Le topos de l’inceste adelphique est devenu si présent dans la littérature contemporaine qu’il serait vain de tenter de faire le recensement de ces récits ou de ces pièces mettant en scène l’amour passionné entre un frère et une s’ur, dont l’archétype inaugural reste, pour beaucoup de critiques, René de Chateaubriand. Aussi les travaux universitaires, historiques comme littéraires, se concentrent-ils principalement sur les XIXe et XXe siècles ; on peut citer à ce propos, le colloque de Cerisy en 1990, Éros philadelphe, Frère et s’ur, passion secrète, et le livre de Houria Bouchenafa, Mon amour, ma s’ur : l’imaginaire de l’inceste frère-s’ur dans la littérature européenne de la fin du XIXe siècle (2004). Il existe par ailleurs un nombre considérable d’ouvrages et d’articles à propos de l’inceste en général et cette fois-ci la réflexion prend en compte les périodes antérieures : le récent ouvrage de Jacqueline Chammas, L’Inceste romanesque au siècle des Lumières paru en 2011, comme le séminaire en 2010-2012 de l’Institut d’Histoire de la Pensée Classique (UMR 5037) consacré à ? l’inceste : filiations, transgressions, identités (XVIe-XVIIIe siècle) « , témoignent de la vivacité de la recherche sur le sujet, en particulier pour le XVIIIe siècle ; en effet, une ? utopie incestueuse » habite la philosophie des Lumières, et on rappellera la célébration d’une sexualité sans tabous dans le Supplément au voyage de Bougainville et la formule de Sade : « l’inceste devrait être la loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base ». La dépénalisation en 1791 des relations incestueuses entre adultes consentants est d’une certaine façon l’aboutissement de cette critique de l’interdit biblique ; l’inceste reste néanmoins l’objet d’un discrédit moral, et est toujours perçu comme une transgression radicale « le mariage et la reconnaissance des enfants sont d’ailleurs prohibés par le code civil », comme l’atteste sa présence dans la littérature.
La recherche dans ce domaine est donc actuellement très vivace, mais le terrain est loin d’avoir été complètement défriché. Malgré l’interêt récent pour les relations entre les frères et s’urs « beaucoup de travaux datent de la dernière décennie « , l’inceste dit » collatéral » reste peu étudié en tant que tel, alors qu’il diffère considérablement de l’inceste père-fille (ou plus rarement mère-fils) ; on sait en effet qu’il a été pratiqué dans certaines civilisations, et que dans beaucoup de cosmogonies il est à l’origine de l’humanité ; le couple frère-s’ur est donc perçu comme fondateur et il peut être rapproché du mythe de l’hermaphrodite originel, mais aussi des questions liées à à la figure du double et de la gémellité. Cet arrière-plan mythique, très actif dans nombre de romans exotiques et utopiques qui présentent l’inceste non plus comme une transgression mais comme une loi de la nature, se retrouve sous des formes atténuées dans les récits ou les pièces de théâtre ; comment expliquer autrement que par une mystérieuse attraction « naturelle « ces multiples couples fraternels qui ne doivent qu’à la découverte in extremis de leur liens de sang de ne pas consommer le crime » Et combien d’autres le sachant » comme les héros de ‘Tis a Pity She’s a Whore de John Ford (1626) « , affirment-ils haut et fort que leur union constitue le couple idéal, toutes les règles sociales et morales d’interdiction d’un tel amour étant dénoncées comme arbitraires » Certes, il y a aussi des histoires de viol et de violence, qui correspondent probablement davantage à la réalité de l’inceste fraternel « c’est souvent un aîné, et plus rarement une aînée, qui abuse de sa s’ur ou de son frère plus jeune » et les problématiques liées au pouvoir et au genre doivent être abordées. Il n’en reste pas moins que se déploie dans la littérature une tension entre un « rêve d’inceste « , qui peut d’ailleurs devenir l’acte fondateur d’une société » fraternelle », et le sentiment, le plus souvent tragique, d’un acte monstrueux condamné par la loi divine et humaine.
La période envisagée « du Moyen Âge au XVIIIe siècle « permettra de percevoir sur un ? temps long ? des constantes ou des ruptures » qui ne sont peut-être pas là où on le pense » liées à la fois à des questions religieuses, philosophiques, scientifiques, mais aussi esthétiques ; on pourra ainsi s’interroger sur les stratégies de dissimulation-révélation de l’inceste utilisées dans certaines œuvres, sur les termes qui disent l’amour-passion quand il est à ce point spéculaire, sur les interprétations allégoriques, etc. De nombreuses problématiques pourront être abordées, comme celle du lien avec l’enfance « les amours enfantines comme les enfants de l’inceste », l’utilisation polémique et infamante qui est faite de l’accusation d’inceste dans les pamphlets, les idéaux politiques associés à l’inceste adelphique, ou encore les liens avec le règne animal : le corpus est ouvert à l’ensemble des discours savants, juridiques, médicaux, alchimiques, ou encore théologiques (ne sommes-nous pas tous enfants de l’inceste ?) et ne se limite pas au domaine français.
Le colloque, proposé par l’équipe TransLittéraires du centre de recherches « Textes et cultures » de l’Université d’Artois (EA 4028), vise, dans le prolongement de L’hermaphrodite de la Renaissance aux Lumières (2011), à lancer une vaste enquête interdisciplinaire, qui permettra peut-être de trouver des documents inédits ou peu connus, et de renouveler et d’enrichir nos connaissances et nos questionnements sur le sujet.
Il sera précédé d’une journée d’études le 29 janvier 2016 (sans limitation chronologique du champ de recherche) dans le cadre du séminaire doctoral.
Les communications, de préférence en français, dureront 25 minutes. Celles qui seront retenues par le comité scientifique seront publiées dans les actes du colloque.
Les projets de communication devront être adressés avant le 15 avril 2015 à :
Marianne Closson, marianne.closson@wanadoo.fret François Raviez, francoisraviez@gmail.com
Nous vous demandons d’envoyer une proposition en fichier attaché format rtf, ou .doc, de 500 mots maximum, accompagnée d’une « bio-bibliographie » d’une dizaine de lignes, dans laquelle figureront votre université et/ou votre laboratoire d’affiliation, ainsi que vos coordonnées personnelles : adresse, n’ de téléphone et adresse électronique. Vous pourrez éventuellement ajouter quelques références bibliographiques si vous avez déjà travaillé sur ce sujet. Le fichier aura pour titre le nom de l’auteur ou des auteurs de la proposition.