La danse en Occident est souvent abordée par les historiens du point de vue de sa « condamnation par la morale » : condamnation par l’église catholique, par les protestants, encadrement méfiant des bals par les pouvoirs politiques, etc. Si le statut moral de la danse nous apparaît effectivement comme un point primordial pour comprendre sa place dans la culture occidentale, nous souhaiterions, dans ce dossier, revoir et complexifier cette question ambiguë. Nous sommes partis d’un constat : parmi les études en langue française, anglaise ou italienne qui ont traité la question de la morale en histoire de la danse, la plupart se sont focalisées sur le regard porté par la religion sur la pratique de la danse, notamment pour les époques médiévale et moderne. Le livre de Marianne Ruel, Les Chrétiens et la danse dans la France moderne, constitue l’un des plus exhaustifs mais on peut également citer les travaux de Marie-Joëlle Louison-Lassablière et d’Anne Wéry. Les recherches abordent la question sur deux niveaux, celui de la danse de couple en tant qu’activité sociale soumise à des normes, et celui de la danse théâtrale qui agit dans le domaine des pratiques de représentation.
Les arguments contre les danses ou, du moins, contre une certaine manière de danser perdurent jusqu’à la première moitié du XXe siècle. La laïcisation du concept de morale durant la période des Lumières donne lieu à une complexification des pratiques de contrôle et d’interdiction notamment du point du vue discursif. Au discours religieux s’ajoutent d’autres discours, médicaux ou étatiques, visant la régulation des danses. Dans le domaine du théâtre, la condamnation des danseurs renvoie au statut de l’acteur de théâtre et du danseur à l’époque moderne et à leur exclusion partielle de la communauté des Chrétiens. Néanmoins, il existe également durant les XVIIe et XVIIIe siècles une acceptation des arts de la scène, et de la danse en particulier, par sa capacité à remplir une fonction éducative. C’est le cas du répertoire dramatique des collèges, notamment jésuites, sous l’Ancien Régime, étudié par Anne Piéjus, dans l’ouvrage Plaire et instruire : Le spectacle dans les collèges de l’Ancien Régime, où le spectacle est censé œuvrer à l’édification de la jeunesse. Dans le cas des danses de couple, la querelle de la danse oppose des moralistes qui considèrent la danse comme une invitation au péché et des apologistes qui, au contraire, regardent la même pratique comme un divertissement honnête et utile à l’organisation de la société. Or, toutes les formes de danse n’ont pas été considérées comme honnêtes, et par les éducateurs jésuites et par les apologistes.
Cette précision nous amène au centre d’intérêt de cette publication. Il existe une tendance, du point de vue contemporain du chercheur en danse, à considérer « la danse » comme une force libératrice du corps. Or on peut aussi, à l’inverse, remarquer que la danse elle-même génère des normes, des contraintes, voire tient un propos moral. En ce sens, l’objectif de ce projet sera d’étudier, du point de vue d’une histoire culturelle, l’interaction entre danse et morale, le « dialogue » entre danseur et moraliste. Nous proposons de ne plus concevoir la danse et la morale comme des sphères closes et opposées mais comme des structures perméables. La pratique de la danse en Occident a été très souvent soumise à des négociations : des interdictions virtuelles qui fonctionnaient comme des dispositifs de contrôle et des condamnations morales qui devenaient régulations techniques.
La morale peut être définie d’une façon générale comme un discours traitant du bien et du mal qui s’adresse à la conduite sociale d’autrui. Ce discours peut être fondé sur des croyances spirituelles, des fondements rationnels et/ou des valeurs esthétiques. Dans le domaine de la danse, les dispositifs de contrôle d’ordre moral se sont accumulés historiquement : la condamnation religieuse perdure en effet en parallèle à l’existence d’une morale laïque, tandis que la standardisation de la technique corporelle porte elle-même des éléments moraux. Les études sur ce sujet ont généralement mis l’accent sur le geste moral d’interdiction, postulant que la danse représentait un espace de liberté face à une oppression. Sans nier la pertinence de cette approche, nous souhaitons explorer, à partir d’études de cas relatives aux XVIIe et XVIIIe siècles, les interdictions et les pratiques de résistance dans le domaine de la danse ainsi que la manière dont les danseurs et les danseuses, dans leurs pratiques et leurs discours, ont assumé eux-mêmes une dimension morale, agissant de manière implicite ou explicite en réponse à un interlocuteur moral.
Ce dossier est coordonné par Juan Ignacio Vallejos et Marie Glon ; il prend sa source dans le séminaire organisé à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales par l’Atelier d’histoire culturelle de la danse. Le projet a été accepté par la revue European Drama and Performance Studies, dont il constituera le numéro 8, à paraître en 2017.
Conditions de soumission
Nous prions les auteurs intéressés par ce projet de nous faire part de leurs propositions d’articles aux adresses marieglon@gmail.com et juanigvallejos@gmail.com, sous la forme d’un résumé d’une page, en français ou en anglaisau plus tard le 22 février 2015
Les articles, de 7000 mots au maximum, en français ou en anglais, seront ensuite demandés pour le 31 juillet 2015 au plus tard.
Responsables scientifiques
Dr Marie Glon
Dr Juan Ignacio Vallejos