextuelles détaillées(10) ; la transposition de personnages « transfictionnels »(11) dans de nouveaux univers (Prospero et Caliban dans Olympos de Dan Simmons) ou encore la simple reprise d’éléments culturels qui, accédant au statut de mythes universels, ont gagné leur indépendance par rapport à leur période d’invention (Roméo et Juliette, de la science-fiction à la comédie musicale).
On examinera aussi les rééditions et les commentaires instrumentalisant pour une nouvelle cause des œuvres de la Renaissance devenues modèles de littérature de combat, comme la Satyre Ménippée, à la Révolution et sous la IIIe République, ou le discours De la servitude volontaire de La Boétie, régulièrement réédité en Europe dans les périodes de révolution ou de guerre. On pourra aussi se demander quelle influence les écrits de More, Machiavel ou La Boétie exercent sur la mode actuelle de la dystopie.
On pourra également s’intéresser aux fictions biographiques et aux biopics consacrées aux écrivains (Rabelais, Montaigne, Marie de Gournay?) ainsi qu’aux lectures contemporaines de penseurs humanistes perçus comme sources de notre « modernité » (Stefan Zweig, Michel Butor, Milan Kundera, Carlos Fuentes, Antoine Compagnon).
Enfin, on pourra étudier le devenir de la langue de la Renaissance, avec laquelle les écrivains francophones se sentent une affinité particulière(12), ou encore celui des jeux de langage perçus comme propres à la période, les Grands Rhétoriqueurs ayant été pris pour modèles tant par les « Incohérents » à la fin du xixe siècle que par Aragon dans ses recueils de la Résistance ou par les membres de l’Oulipo au xxe siècle. On citera aussi la recherche linguistique effectuée par Robert Merle dans sa saga historique Fortune de France, qui connut un grand succès populaire. Dans le domaine anglophone, la langue de Shakespeare est source de nombreuses expérimentations littéraires, comme la réécriture des deux trilogies Star Wars dans le style du dramaturge.
– la réception des arts et de l’imaginaire symbolique.
On cherchera à cerner notre mémoire des œuvres d’art de la Renaissance, pour laquelle le public montre toujours un engouement certain qu’indiquent tant la fréquentation des expositions que les nombreuses publicités illustrées par des tableaux renaissants, ou encore la reprise par les cinéastes de procédés de composition ou d’éclairage immédiatement reconnaissables comme renvoyant à cette période. La vigueur persistante de l’imaginaire pictural hérité de la Renaissance se repère tant dans les clins d’?il et pastiches (Bruegel dans Astérix chez les Belges) que dans les détournements d’œuvres d’art (L.H.O.O.Q.). On se penchera aussi sur la manière dont la peinture de la Renaissance (italienne et flamande en particulier) nourrit les fantasmes contemporains, comme en témoignent les nombreux polars et thrillers basés sur le mystère supposé de ces œuvres (Dan Brown, Iain Pears, Arturo Pérez-Reverte). De nombreuses fictions imaginent également la vie des peintres et les conditions de réalisation de leurs œuvres (Sophie Chauveau, Jean Diwo, Tracy Chevalier), ou élaborent une véritable mystique autour de certaines figures, comme Léonard de Vinci.
On s’intéressera en outre au devenir d’autres formes artistiques, comme le théâtre, la danse et la musique, et aux efforts de compagnies (Ris et danceries) ou d’ensembles (Clément Janequin, Doulce Mémoire) pour permettre leur diffusion, ainsi qu’à la manière dont la chanson s’est emparée de techniques musicales et de textes poétiques renaissants (disque Poétesses de la Renaissance de Chantal Grimm, chansons et albums de Ridan ou de Sting).
On pourra, enfin, prendre en compte la réception d’un imaginaire symbolique plus diffus à l’œuvre notamment dans la construction d’univers secondaire : paysages urbains ? on pense à la Ciudalia de Jean-Philippe Jaworski (Gagner la guerre) ou à la Camorr de Scott Lynch (The Lies of Locke Lamora) ?, qui rappellent la Gêne ou la Venise de la Renaissance ; pratiques sacrées et occultes (l’alchimie dans L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Nostradamus) ; imaginaire du complot ; univers de la fête, de la mascarade, renversement carnavalesque ; redécouverte d’un passé perdu ou inconnu.
– la réception des événements historiques, des grandes découvertes et des inventions scientifiques.
