La philologie et l’histoire vont depuis longtemps de pair dans l’étude de la littérature médiévale. Cela est explicable : premièrement, au Moyen Age, le domaine des « belles lettres ? n’a pas d’autonomie, il n’est pas séparé des autres ouvrages ayant une fonction didactique ou même pragmatique ; deuxièmement, la compréhension d’un texte médiéval demande toujours du lecteur une large érudition historique » une certaine connaissance de la société du Moyen Age, des realia de la vie quotidienne, ainsi que du contexte événementiel et idéologique dans lequel ce texte a été créé et ou il agit parfois d’une façon très active.
Dans les dernières décennies du XXe et au début du XXIe siècles les philologues et les historiens médiévistes collaborent de plus en plus étroitement. Les historiens se tournent de plus en plus souvent vers l’étude des oeuvres qui constituent d’habitude l’objet de l’analyse philologique ? des chansons de geste, des romans et mêmes des poèmes lyriques ; la littérature médiévale y apparaît souvent comme le miroir de l’histoire des idées et, probablement encore plus fréquemment, comme l’histoire de la quotidienneté. Cette dernière approche de l’étude des monuments littéraires du Moyen Age devient actuellement si répandue qu’on peut parler de la naissance d’un nouveau courant scientifique qui attire également les philologues et les historiens. L’analyse des textes médiévaux comme miroir de la quotidienneté se rapproche parfois d’un autre courant des études médiévales « celui de l’examen de l’ « écriture pragmatique ?, c’est-à-dire, des fonctions pragmatiques des poèmes écrits sur l’exemple des testaments, des ballades » diétologiques » d’Eustache Deschamps ou encore ses poèmes de thématique historique.
Ces études des derniers temps, faisant une synthèse de l’interprétation historique et philologique des textes, se caractérisent par une volonté de revoir les recherches de la seconde moitié du XXe siècle marquées par le « retour au langage » et par la déconstruction totale de la narration. Notre colloque s’inscrit dans cette perspective.
En effet, lorsque des chercheurs de disciplines diverses travaillent dans le même espace, apparaissent d’une façon systématiques des questions, dont les réponses dépendent de la prise de positions de celui qui effectue la recherche. Par exemple, comment expliquer la diminution des éléments comiques et humbles dans les mises en prose de la Chronique de Bertrand Du Guesclin de Cuvelier « Faut-il y voir l’opposition ? traditionnelle pour le Moyen Age » de la forme-prose et de la forme-vers (la première est associée à l’époque médiévale au registre élevé, la seconde au registre inférieur) ou bien tenir compte du fond historique et social, en affirmant que la transformation de Bertrand Du Guesclin en héros national ne permettait désormais aux écrivains de le représenter sous des traits comiques ?
Dans la chanson de geste inachevée C’est du roi de Sicile, par Adam de La Halle, consacrée à Charles I d’Anjou, il est dit que ce monarque surpasse à tous les égards ses frères, y compris Saint Louis ; faut-il croire que cet éloge est motivé par les particularités du genre de la chanson épique, dont le héros principal est toujours idéalisé, ou par le contexte historique dans lequel le poème est créé, puisque, dans les dernières années de sa vie, Adam de La Halle fut très lié à Charles d’Anjou et vécût un certain temps à sa cour ?
Dans la poésie lyrique médiévale des plusieurs régions « en Provence, au Nord de la France, en Sicile et en Toscane « les rapports du » je » lyrique et de sa bien-aimée prennent des formes diverses : de la contemplation de l’image de la dame que le poète conserve dans son coeur jusqu’à un jeu érotique sensuel. Pourrait-on voir dans cette différence du sentiment amoureux l’opposition des deux registres (supérieur, courtois et inférieur, anti-courtois)? Ou bien faut-il croire que dans les poèmes du premier type se reflètent les rapports de vassalité (puisque le poète chante l’épouse ou la bien-aimée de son seigneur), alors que dans le second cas le chercheur a un témoignage des pratiques érotiques répandues au Moyen Age ?
