Femmes mémorialistes sous l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècle)
Montréal (25-26 mai 2023), avant le 1er octobre 2022

Les études portant sur les Mémoires, toutes périodes confondues, débutent souvent par le constat que ces derniers forment un genre insaisissable. En faisant du caractère hétérogène de cet ensemble de textes un moteur de la réflexion, le Dictionnaire des mémorialistes d’Ancien Régime, en préparation sous la direction de Marc Hersant, entend offrir un panorama couvrant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, avec une ouverture sur la fin du Moyen Âge et le premier XIXe siècle.

Parmi les mémorialistes du Dictionnaire, les femmes sont un peu moins de quarante et représentent environ 15% des entrées nominales. Madame de La Guette le constatait bien, « il se trouve peu de femmes qui s’avisent de mettre au jour ce qui leur est arrivé dans leur vie ». Rares au XVIe siècle, elles sont plus nombreuses aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Mémoires étant eux-mêmes plus abondants. Au début du XIXe siècle, elles représentent un quart des mémorialistes : si leur présence demeure minoritaire, elle est néanmoins croissante, conformément à l’implication grandissante des femmes dans toute la production textuelle.

Serait-il alors possible de ressaisir les Mémoires par le biais du genre, entendu comme construction culturelle et sociale de la différence des sexes, en s’attachant spécifiquement à ceux composés par des femmes ? En 2011, le dossier thématique de la revue Itinéraires dirigé par Anne Coudreuse s’était justement demandé si les Mémoires étaient « une question de genre »[1] ; Jean-Louis Jeannelle estimait la question biaisée, condamnant les caractéristiques des textes écrits par des femmes à être essentialisées, et constatait en outre, pour le XXe siècle, une absence d’appropriation spécifiquement féminine des Mémoires[2].

Pour la période allant du XVIe au XVIIIe siècle, on ne peut a priori que faire le constat de la diversité des Mémoires rédigés par des femmes, elles-mêmes appartenant à des catégories sociales variées et relatant des parcours que tout semble parfois opposer. Les mémorialistes peuvent être reine, femme de la haute ou de la petite noblesse, voire simple roturière comme Madame Roland. Leurs existences ont pu être rythmées par des engagements politiques, par des activités intellectuelles, par des pratiques mondaines, par des aventures galantes. Elles ne sont pas toujours les protagonistes principales de leur récit, à la manière de Charlotte Duplessis-Mornay ou de Madame de Motteville. Femmes de lettres ou autrices en dilettante, elles n’écrivent enfin ni pour les mêmes motifs, ni à des destinataires comparables et entretiennent des rapports distincts à la diffusion et à la publication de leurs Mémoires.

Pourtant, plusieurs études consacrées à certaines de ces mémorialistes font de l’identité féminine un critère pour délimiter un corpus plus ou moins vaste et en analyser les spécificités : celle de Laurène Gervasi pour le XVIIe siècle, d’Adélaïde Cron pour les années 1670-1789, d’Henri Rossi ou de Claudine Giachetti pour la période post-révolutionnaire et le premier XIXe siècle[3]. Celles-ci et d’autres, à l’instar de celles portant sur les Mémoires de Marguerite de Valois, menées notamment par Éliane Viennot, Caroline Trotot et Nadine Kuperty-Tsur, évaluent l’influence de la condition féminine sur leur existence et sur leurs textes[4].

Ces études adoptent fréquemment un point de départ commun : celui de la difficulté pour les femmes à écrire, à livrer des témoignages historiques et à parler d’elles-mêmes. Ces dernières sont, dans leur grande majorité, tenues à l’écart des postes décisionnels de premier plan, qui garantiraient l’intérêt et l’autorité de leur récit. Moins formées aux savoirs historiques, elles doivent par ailleurs affronter le fait d’être moins légitimes pour écrire l’histoire, dont les Mémoires sont traditionnellement rapprochés. Quand elles entendent parler d’elles-mêmes, il leur faut encore surmonter les préjugés qui pèsent sur toute forme de réputation féminine ; en effet, comme le résume Hortense Mancini, « la gloire d’une femme consiste à ne faire point parler d’elle ».