On verra comment la représentation d’événements ou de personnages historiques oscille entre fantasme, anachronisme délibéré et souci de véracité. On pourra ainsi étudier la mémoire de la Réforme et des guerres de religion, souvent relues au prisme de l’actualité contemporaine (mise en parallèle de la Saint-Barthélemy avec la guerre de Bosnie-Herzégovine dans La Reine Margot de Patrice Chéreau). On s’intéressera aussi au devenir de certaines dynasties qui ont suscité une légende toujours vive, souvent accompagnée d’un parfum de scandale, comme les Tudor, les Borgia (qui ont inspiré d’innombrables pièces et romans, d’Hugo et Dumas à Manuel Vázquez Montalbán et Mario Puzo, et aux deux séries récentes, The Borgias et Borgia) ou les derniers Valois (Charly 9 de Jean Teulé, pour ne citer que le dernier titre en date inspiré par cette famille). Il sera en particulier nécessaire de revenir sur la genèse de la légende de ces différents personnages, et sur les œuvres qui, au xixe siècle notamment, en ont fixé les traits dans l’imaginaire contemporain, comme les historiens se sont attachés à le faire en ce qui concerne la « légende noire « des Valois, aujourd’hui largement révisée dans les ouvrages savants mais toujours vivace dans la culture populaire. Les femmes de ces dynasties, de Lucrèce Borgia à ? Margot ? ou à la » reine noire » Catherine de Médicis, font tout particulièrement l’objet de clichés tenaces, peintes en courtisanes ou en sorcières, tandis que l’histoire littéraire a longtemps passé sous silence les plus grandes femmes écrivains de la Renaissance.
On verra aussi quelle empreinte ont laissée les découvertes et inventions de la Renaissance dans l’imaginaire contemporain ? la conquête du Nouveau Monde (un roman comme Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin, un film comme The New World de Terence Malick ou encore une production pour enfants comme les Mystérieuses Cités d’or), la révolution copernicienne et les travaux de Galilée ou encore l’invention de l’imprimerie (par exemple dans Le Maître de Garamond d’Anne Cunéo) ? et la manière dont celles-ci entrent en résonance avec les bouleversements épistémologiques et technologiques de notre post-modernité (mondialisation, révolution numérique?).
On pourra également se pencher sur le souci du réalisme historique dans la conception des costumes et des décors non seulement au cinéma (La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier), mais aussi dans le jeu vidéo (Assassin’s Creed 2).
L’exploration de l’ensemble de ces pistes permettra d’esquisser une cartographie de notre mémoire collective de la Renaissance. On se propose donc d’étudier la Renaissance comme un mythe, avec ses héros, ses héroïnes (souvent occultées par l’histoire), ses lieux privilégiés, un mythe construit et transmis par des générations de chercheurs, mais aussi d’artistes, de romanciers, de cinéastes, qui tout à la fois reconduisent des lieux communs et réinventent sans cesse cette période. Pour définir cette « Renaissance imaginaire » dans la culture contemporaine, le colloque, résolument interdisciplinaire, associera des interventions de chercheurs et des entretiens avec des écrivains et créateurs qui seront invités à réfléchir sur leurs pratiques et leur rapport à la Renaissance. Il s’adressera tant aux spécialistes de la Renaissance intéressés par ses prolongements à l’époque contemporaine, qu’aux spécialistes de littérature comparée, de littérature des xxe et xxie siècles, des arts du spectacle et aux historiens de l’art.
Les propositions de communication seront envoyées aux organisateurs sous la forme d’un résumé d’une page maximum, accompagnées d’une courte bio-bibliographie avant le 30 juin 2015 à l’adresse courriel suivante : melanie.bostfievet@gmail.com
(1) L’association « Modernités médiévales », notamment, organise depuis 2004 de nombreuses manifestations universitaires autour du médiévalisme.
(2) Si les universitaires anglo-saxons ont développé les Classical Reception studies depuis une vingtaine d’années et si les comparatistes français ont largement travaillé la réception des mythes antiques dans la littérature contemporaine, les études de réception de l’Antiquité semblent connaître un nouvel essor depuis les années 2000, avec la création de la revue Anabase en 2005, la publication du séminaire Modernités antiques organisé par V. Gély et A. Tomiche en 2007-2009 et l’organisation d’un colloque sur l’Antiquité dans la poésie contemporaine par P. Galand et B. Gorrillot en 2011, dont les actes paraîtront prochainement aux éditions Droz sous le titre : L’empreinte gréco-latine dans l’écriture contemporaine. Voir notamment S. Ballestra-Puech, « L’héritage gréco-latin ?, La Recherche en littérature générale et comparée en France en 2007. Bilan et perspectives, études réunies par A. Tomiche et K. Ziegler, Presses universitaires de Valenciennes, 2007, p. 47-55 ; V. Gély, » Les Anciens et nous : la littérature contemporaine et la matière antique « , Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009/2, p. 19-40 ; ? Partages de l’Antiquité : un paradigme pour le comparatisme », Partages de l’Antiquité : les classiques grecs et latins et la littérature mondiale, dir. V. Gély, Revue de littérature comparée, LXXXVI, n’ 4, octobre-décembre 2012, p. 387-395 (p. 390-391). Voir aussi le programme de recherche allemand « Transformationen der Antike » (http://www.sfb-antike.de).
