Elle a été attribuée le 12 mai à Claire Le Ninan, post-doctorante de l’université de Paris III, pour son projet d’études iconographiques des textes politiques de Christine de Pizan.
Suite à l’obtention de sa bourse, le compte rendu de ses recherches en cours a été publié dans Diplômées, Revue de l’AFFDU (Association française des femmes diplômées des universités).
Compte rendu, Diplômées, sept. 2006
Ecrivaine du début du XVe siècle, Christine de Pizan a consacré une partie de son oeuvre à la politique. Elle a composé des textes qui s’apparentent à des miroirs du prince, comme le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, le Livre du corps de policie, le Livre de paix, ou bien des textes plus courts qui, adressés aux puissants et à l’ensemble des sujets du royaume de France, appellent à la concorde civile et à un meilleur gouvernement. C’est le cas du livre I de l’Advision Cristine, de l’Epistre à la reine, de la Lamentacion sur les maux de la France et du Ditié de Jehanne d’Arc. Mais quel que soit le genre auquel elles se rattachent, ces oeuvres constituent une réaction à la situation catastrophique de la France, affaiblie par des décennies de guerre contre les Anglais, et surtout, par la présence sur le trône de Charles VI, le roi fou, que la maladie empêche de gouverner. La fragilité du roi donne lieu à des luttes entre les princes pour l’appropriation du pouvoir et ces rivalités déboucheront sur une guerre civile. Face à la menace permanente d’un chaos qui entraînerait la disparition du royaume, Christine cherche à éduquer le dauphin, Louis de Guyenne, et défend un modèle de bon gouverneur, incarné par le grand-père du jeune homme, Charles V, qui allie intérêt pour le savoir et respect des vertus.
Christine de Pizan n’est pas la seule écrivaine de la fin du Moyen Âge à intervenir dans le domaine politique. Par contre, alors que des poètes comme Eustache Deschamps conserve le vers pour s’adresser aux princes, Christine abandonne la poésie, art dans lequel pourtant elle excelle, pour adopter la prose et se placer dans le champ clérical. Ce choix constitue un moyen d’imposer sa voix auprès des puissants tout en légitimant la prise de parole. La thèse de doctorat que j’ai consacrée à Christine de Pizan et l’écriture du politique -Le sage roi et la clergesse: L’écriture du politique dans l’oeuvre de Christine de Pizan, dirigée par Emmanuèle Baumgartner et soutenue à Paris III en 2004- interroge les postures prises par l’écrivain ainsi que les figures de rhétoriques employées pour convaincre le prince de suivre ses conseils avisés, deux éléments essentiels qui assurent l’efficacité du message politique. L’étude des représentations littéraires de l’écrivaine permet de noter une évolution au fil des oeuvres. Dans les premiers textes (le Livre de l’Advision Cristine et le Charles V), Christine se sert de l’autobiographie pour construire son image de femme savante mais durement confrontée au réel: elle rappelle ses origines italiennes, la fonction d’astrologue occupée par son père à la cour de Charles V, son veuvage précoce et son intérêt pour l’étude qui la conduit à composer ses premières oeuvres et subvenir, par ce moyen, aux besoins de sa famille. Ce double aspect est essentiel à la composition d’une oeuvre politique qui doit être le lien entre la théorie et la pratique. Dans les oeuvres plus tardives, notamment le Livre de paix, l’autobiographie occupe une place beaucoup plus réduite et Christine donne alors l’image d’une femme savante, non plus par la mention de son amour de la lecture, mais par l’habileté avec laquelle elle manie la sagesse antique et médiévale, dont elle prélève les idées et les formules correspondant le mieux à sa leçon.
L’importance décroissante de l’autobiographie est à mettre en partie en relation avec l’abandon de l’allégorie comme support privilégié de la critique des gouverneurs. Employée dans le Livre du chemin de longue étude et dans l’Advision Cristine, l’allégorie met en scène la formation intellectuelle de Christine. Par contre, la technique de la compilation est commune à l’ensemble des oeuvres politiques. Les éléments insérés prennent la forme d’exempla tirés principalement de l’histoire antique et biblique, ou de sententiae issues de florilèges. L’insertion de ces éléments donne lieu à un travail de sélection et de réécriture pour les adapter au nouveau cadre textuel. Mais surtout, parmi les fragments de texte puisés à des sources reconnues, Christine glisse des morceaux de ses propres oeuvres. Ainsi, le Charles V sert de matériau au Livre de paix: de nombreux récits illustrant les propos théoriques proviennent de la biographie du roi. Grâce à cette auto-citation, Christine inscrit ses textes parmi les classiques de la littérature politique de son époque, et les rend dignes d’être cités et utilisés comme sources pour l’élaboration d’autres oeuvres.
Christine de Pizan veille donc, au cours de son oeuvre politique, à être parfaitement reconnaissable en tant qu’auteure et à constituer à la fois par l’unité de sa figure d’écrivaine -une femme veuve et savante- et par l’autocitation l’ensemble de ses textes comme un tout cohérent, comme une oeuvre. Cette volonté de constituer et de souligner la cohérence de l’oeuvre se retrouve dans l’iconographie des manuscrits dont Christine a supervisé la réalisation. Toujours vêtue d’une robe bleue ou grise et portant une coiffe blanche, elle est représentée à sa table d’écriture ou, dans les textes allégoriques, dans une attitude métaphorique d’accès au savoir.
Grâce à la bourse que la SIEFAR m’a attribuée en mai 2006, j’envisage d’étudier les représentations de l’écrivaine dans ces manuscrits et de les comparer avec celles des manuscrits plus tardifs, dont la réalisation n’a pas été contrôlée par Christine. Il s’agira de montrer que les images des premiers véhiculent une conception du métier d’écrivain, et notamment de l’écrivain politique, profondément pensée par Christine, que les seconds atténuent ou dénaturent.
Claire Le Ninan – Paris III