Colloque international
Comédie-Française et INHA
Comité d’organisation : Florence Naugrette et Sophie Marchand (Sorbonne Université), Tiphaine Karsenti (Université Paris Nanterre), Sara Harvey (University of Victoria), Charline Granger (CNRS – Université Paul Valéry) Sylvaine Guyot (New York University), Agathe Giraud (Université d’Artois) et Louis-Gilles Pairault (Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française).
Ce colloque, adossé au programme IUF de Florence Naugrette (« Archives, témoignages, mémoire, mise en récit : que raconte l’histoire du théâtre ? ») et au programme RCF (Registres de la Comédie-Française) s’inscrit dans une série de rencontres scientifiques vouées à envisager autrement l’histoire de la Comédie-Française, en examinant comment elle a pu être racontée par ses sociétaires, ses directions et ses comités. Il s’agit, pour ce dernier volet, d’analyser la place des spectateurs dans l’histoire de ce théâtre.
De nombreux travaux existent sur la question du public, qui étudient pour la plupart le public programmé ou fantasmé par les auteurs dramatiques et les directeurs de théâtre, et dressent un portrait théorique de cette instance indispensable au déploiement du protocole dramatique et, pour cette raison même, objet de passions et d’attentions ambivalentes. Historiens et sociologues ont, de leur côté, tenté de saisir, au moyen d’autres sources (données matérielles de la vie théâtrale, rapports de police…) une image plus précise des spectateurs réels qui, par leur diversité, invitent à parler de publics au pluriel plutôt qu’à postuler une entité unifiée et uniforme. Il s’agira, lors de ces journées d’études, de conjuguer ces approches mais aussi de faire entendre la voix de ces spectateurs, conservée par la presse, les écrits de soi et les témoignages, les anecdotes, la correspondance entretenue par certains avec l’institution et ses représentants.
Les registres de la Comédie-Française offrent sur ces questions des aperçus nouveaux. Les registres de recettes témoignent des fluctuations de la fréquentation du théâtre et des équilibres instables qui se jouent dans la salle entre des publics que définit le type de place qu’ils occupent, lié à leur capacité financière ou aux raisons particulières qui les mènent au spectacle. Rapportées à la programmation et à la prise en compte du répertoire, ces données invitent à des interrogations multiples : peut-on identifier le succès d’un genre, d’un auteur, d’une pièce, d’une thématique, d’un ou une artiste scénique à la présence de telles ou telles catégories de spectateurs ? Le succès public est-il ou non déterminant dans les logiques de programmation ? Suit-on, dans ces mêmes processus d’élaboration de la saison, les goûts du public ? Le public particulier des représentations gratis ou des voyages à la Cour implique-t-il une modification du répertoire ? Et que dire du public « invité », bénéficiant de billets spécifiques, qui contribue à l’essor d’un imaginaire de la claque ? Peut-on interpréter sociologiquement la modification, au cours des siècles, des types de places ? Cette modification a-t-elle des implications esthétiques ? À partir de quelles sources pourrait-on prendre en compte la présence et l’éventuelle influence d’un public féminin ? Les données de l’histoire du théâtre permettent-elles une approche genrée du public ?
Les registres d’assemblées, quant à eux, permettent de mieux saisir la manière dont l’institution tient compte des publics, des débats que suscitent ces derniers, des échanges qui existent, dans la vie administrative du théâtre, avec les spectateurs. On pourra chercher dans ces registres des traces des débats sur la pertinence de supprimer les banquettes de scène, sur les avantages des parterres debout ou assis, sur la manière de réagir aux interventions des plaisants du parterre et autres spectateurs perturbateurs, sur la naissance, aussi, d’un vedettariat qui implique un certain rapport au public. Quels sont les rapports de force et les dynamiques qui déterminent la place du ou des publics dans l’écosystème évolutif que représente la vie théâtrale entre 1680 et la fin du XIXe siècle ? Quel est l’imaginaire du public qui anime les directeurs, les comédiens et comédiennes ? Voit-on se développer dans les registres d’assemblée, comme dans la presse ou l’imaginaire collectif, des physiologies de spectateurs ? Dans l’organisation architecturale et matérielle du théâtre, quels espaces réserve-t-on aux spectateurs, au sein d’une topographie à la fois concrète et symbolique ?
D’autres sources devront être mises à profit et confrontées aux données des archives. Celles, d’une part, que constituent les échos médiatiques de la présence des spectateurs, de leur comportement, de leur influence sur le déroulement de la séance, la fortune des œuvres et la carrière des artistes. La presse, les pamphlets divers, les recueils d’anecdotes, mais aussi les préfaces et textes théoriques contribuent, à leur manière, à l’élaboration de représentations publiques du ou des publics. Celles, d’autre part, qui restituent directement le point de vue des spectateurs : lettres privées ou publiques, conservées à la Bibliothèque de la Comédie-Française, publiées dans les journaux ou recueillies dans les correspondances ; mémoires et souvenirs de spectateurs, témoignages de réception. Quelle place occupent les spectateurs dans la culture du théâtral qui se dessine à l’époque considérée ? On pourra, dans cette optique, étudier certaines pratiques comme les adresses aux spectateurs lors des annonces ou des compliments qui ponctuent la saison, et interroger la pertinence de la notion de quatrième mur pour penser une vie théâtrale qui, souvent, fait des spectateurs des acteurs de premier plan.
Ces interrogations, centrées principalement sur la période qui s’étend de la fin du XVIIe siècle à la fin du XIXe, n’excluent pas une réflexion sur ce que représente aujourd’hui ce théâtre dans le paysage culturel français. Y a-t-il, de nos jours, une spécificité du ou des publics de la Comédie-Française ? Parlerait-on d’un ou de plusieurs publics ? Comment l’institution a-t-elle intégré les spectateurs à son fonctionnement ? Par quels moyens nouveaux ce ou ces publics se fédèrent-ils et assument-ils une identité spectatrice ? Comment contribuent-ils à la mémoire et à l’histoire de l’institution ?
Les propositions de communications (une page maximum) accompagnées d’une courte présentation bio-bibliographique sont à envoyer avant le 20 décembre 2024 aux deux adresses suivantes : Sophie.Marchand@sorbonne-universite.fr et marchand.soph@wanadoo.fr.