En période de crise, de transformation des valeurs comme aujourd’hui, les éclairages portés sur le passé historique par le récit ou la légende sont les enjeux d’une légitimation du présent, et plus encore de l’avenir, que l’on cherche à construire et que l’on espère durable. De la réalité de l’histoire vécue, qui n’est jamais que le matériau de la pensée qui cherche à en comprendre le sens, se dégage toujours un discours construit, recomposé, qui manifeste une « vérité » qui est celle de l’historien, de son temps et de son public.
Une réflexion sur le rapport de force entre la mémoire et l’Histoire pourra donc amener à envisager la mémoire comme expérience d’un vécu particulier, face à l’entreprise intellectuelle d’écriture d’une Histoire plus générale, qui, en mettant en relation et en perspective les vécus singuliers, leur confère certes un sens, mais en les déformant, en les dénaturant peut-être au passage, pour les intégrer dans une vérité collective, qui est celle de tous, mais aussi de personne.
On pourra inversement, entendre par « Histoire » la vérité objective générale, l’ensemble des événements tels qu’ils ont été recensés, et y opposer la construction de mémoires individuelles ou collectives, au sens de récits qui affirment et revendiquent une vérité identitaire. Sans doute ce sont ceux-là – même en prenant parfois la forme de l’Histoire générale et objective – qui ont davantage vocation à convoquer le discours de la trace, de l’effacement et de la réinscription de ce qui, presque effacé, subsiste et témoigne ; de ce qui s’est effacé ou a été effacé, et de ce qui est ré-exhumé, pour prendre place dans la conscience et dans le discours. Ainsi en est-il de l’histoire des génocides, mais aussi de l’histoire des obscurs, des marginalisés de l’histoire, des vaincus, et aussi des minorités, etc.
Le cas de figure, plus métaphysique, d’une possible récupération de la mémoire complètement effacée d’une humanité détruite (génocides, cataclysmes, dénaturations radicales) est aussi à examiner. Cette refondation semble obéir à un principe poétique qui touche à l’universel. Mais l’écart critique qui naît alors légitimement (dans la société ou à l’intérieur même du discours s’il porte trace d’une conscience intellectuelle) a peut-être comme fonction première de réinterroger ce projet poétique universel comme projet politique. Dès lors, son universalité est alors à remettre en question : sinon celle du débat de restitution, quand il existe, du moins celle du projet univoque du locuteur-narrateur, qu’il soit individu, groupe, état, organisme de collecte d’informations.
En effet, il faudra voir, dans le principe même de la réinscription, le double phénomène qui fonde la dialectique du Réel et du Vrai, de l’objectif et du subjectif, du fait et de l’intention : à savoir, d’un côté, le discours de la réhabilitation, de l’autre, le discours d’instrumentalisation de cette réhabilitation elle-même. D’un côté, le triomphe de la justice et de la vérité à travers le rappel d’une réalité oubliée, la restitution d’un passé occulté, de l’autre, la volonté de construction d’un avenir qui motive ce discours de mémoire, l’affirmation d’une légitimité qui sert à (re)construire une identité.
Au-delà de la réflexion sur ces relations dynamiques entre mémoire et histoire, ce colloque co-organisé par deux équipes : HCTI et CRBC se veut aussi comme un temps de discussion et d’interrogations réciproques entre historiens, sociologues, littéraires, civilisationnistes, politistes’
Afin de cerner et délimiter un sujet immense par définition, les communications devront porter en priorité sur l’époque contemporaine. Pour la France, le point de départ peut être celui de la Révolution Française, événement fondateur d’une pensée et de pratiques politiques et mémorielles dont les effets sont toujours bien présents aujourd’hui.
Le colloque se veut par ailleurs ouvert à toutes les dimensions géographiques. France et Europe occidentale peuvent certes être privilégiées par l’importance des questions mémorielles dans les constructions identitaires mais les discussions ne sauraient se limiter à cet espace. Des propositions portant sur les relations entre Europe et Amérique(s), sur les confrontations de part et d’autres de la Méditerranée, sur les réalités et relectures post-coloniales ou sur les constructions mémorielles récentes des états nés dans la seconde moitié du XXe siècle en Afrique ou en Asie seront évidemment bienvenues.
La question du rapport entre histoire et mémoire peut être traitée au travers d’événements ou de situations historiques ou politiques mais les approches littéraires, cinématographiques, artistiques dans leur ensemble, participent aussi pleinement de la problématique du colloque.
Comité scientifique :
Maria-José Fernandez (HCTI, Université de Bretagne Occidentale)
Philippe Jarnoux (CRBC, Université de Bretagne Occidentale)
Anne Le Guellec (HCTI, Université de Bretagne Occidentale)
Camille Manfredi (HCTI, Université de Bretagne Occidentale)
Michael Rinn (HCTI, Université de Bretagne Occidentale)
Modalités
Les propositions de communication (200-250 mots), accompagnées d’une brève note bio-bibliographique seront à envoyer avant le 22 juin 2013 aux organisatrices du colloque : Anne Le Guellec (anne.leguellec@univ-brest.fr) et Camille Manfredi (camille.manfredi@univ-brest.fr). Le temps imparti pour les communications sera de 30 minutes.