De Pénélope attendant Ulysse durant vingt années, à Marthe, femme de soldat qui succombe à l’infidélité dans le Diable au Corps de Raymond Radiguet, les femmes confrontées à l’absence de leur conjoint constituent une figure littéraire récurrente. Entre l’épouse vertueuse érigée en modèle et la femme adultère source de scandale, il existe bien des nuances qui incitent à dépasser cette approche strictement sentimentale, celle de la « vertu des femmes de marins ».
Il s’agit de prendre en compte les effets de l’absence masculine et ses implications dans une dimension globale à l’échelle de l’individu, du couple et de la communauté, et surtout d’appréhender les femmes qui y sont exposées, non pas comme des victimes subissant les affres de la séparation, mais au contraire dans leur pleine agentivité. La question de l’autonomie et de l’indépendance des femmes dans des sociétés longtemps patriarcales est au cœur de ce colloque d’où l’accent mis sur la relation conjugale. Or, le départ des hommes (marins, marchands, migrants, colons, soldats…) offre la possibilité de contourner partiellement les « silences de l’histoire » à l’égard des femmes, si bien soulignés par Michelle Perrot. En effet, les absences répétées et/ou durables du conjoint laissent entrevoir des femmes dans une situation d’entre-deux qui les démarque des « filles majeures » ou des veuves, frappées par l’absence irréversible de leur époux.
C’est justement par le biais du veuvage que les historiens – et surtout les historiennes – ont saisi les femmes sans hommes, rendues soudainement visibles dans les sources. Les travaux menés par Olwen Hufton, Ida Blom, Nicole Pellegrin, Colette H. Winn, Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Josette Brun ou Bettina Bradbury, pour ne citer qu’elles, ont montré toute l’ambiguïté revêtue par le statut de veuve en Europe ou Amérique du Nord : si la veuve bénéficie d’une capacité juridique pleine et entière, lui permettant d’administrer à sa guise ses propres biens et ceux issus de la communauté, elle n’en reste pas moins soumise à une obligation de bonnes mœurs, sans compter les pressions exercées par son entourage tant qu’elle est en âge de se remarier. Quant aux célibataires, Scarlett Beauvalet-Boutouyrie a montré qu’à l’époque moderne elles jouissent d’une autonomie sur le plan juridique mais sont placées au ban d’une société où le mariage demeure la voie toute tracée pour les femmes. Là encore, la diversité domine, entre un célibat choisi et une solitude subie, le milieu social, le contexte familial, les hasards de la vie se révélant déterminants.
Les femmes dont les conjoints sont absents durablement se distinguent des célibataires et des veuves puisqu’elles se situent dans un cadre matrimonial. Néanmoins, leur vie est marquée par une profonde dichotomie entre les périodes où elles se retrouvent seules à la tête de leur famille – avec les obligations que cela implique – et les moments durant lesquels leur mari reprend sa place et ses responsabilités, à l’instar de tout autre couple. Cette situation ambiguë, qui peut être source d’autonomie voire d’indépendance, a jusqu’à présent peu mobilisé l’attention des historiens.
La journée d’étude « Femmes face à l’absence, Bretagne et Québec (XVIIe-XVIIIe siècles) » organisée à l’Université de Sherbrooke en 2013 (actes publiés en 2015 dans la revue Cheminements, éditée par le CIEQ, sous la direction d’E. Charpentier et de B. Grenier :http://cieqinternet.uqtr.ca/__BD_WEB/CIEQ/RC_Data_FMS/CIEQ_WEB/multimedia/978-2-921926-54-6.pdf) et les échanges qu’elle a suscités en ont montré l’intérêt. La composante maritime de l’absence a également fait l’objet de plusieurs communications lors de la journée d’étude « Les femmes et la mer à l’époque moderne » qui s’est tenue à l’Université de Bretagne-Sud, en 2014, sous la direction d’E. Charpentier et de P. Hrodej. Ces premiers résultats engagent à poursuivre et à étendre la réflexion à toutes les périodes historiques afin de saisir les contextes d’avancées et de reculs au regard de la situation des femmes, perçue dans la longue durée. Un cadre géographique large, l’Europe et l’Amérique du Nord, favorisera les comparaisons et mettra en valeur des situations plus spécifiques.
