Séminaire Sexe et Genre de l’IEC (Institut Emilie du Châtelet)
Jardin des Plantes, Grand amphithéâtre d’entomologie, 43 rue Buffon (Paris 5e), 14h-16h
Avec Mathilde Chollet, Histoire moderne (Université Clermont Auvergne)
Avec Huguette Krief, Littérature française (Université Aix-Marseille)
Découvrir les journaux intimes d’une femme des Lumières, c’est dévoiler son être intérieur, son éducation, son accès aux livres, son désir d’autonomie, ses lectures, ses réflexions philosophiques et morales, ses combats et ses paradoxes. C’est ce que nous offrent les manuscrits inédits (1752-1760) d’Henriette de Marans présentés en interdisciplinarité par une historienne, Mathilde Chollet, et une spécialiste de littérature des Lumières et de la Révolution française, Huguette Krief.
Voilà donc une châtelaine de province qui rejoint les érudites du XVIIIe siècle dont on a tu l’ardente mémoire! Une femme passionnée et avide des savoirs de son temps, lectrice de Bayle, de Malebranche et des philosophes contemporains. Une intellectuelle qui fait face aux interdits d’un beau-père et à l’incompréhension de son entourage. Tentée par l’incrédulité, elle se permet de critiquer l’Église et ses dogmes; moraliste, elle examine les mœurs de son temps et l’inégal rapport des sexes; usant de sa droite raison, elle ose même critiquer certaines approches de Montesquieu et Voltaire.
Découvrant ses réflexions sous le titre de Pensées errantes suivies de Lettres d’un Indien par Mme de *** (1758), la journaliste féministe Mme de Beaumer en fait un compte-rendu élogieux dans le Journal des Dames en avril 1761; elle exhorte même l’auteure à sortir de l’ombre pour mettre en échec les préjugés masculins contre les femmes savantes:
«Rien de si usité […] que de se cacher sous un tas d’étoiles, qui sont du moins un symbole de prudence. Mais avoir le courage de taire son nom au moment où tout vous invite à s’en faire honneur, c’est le plus digne effort de la modestie; c’est ressembler aux Dieux, qui cachés à nos yeux par des étoiles, se contentent de se faire connaître par leurs merveilles. On peut bien qualifier ainsi, ce me semble, les traits d’érudition latine, répandus dans les ouvrages d’une Dame, qui vit, dit-on, dans ses terres. […] Il n’y a point de genre de sciences sur lequel Madame de *** ne s’exerce avec succès ; d’où je conclus que ce ne sera qu’en se nommant qu’elle pourra nous persuader que tout ceci est l’ouvrage d’une femme. Cette petite incrédulité est trop à son avantage pour craindre qu’elle m’en fasse un crime ; je ne la fonde que sur l’objet des langues savantes, dont la culture est presque sans exemple chez les femmes les plus lettrées.»
Sélection de publications sur le sujet :
– Chollet Mathilde et Krief Huguette (éds), Une femme d’encre et de papier au siècle des Lumières. Henriette de Marans (1719-1784), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
– Gargam Adeline, Les Femmes savantes, lettrées et cultivées dans la littérature française des Lumières ou la conquête d’une légitimité (1690-1804), Paris, Champion, 2013.
– Dans Huguette KRIEF (co-dir.), Dictionnaire des Femmes des Lumières, Paris, Champion, 2015 : articles «Éducation», par I. Brouard-Arends; «Érudition», par É. Flamarion; «Lectrices», par S. Aragon; «Moralistes, morale», par I. Brouard-Arends et H. Krief.
– Seth Catriona (éd.), La Fabrique de l’intime, mémoires et journaux de femmes du XVIIIe siècle, Paris, Laffont, 2013.
– Sonnet Martine, L’Éducation des filles au siècle des Lumières, Paris, Cerf, 1987.