Fort de ce constat initial qu’il faudra affiner et sans préjuger de la cohérence d’un corpus à l’échelle de trois siècles, nous proposons de poursuivre la réflexion sur les femmes mémorialistes d’Ancien Régime en nous attachant précisément dans leur texte :

1. Aux modalités énonciatives et aux ethè discursifs. Selon quelles stratégies les femmes mémorialistes justifient-elles et légitiment-elles leur passage à l’écriture ? Quel rapport disent-elles entretenir aux lettres et à l’auctorialité ? Comment mettent-elles ensuite en valeur leurs compétences et leurs actions ? On sera sensible aux protestations de modestie et de réticence, formulée notamment face au risque d’être assimilée à une « femme auteur », selon l’expression de Félicité de Genlis. On scrutera les manifestations d’une « tentation de l’insignifiance »[5] comme les modalités d’affirmation de soi, en fonction de modèles de comportement acceptés ou au contraire refusés, de manière explicite ou par des voies détournées, notamment celles de l’humour et de l’autodérision. On s’interrogera également sur le rapport des Mémoires écrits par des femmes aux narrations polyphoniques, dans lesquelles plusieurs vérités pourraient avoir droit de cité.

2. À la matière narrative. Quelles étapes, quels thèmes ou quels discours paraissent indissociables des vécus féminins ? Quelle place occupe la réflexion explicite sur la condition et le rôle des femmes ? Les parts attribuées dans le récit à la vie publique et à la vie privée sont-elles tributaires de l’identité féminine des mémorialistes ? On portera d’une part une attention au récit d’enfance et d’éducation, aux représentations du mariage et de la maternité, à la manière dont les rôles assignés d’épouse ou de mère sont embrassés ou contestés ainsi qu’aux dits et aux non-dits de la vie sentimentale. De l’autre, on s’intéressera à la façon dont les Mémoires pourraient rendre compte de rapports à la politique, d’implications dans la sphère publique, de types de sociabilité, de modalités de la disgrâce ou de la retraite qui seraient proprement féminins. On mettra également à l’épreuve l’hypothèse que les femmes mémorialistes s’attacheraient davantage, au fil des siècles, aux ressorts intimes qu’aux mouvements de l’histoire politique et militaire.

3. À l’intertextualité et aux hybridations formelles. Les Mémoires rédigés par des femmes sont-ils plus poreux à certains genres littéraires que ceux écrits par des hommes ? Y a-t-il notamment un penchant plus net chez les femmes mémorialistes pour le romanesque ? Peut-on déceler par ailleurs chez elles une influence plus grande de la logique et des conventions de la conversation, dans la continuité des codes de la lettre ou du salon ? On évaluera le rapport des Mémoires composés par des femmes avec des genres réputés mineurs, les causes et les effets de cette parenté a priori plus grande, mais aussi la manière dont leurs Mémoires se situent par rapport aux grands genres, en particulier l’historiographie. On s’intéressera également à des pratiques stylistiques et formelles qui placeraient ces textes dans la continuité de pratiques d’écriture ou de modes de relations sociales traditionnellement associées aux femmes. On s’attachera enfin aux revendications par les femmes mémorialistes de modèles de Mémoires féminins ou masculins et à l’existence d’éventuelles filiations.

Par cette attention aux textes des femmes mémorialistes, nous invitons à scruter si et comment, au gré des textes, l’identité de genre informe, aux trois niveaux précédemment définis, une pratique d’écriture de l’histoire et de soi sans canon établi ; à questionner, entre continuités et évolutions, la pertinence de la notion de Mémoires féminins comme catégorie de l’histoire littéraire pour la période de l’Ancien Régime ; à se demander comment la rédaction des Mémoires entre en résonance avec une histoire des femmes qui rend globalement compte d’un accès peu à peu facilité de ces dernières à l’instruction, à la vie publique et à l’écriture, voire constitue en soi un mode d’émancipation.

