Si les travaux incontournables d’Henri Brémond ou de Michel de Certeau ont fait la belle part aux émotions mystiques du XVIIe siècle français, force est de constater que le territoire de la Nouvelle-France fait office de parent pauvre pour le même genre d’enquête. Malgré les études pionnières de Guy-Marie Oury, depuis les dernières années, les historiens ont peu investi le champ de l’histoire de la spiritualité en contexte colonial. Sans toutefois passer sous silence les importants chantiers consacrés aux parcours spirituels d’individus exemplaires, il nous apparaît qu’il reste à écrire une histoire des mouvements singuliers et pluriels de l’âme, parfois encadrée par l’institution ecclésiale, parfois soumise à de nouvelles conditions d’expérience du monde et de l’altérité.
Le colloque international “Âme d’une communauté, communauté d’âmes”, organisé par le Collectif d’Anthropologie et d’Histoire du Spirituel sous l’Ancien Régime (CAHSA) à Montréal en octobre 2016 (http://cahsanet.org/fr/evenements/colloque-2016-programme/), a permis l’amorce d’une réflexion riche et prometteuse sur la notion de spirituel. Des travaux et des discussions a émergé une définition du spirituel comme une expérience sensible de la spiritualité, c’est-à-dire une expérience individuelle de la foi qui parfois complète et parfois s’oppose aux courants de spiritualité institutionnalisés. Souhaitant poursuivre et approfondir ce travail, le CAHSA sollicite des propositions de textes pour un ouvrage en français, résolument pluridisciplinaire, dédié à l’examen des expériences spirituelles individuelles et collectives en Nouvelle-France, de la fondation de Québec jusqu’à la Conquête.
Par sa dimension coloniale, la Nouvelle-France offre un laboratoire d’expérimentation adapté à l’étude de la notion de spirituel. Dans ce territoire où elle souhaite établir un catholicisme tridentin débarrassé des hésitations métropolitaines, l’Église doit toutefois composer avec les initiatives missionnaires, la rencontre de l’altérité amérindienne, mais aussi les courants mystiques qui donnent notamment naissance à l’expérience de Ville-Marie. Le spirituel apparaît alors comme un fil conducteur qui permet de relier entre eux ces aspects du monde religieux qui, entre permanence institutionnelle et innovation spirituelle, se nourrissent et/ou s’opposent.
Nous invitons ainsi les spécialistes de différentes disciplines (histoire, littérature, histoire de l’art, théologie, anthropologie, etc.) à soumettre une proposition de texte, en inscrivant leur réflexion dans un ou plusieurs des trois thèmes suivants :
1) La direction spirituelle et l’encadrement des discours sur l’âme
La confrontation physique à des lieux inconnus et parfois inhospitaliers est susceptible de faire émerger de nouvelles cartographies de l’âme ; ainsi est-il possible que face à une extériorité autre, l’intériorité se soit modelée de nouvelles manières. Or, ces territoires intérieurs inexplorés appellent aussi au resserrement de la direction spirituelle et à l’encadrement des discours sur l’âme. Comment s’établit la relation directeur/dirigé(e) dans ce contexte spécifique ? Comment la réalité coloniale teinte-t-elle la production de leurs échanges et détermine-t-elle les conditions de leur réception ? Car ces activités ont laissé des traces matérielles (patrimoine lettré et artistique) et immatérielles (tradition orale des communautés religieuses, iconographie mystique, etc.). Par exemple, qu’ont de novateur ou de conforme, en rapport à une tradition européenne des écrits et des traités de spiritualité, des productions du contexte missionnaire telles que le Manuscrit de 1652colligé par Paul Ragueneau ou le Affectus amantis Christum Iesum de Pierre Chastellain ?
2) La diffusion et la publicité de l’expérience spirituelle
La communication des choses du cœur est une des conditions essentielles au succès du projet colonial en ce qu’elle suscite tant des vocations que des donations. Cet axe de la publicité des mouvements de l’âme reprend la dialectique extérieur/intérieur ou révélé/secret. Ainsi, il autorise l’examen de divers cas où l’expérience individuelle serait mise, ou non, au service du collectif. On peut penser à la publication posthume de la vie de Catherine de Saint-Augustin comme outil d’édification pour les communautés religieuses de Québec. Cet axe ouvre également à la question de l’intimité de l’expérience spirituelle et de sa récupération par la collectivité, notamment à travers l’observation de la circulation des confidences parmi un groupe plus ou moins restreint. Inversement, la publicité de la vie intérieure concourt à la construction identitaire d’une communauté dans le partage et la réappropriation des expériences individuelles.
3) La parenté comme lieu de transmission et de composition de l’expérience spirituelle
Ainsi, la circulation des savoirs sur les choses secrètes de l’âme peut être vecteur de liens entre les individus, voire entre les communautés. Il se dessine, dans ces assises cachées sur lesquelles s’érige le projet colonial, le thème de la parenté spirituelle. Il permet d’interroger, notamment, comment s’articulent les rapports du coeur (individuel) et du choeur (collectif) des croyants. Cet axe permet également de questionner les affiliations entre les individus ou de prendre en compte la nature de leurs relations aux différentes communautés (religieuses, d’Amérindiens convertis ou non, de colons, etc), des deux côtés de l’Atlantique. Plus largement, quelles sont les conditions d’appartenance à une famille, biologique et/ou spirituelle ? Comment se tissent ou se maintiennent les liens de parenté par lesquels se transmet l’expérience spirituelle ?
Les propositions de texte d’un maximum de 500 mots sont à envoyer, accompagnées d’une brève présentation biographique, à l’adresse groupecahsa@gmail.com avant le 30 septembre 2017 pour évaluation par le comité scientifique du CAHSA.
Comité scientifique :
Joy Palacios
Emmanuelle Friant
Ariane Généreux
Anne Régent-Susini
Site Internet : http://www.cahsanet.org