Marie de Rabutin-Chantal/Fortunée Briquet
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SEVIGNÉ, (Marie de Rabutin, Dame de Chantal et de Bourbilli, Marquise de) petite-fille de Françoise Frémiot, Dame de Chantal, fondatrice de l'ordre de la Visitation, naquit le 5 février 1626. Elle n'avait qu'un an et quelques mois, lorsqu'elle perdit son père. Marie de Coulanges sa mère, et Christophe de Coulanges son oncle, soignèrent son enfance, et cherchèrent à cultiver les heureuses dispositions qu'elle avait reçues de la nature. Elle apprit le latin, l'espagnol et l'italien. A l'âge de 18 ans, le Ier. août 1644, elle épousa Henri, marquis de Sévigné, qui mourut le 2 février 1651. Elle le regretta sincèrement, quoiqu'il n'eût pas eu pour elle tout l'attachement dont elle était digne. Veuve à 25 ans, favorisée des dons de la fortune, et douée des charmes de la figure, elle renonça à de nouveaux liens, pour se consacrer à l'éducation de son fils et de sa fille. Elle maria cette dernière, en janvier 1669, au comte de Grignan qui dans la suite eut le gouvernement de la Provence. Cette circonstance fut pour Madame de Sévigné la source de ses inquiétudes et de sa gloire. Toutes ses pensées ne se portèrent plus que sur les moyens de revoir sa fille. Tantôt elle l'attirait à Paris, et tantôt elle allait la chercher au fond de la Provence. Leur séparation donna naissance à ces lettres dont il n'y a point de modèle. Madame de Sévigné fit son dernier voyage à Grignan, vers la fin du mois de mai 1694. Le chagrin et la fatigue que lui causa une longue maladie de sa fille, la conduisit* au tombeau. Elle fut attaquée, le 6 avril 1696, d'une fièvre continue, qui l'emporta le 14e. jour. Son ame était belle et vertueuse. Elle pardonna avec la plus grande générosité à son cousin Bussi-Rabutin, les sarcasmes qu'il avait lancés contr'elle, dans son Histoire amoureuse des Gaules, sous le nom de Madame de Chemville. Voltaire l'a placée dans son Temple du Goût. Le portrait qu'a fait d'elle son illustre amie, Madame de Lafayette, donne une haute idée des qualités de son esprit et de celles de son coeur. Son éloge, par Madame Brisson, fut couronné en 1777 par l'Académie de Marseille. Un auteur célèbre (Laharpe) a dit dans un poëme qui n'a point été achevé:
Charmante Sévigné, quels honneurs te sont dus!
Tu les as mérités, et non pas attendus.
Tu ne te flattais pas d'avoir pour confidente
Cette postérité pour qui l'on se tourmente.
Dans le coeur de Grignan tu répandais le tien;
Tes lettres font ta gloire, et sont notre entretien.
Ce qu'on cherche sans fruit, tu le trouves sans peine.
Que tu m'as fait pleurer le trépas de Turenne!
Qui te surpassera dans l'art de raconter?
Ces portraits d'une cour qu'on se plaît à citer,
Se retracent chez toi bien mieux que dans l'histoire:
Ces héros, dont ailleurs je n'appris que la gloire,
Je les vois, les entends, et converse avec eux, etc..
L'amour maternel de Madame de Sévigné fit son bonheur et son génie.
Ses Lettres furent publiées avec une préface et des notes, par le chevalier Perrin, 1734, 4 vol. in-12; Paris, Rolin, 1735, 6 vol. in-12; 1754, 9 vol. in-12; 1763; 1775, 8 vol. in-12; Paris, Bossange, an 9, 10 vol. in-12. On trouve à la tête de cette dernière édition, le portrait de Madame de Sévigné, un précis de sa Vie et des réflexions sur ses Lettres. L'abbé Pierre Barral donna en 1756, in-12, les Sevigniana, avec des notes. Il n'a presque compilé, dans ce Recueil, que ce qui regardait les Solitaires de Port-Royal et leurs amis. Les Lettres de Madame de Sévigné se mettent entre les mains des étrangers, qui veulent apprendre la langue française. Rien n'est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions. Elle avait le talent d'embellir les moindres choses, et de donner de l'intérêt aux plus petites. Tous ses récits sont des tableaux de l'Albane; son style est inimitable, comme celui du bon La Fontaine. Elle est, dans le genre épistolaire, ce que le fablier est dans le sien, négligée et originale. Quelques auteurs ont prétendu que les sentimens de tendresse qu'elle témoignait à sa fille étaient faux et affectés. Cette assertion est non-seulement dénuée de preuve, mais encore de probabilité. Si elle ne sentait rien, qui donc l'obligeait à faire paraître le contraire? A quoi bon cette pénible et longue hypocrisie? Le coeur d'une mère ne peut se contrefaire ainsi; et l'on voit clairement que lui seul a inspiré à Madame de Sévigné ces fréquentes expressions de tendresse, qui ne pouvaient se sauver d'une ennuyeuse monotonie, qu'à force de vérité. Boileau a dit:
Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant;
Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent.
On a reproché à Madame de Sévigné de n'avoir pas rendu justice au mérite de Racine. Les beautés de Corneille, qu'elle appelait ses vieilles admirations, l'emportaient, à son avis, sur celles de l'Euripide français. Quelqu'un qui, dans sa jeunesse, n'avait vu, n'avait admiré que l'auteur de Cinna, n'était-il pas excusable d'avoir conçu que rien ne l'égalerait jamais? D'ailleurs, les réputations en imposent. Son enthousiasme pour Corneille ne lui fit point illusion** sur les endroits où il est resté au-dessous de lui-même. On sait que Racine n'a été mis à sa place, que 30 ans après sa mort. Cet auteur semble avoir favorisé l'espèce de culte exclusif qu'on rendait à Corneille, quand il a dit de lui: «On trouve, dans ses écrits, une certaine force, une élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu'à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres». Si elle s'est trompée à l'égard de Racine, doit-on en conclure qu'elle manquait de goût, tandis que, dans plusieurs autres occasions, elle a donné des preuves du contraire? N'a-t-elle pas trouvé le style de la Cléopâtre détestable, dans un tems où tout le monde, excepté Despréaux, en célébrait l'auteur? Se laissa-t-elle abuser par l'amitié qu'elle portait à Benserade, et par les vers qu'il avait faits pour sa fille, dans les ballets de la cour, où elle parut? «Les rondeaux de Benserade, dit-elle, sont fort mêlés; avec un crible, il en demeurerait peu». On ne doit point oublier, pour la gloire de Madame de Sévigné, qu'elle a fait dans ses Lettres l'éloge des hommes les plus célèbres de son siècle, entr'autres, de La Fontaine.
- Erratum: conduisit, lisez conduisirent.
- Erratum: quelqu'un qui, etc, lisez quelqu'un qui, dans sa jeunesse, n'aurait vu, n'aurait admiré que l'auteur de Cinna, ne serait-il pas excusable d'avoir pensé que personne n'égalerait ce poëte? Les réputations en imposent. D'ailleurs l'enthousiasme de Madame de Sévigné pour Corneille ne lui fit point illusion, etc.