Les communications pourront s’organiser autour de quatre thèmes, la question de l’émancipation des femmes restant sous-jacente :
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le statut juridique des femmes confrontées à l’absence : théorie, compromis et limites
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les représentations suscitées par ces femmes temporairement seules et leurs implications : stéréotypes, adultère, harcèlement, surveillance et confinement…
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les conséquences économiques de l’absence et les stratégies adoptées pour y faire face : diversité des pratiques (individuelles et à l’échelle du ménage), répartition des tâches dans le couple, travail féminin, entraide et solidarités (familiales, féminines, paroissiales…)
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l’impact de l’absence sur le couple et la famille : relations de pouvoir, responsabilités familiales, place des femmes dans les affaires du ménage (capacité d’action, relations de confiance, formation et éducation), rôle d’autres membres de la famille (parents, frères et beaux-frères…), reconfiguration voire réaménagement des rythmes du quotidien.
Un tel questionnement prendra toute sa dimension dans la comparaison entre les périodes d’absence et de présence des hommes et dans la prise en compte de la diversité des situations selon les raisons du départ (activité maritime ou marchande, emprisonnement, guerre, migration, travail saisonnier, religion….) et ses modalités (absence choisie ou subie), l’implantation géographique (ville, campagne, littoral, montagne, île, colonie…), l’âge des femmes, la présence d’enfants et le milieu social. Les intervenants pourront s’appuyer sur des trajectoires individuelles qu’ils veilleront à replacer dans des perspectives plus générales.
Cet appel à communication s’adresse à tous ceux, jeunes chercheurs ou chercheurs confirmés, dont les recherches portent sur les thématiques évoquées dans une perspective historique. Il est aussi ouvert aux approches interdisciplinaires en direction de la littérature, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’ethnologie ou du droit.
Dates : 11-12-13 mai 2017
Lieu : Centre International de la Mer, Corderie royale (Rochefort, France)
Organisateurs :
- Emmanuelle Charpentier (Université Toulouse-Jean Jaurès– Framespa-UMR 5136)
- Benoît Grenier (Université de Sherbrooke – Québec-CIEQ et CERHIO-UMR 6258)
- Mickaël Augeron (Université de La Rochelle – CRHIA-EA 1163)
- Christine Dousset-Seiden (Université Toulouse-Jean Jaurès– Framespa-UMR 5136)
- Sylvie Mouysset (Université Toulouse-Jean Jaurès– Framespa-UMR 5136)
- Thierry Sauzeau (Université de Poitiers – CRIHAM-EA 4270 )
Le colloque est organisé en partenariat avec le Centre International de la Mer (Rochefort) et avec le soutien du Framespa-UMR 5136, du CRHIA-EA 1163, du CRIHAM-EA 4270, de l’Université Toulouse-Jean Jaurès, de l’Université de Sherbrooke (Québec), de l’Université de Poitiers et de l’Université de La Rochelle.
Modalités de soumission :
Les propositions de communication, en français ou en anglais, comporteront un titre et un résumé d’environ 2000 signes, ainsi qu’une courte présentation de l’intervenant (fonction, rattachement institutionnel, publications, courriel, adresse postale, téléphone). Elles seront déposées sous forme de fichier (format .pdf, .doc, .odt ou .docx) sur le sitehttp://femmes-abs-2017.sciencesconf.org/avant le 1er juillet 2016.
Le comité scientifique répondra aux propositions en septembre 2016.
Contact : femmes-abs-2017@sciencesconf.org
Forme :
La durée des communications est fixée à 25 minutes.
Langues de communication : français et anglais.
La publication des actes du colloque est prévue en 2017.
Modalités pratiques :
L’organisation du colloque prendra en charge les nuits d’hôtel, les déjeuners ainsi que le dîner du jeudi soir. Les frais de déplacement seront à la charge des intervenants.
En savoir plus : https://femmes-abs-2017.sciencesconf.org/