La pluralité des réponses aux mêmes questions qui apparaissent lorsqu’on discute une seule oeuvre ou quelques textes « notamment, appartenant à tel ou tel genre ou bien ceux qui contiennent des versions diverses du même sujet » démontre qu’il serait intéressent d’organiser un colloque consacré à la comparaison des approches philologiques et historiques à l’étude de la littérature médiévale, ainsi qu’à leur interaction possible et à leur concurrence.
Les participants du colloque devraient choisir un ou quelques textes qui permettent d’opposer plusieurs interprétations du même problème ? par exemple, expliquer certaines particularités de son corpus, d’une part, à la lumière des doctrines esthétiques, importantes pour le Moyen Age, des arts poétiques, de l’histoire d’un genre littéraire, d’autre part, à la lumière de l’histoire des idées, de la sociologie historique ou des événements précis. Comme nous envisageons, en conclusion de la communication, des participants présenterons des arguments en faveur d’un point de vue particulier ou entreprendront de prouver que par rapport aux textes analysés des prises des positions diverses se complètent. Cette tâche, semble-t-il, n’a jamais été formulée lors de l’organisation d’autres rencontres pluridisciplinaires avec la participation des philologues et des historiens. Nous proposons d’analyser principalement les textes à tendance littéraire, c’est-à-dire, ayant une composante esthétique ? des romans, des chansons de geste, des poèmes lyriques, etc., ainsi que des textes métalittéraires (les arts poétiques, les rhétoriques).
Comme nous l’espérons, ce colloque permettra d’apprécier la signification des composantes esthétique et socio-historique pour des couches diverses des textes et des périodes différentes de la littérature médiévale. Ainsi, les contours flous de l’espace en évolution permanente, devenant de plus en plus large, qui deviendra plus tard celui des « belles lettres », seront plus précis pour le Moyen Age. Nous attendons également que le travail du colloque contribuera à l’apparition de nouvelles interprétations de certains motifs, sujets, particularités structurelles et formelles d’un texte (par exemple, du dialogue, de la forme-vers et de la forme-prose ou du mélange macaronique des dialectes). En effet, les philologues médiévistes souvent exagèrent les aspects esthétiques des textes analysés, les identifiant, peut-être, inconsciemment, à une oeuvre littéraire de nos jours, où tout est créé, pour ainsi dire, par la volonté de l’auteur qui cherche à faire sur son lecteur ou auditeur un effet esthétique. Mais est-ce que cette identification est fondée ?
Voici certaines questions qui peuvent être discutées lors du colloque :
– les traits constitutifs de la chanson de geste, du roman, du fabliau, de la chanson lyrique, etc. dans le contexte historique et littéraire ;
– l’auteur médiéval : le conventionnel et le réel, historiquement motivé dans son image ;
– la composante historique et sociale des arts poétiques médiévales ; la motivation historique et sociale des concepts et des normes littéraires ;
– l’influence des systèmes du savoir médiévaux sur les textes littéraires ; une oeuvre dans le contexte de la « philosophie » médiévale, ainsi que dans le contexte de l’histoire des formes littéraires ;
– le choix du langage (latin, langue vulgaire, mélange des dialectes) : des motivations sociales et esthétiques.
Les communications et les discussions seront accompagnées de l’interprétation simultanée.
Les actes du colloque seront publiés.
Une excursion de deux jours dans une des anciennes villes de la Russie européenne est planifiée après le colloque.
Veuillez envoyer un résumé d’une demie-page avant le 1er mars 2011 aux organisateurs :
Ludmilla Evdokimova : ludmila.evdokimova@gmail.com
Victoria Smirnova : smirnova.victoria@gmail.com
Comité d’organisation :
Ludmilla Evdokimova, directeur des recherches de l’Institut de littérature mondiale, Docteur ès lettres
Victoria Smirnova, Docteur ès lettres