Nous incitons à porter une grande attention à la diversité des conditions sociales et des contextes historiques dans lesquels ces femmes et leurs textes s’inscrivent, ainsi qu’à leurs spécificités individuelles. Nous encourageons par ailleurs les approches comparatives qui, dans des perspectives synchroniques ou diachroniques, feront dialoguer les Mémoires entre eux et n’hésiteront pas à placer ceux composés par des femmes en regard de ceux rédigés par des hommes.

Modalités d’organisation

Le colloque se tiendra les 25 et 26 mai 2023 en format hybride, à l’Université de Montréal et en visioconférence. Les communications seront d’une durée de vingt minutes et seront suivies d’un temps de discussion. Aucun frais d’inscription n’est à prévoir pour la participation au colloque.

Les propositions de communication (titre et résumé de 500 mots maximum) sont à envoyer, assorties d’une courte notice bio-bibliographie, avant le 1er octobre 2022 à l’adresse suivante : alicia.viaud@umontreal.ca. Les propositions des jeunes chercheuses et chercheurs, y compris doctorantes et doctorants, seront reçues avec intérêt. Les communications viendront nourrir la préparation des articles du Dictionnaire des mémorialistes d’Ancien Régime et pourront également faire l’objet d’une publication.

Organisation : Alicia Viaud (Université de Montréal).

Comité scientifique : Frédéric Charbonneau (McGill University), Marc Hersant (Sorbonne Nouvelle Paris 3), Nadine Kuperty-Tsur (Université de Tel Aviv), Judith Sribnai (Université de Montréal).

Appel en version PDF /  Site du colloque


[1] Anne Coudreuse (dir.), Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 1, 2011, Les Mémoires, une question de genre ? : https://doi.org/10.4000/itineraires.1590 . En amont, voir l’article de Natalie Zemon Davis, « Gender and Genre: Women as Historiographical Writers, 1400-1820 », dans Patricia Labalme, Beyond Their SexLearned women of the past, New York, New York University Press, 1984 [1980], p. 153-182.

[2] Jean-Louis Jeannelle, « Le sexe des Mémoires », Itinéraires, 1, 2011 : https://doi.org/10.4000/itineraires.1596

[3] Laurène Gervasi, La Liberté dans les mémoires féminins au XVIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2019 ; Adélaïde Cron, Mémoires féminins de la fin du XVIIe siècle à la période révolutionnaire. Enquête sur la constitution d’un genre et d’une identité, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2016 ; Henri Rossi, Mémoires aristocratiques féminins : 1789-1848, Paris, Honoré Champion, 1998 ; Claudine Giachetti, Poétique des lieux : enquête sur les mémoires féminins de l’aristocratie française (1789-1848), Paris, Honoré Champion, 2009.

[4] Éliane Viennot, « Marguerite de Valois et l’écriture de l’histoire, 1574-1614 », Études Épistémè, 17, 2010 : https://journals.openedition.org/episteme/657 ; Caroline Trotot, « L’écriture des Mémoires de Marguerite de Valois. Métaphore et fiction de soi dans l’histoire », dans Rachel Darmon, Adeline Desbois-Ientile, Adrienne Petit, Alice Vintenon (dir.), L’histoire à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 369-387 ; Nadine Kuperty-Tsur, « La représentation du pouvoir politique dans les Mémoires de Jeanne d’Albret et de Marguerite de Valois ou le pouvoir politique au féminin », dans Cyril Francès (dir.), Le Politique et le Féminin. Les femmes de pouvoir dans les Mémoires d’Ancien Régime, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 21-38.

[5] Marc Hersant, « Les Mémoires de Mme Staal-Delaunay et la tentation de l’insignifiance », dans Christelle Bahier-Porte et Régine Jomand-Beaudry (dir.), Écrire en mineur au XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, 2009, p. 103-119.