(3) Voir L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain : Fantasy, science-fiction, fantastique, sous la dir. de M. Bost-Fiévet et S. Provini, Paris, Classiques Garnier (Rencontres, n’ 88), 2014.
(4) La réception de la Renaissance anglaise aux xxe et xxie siècles a déjà donné lieu à de nombreux colloques et publications, qu’ils portent sur les Tudors (voir Tudorism: Historical Imagination and the Appropriation of the Sixteenth Century, éd. Tatiana C. String and Marcus Bull, Oxford University Press, 2011), les représentations d’Elisabeth (voir par exemple Michael Dobson et Nicola J. Watson, England’s Elizabeth : An Afterlife in Fame and Fantasy, Oxford, Oxford University Press, 2002) ou encore les adaptations de Shakespeare (voir notamment les travaux de Sarah Hatchuel et de Mark Thornton Burnett). Voir aussi l’ouvrage récent dirigé par Mark Thornton Burnett et Adrian Streete, Filming and Performing Renaissance History, Palgrave Macmillan, 2011, qui porte pour l’essentiel sur le cinéma et le théâtre contemporains.
(5) Il faut citer toutefois l’ouvrage pionnier consacré à La postérité de la Renaissance, textes réunis par Fiona Mcintosh-Varjabédian en collaboration avec Véronique Gély, Éditions du conseil scientifique de l’Univ. Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2007. On signalera aussi le volume collectif Recepcja renesansu w XIX i XX wieku, éd. Ma« gorzata Wróblewska-Markiewicz, ?ód’, 2003, le colloque international organisé par l’Université d’Harvard et l’EHESS en novembre 2011 sur » Renaissance & cinema « , ainsi que la table-ronde ? Devenirs de la Renaissance » organisée par Jean-Charles Monferran et Anne Réach-Ngô le 8 juin 2013 et le colloque Inextinguible Rabelais organisé par Mireille Huchon du 12 au 15 novembre 2014 à Paris-Sorbonne.
(6) On citera en particulier l’exercice de micro-lectures pratiqué par Paul J. Smith dans Réécrire la Renaissance de Marcel Proust à Michel Tournier, exercices de lecture rapprochée, Amsterdam, Rodopi (Faux titre), 2009.
(7) Du dynamisme de ce champ d’étude témoignent le collectif Une liberté orageuse. Balzac ? Stendhal. Moyen Âge, Renaissance, Réforme, textes réunis par Michel Arrous, Florence Boussard et Nicolas Boussard, Paris, Eurédit, 2004, ainsi que les thèses récentes de Stéphane Arthur, La représentation du seizième siècle dans le théâtre romantique (1826-1842), thèse de doctorat sous la direction de Françoise Mélonio, soutenue à l’université Paris-Sorbonne en octobre 2009, et de Daniele Maira, Renaissances romantiques. Littérature, Histoire, Idéologies, thèse d’habilitation présentée à l’Université de Bâle en décembre 2013.
(8) Entre la lumière et les ténèbres. Aspects du Moyen Âge et de la Renaissance dans la culture des XIXe et XXe siècles, éd. Brenda Dunn-Lardeau, Paris, Champion, 1999.
(9) On citera toutefois la journée d’étude organisée par Catherine Volpilhac-Auger à l’ENS de Lyon le 24 avril 2015 sur « La fabrique de la Renaissance au temps des Lumières. Éditer les auteurs du xvie siècle au xviiie ».
(10) Cf. Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, éditions du Seuil (Points Essais), 1982.
(11) Voir R. Saint-Gelais, Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, 2011.
(12) Voir la journée d’étude organisée et animée par Michel Jourde et Cécile Van den Avenne à l’ENS de Lyon (14 mai 2013) sur la « présence de Rabelais dans les littératures de langue française d’Afrique et d’Amérique ».