Nous lançons un appel à contributions pour un numéro thématique de la revue Littératures classiques consacré aux représentations de la paresse durant la première modernité.
Argumentaire :
À chaque époque sa paresse. Dans son acception contemporaine, la paresse fait partie de ces catégories que l’on invoque dès qu’il s’agit de régler l’accès au travail. Elle insulte moins les lois de la morale et de la religion que les règles de la production. Elle est aussi éminemment relative, et se définit par rapport à une norme d’activité, celle de l’individu comme celle du corps social. Cette relation privilégiée de la paresse au travail est riche d’une histoire. Elle a donné lieu à diverses approches historiographiques, qu’on ait cherché à faire une histoire des significations accordées au travail, ou qu’on se soit intéressé aux variables culturelles, économiques, politiques et religieuses qui en déterminent pour partie les évolutions. De toutes ces approches, une tradition historiographique, en particulier, mérite d’être mentionnée qui, depuis Max Weber, articule conscience religieuse et comportements économiques et sociaux de la première modernité. Elle s’est notamment attachée aux liens d’affinités entre réformes protestantes et valorisation religieuse du travail ; elle a aussi rapproché mise en ordre du temps et discipline du sujet. Ce numéro a pour objectif de croiser les approches et de faire entendre des voix différentes sur cet objet afin de déplacer les attendus de cette « intrigue[1] » en redonnant à la « paresse » sa polysémie originelle. Aux XVIeet XVIIesiècles, la paresse est en effet une catégorie aux implications multiples : spirituelles, éthiques, médicales aussi bien que philosophiques et culturelles. La paresse relève ainsi de la tradition théologique par son lien à l’acédie. Selon les corpus et les auteurs, elle est associée à l’oisiveté, à la nonchalance ou encore à la négligence. Elle se décline en grâce mondaine comme en maladie de l’âme et en vice moral. Nous proposons ici d’appréhender la paresse comme un « symptôme » au sein de ces différents ensembles signifiants, en prenant la mesure de ses significations historiques et anthropologiques.
Les propositions pourront, entre autres, se rattacher aux quatre axes suivants :
- Paresse et médecine : La paresse fonctionne comme une catégorie régulatrice, à la croisée de l’activité intellectuelle et de ce que l’on pourrait nommer le « comportemental » (ou le physiologique). La critique de la paresse se recommande généralement d’une hygiène de vie, tout en renvoyant à une (bonne) gestion du temps. Cette articulation impose de réfléchir à la paresse en partant de son ancrage dans le corps : Quelle est la place réservée à la paresse du malade ou de ses humeurs dans l’exercice de la pratique médicale ? Quelles sont les causes de la paresse ? Y’a-t-il des maladies propres au paresseux ? Et si oui, quels sont les traitements thérapeutiques proposés ? Quelles représentations idéologiques ces discours sur le corps véhiculent-ils ?
- Littérature(s) paresseuse(s) : Les représentations littéraires réfléchissant l’articulation de la paresse et de la littérature sont nombreuses. Les auteurs « paresseux » sont en effet largement présents dans l’histoire littéraire (de Montaigne à La Fontaine, et de Saint-Amant à La Rochefoucauld). L’enjeu est alors moins d’en dresser le palmarès que de saisir la paresse dans ses représentations littéraires à un moment où l’on assiste à une problématisation renouvelée du loisir lettré et de son contrepoint mondain, l’« honnête loisir ». La question de la libre disposition du temps peut alors se doubler d’une réflexion sur sa dimension genrée et sa signification politique et sociale.
- Enjeux religieux et moraux: Passe-temps propres et divertissements choisis « pour l’amour des paresseux » prennent à contrevent l’obligation morale d’user de son temps correctement. Si la Renaissance voit l’émergence de la mélancolie, au XVIIesiècle, la paresse a tout du « mal du siècle ». Les condamnations de la paresse sont nombreuses tant d’un point de vue théologique que sous la plume des moralistes. Il s’agit alors de s’intéresser à leurs implications morales et religieuses, en revenant par exemple aux sources chrétiennes de la notion, désormais envisagée sous l’angle de la culpabilité et de la faute, ou en interrogeant son lien avec l’acédie, pendant religieux de la mélancolie
- Politique(s) de la paresse: Il s’agit ici d’aborder les enjeux socio-politiques de la paresse d’ancien régime. Il semble que tout sépare la paresse comme figure du désordre social (et sa revendication de droit sous la plume de Lafargue à la fin du XIXesiècle) et sa variante socialement valorisée sous l’ancien régime où l’oisiveté est un privilège de la noblesse (susceptible de conférer un ethos, sinon une identité sociale). Les auteurs de la première modernité ayant écrit sur la paresse, bien qu’étant rarement mobilisés en ce sens par les sciences sociales, ne peuvent-ils pas être alors d’une actualité inattendue et permettre de reprendre à nouveaux frais l’articulation entre paresse et travail (dans son acception contemporaine) et entre travail et société ?
Modalités pratiques d’envoi des propositions :
Les propositions d’articles, rédigées en français et d’une longueur maximale de 500 mots, sont à faire parvenir avant le 6 juin 2021 aux adresses suivantes : isabelle.moreau@ens-lyon.fret lea.burgat-charvillon@ens-lyon.fr