Catherine Bernard

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Catherine Bernard
Biographie
Date de naissance 1663
Date de décès 1712
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Charles de Mouhy (1780)
Autre(s) dictionnaire(s) en ligne
Dictionnaire CESAR - Calendrier électronique des spectacles sous l'Ancien Régime et sous la Révolution


Notice de Derval Conroy, 2005

Quoique l'on s'accorde traditionnellement à dater sa naissance en 1662 (l'établissement des dates clé et des événements cruciaux de la vie de Catherine Bernard repose sur beaucoup d'incertitude et d'ignorance), l'argument a récemment été avancé par Catherine Plusquellec et Franco Piva qu'elle naît le 24 août 1663, dans le milieu prospère et cultivé de la bourgeoisie protestante rouennaise. Il semble qu'elle déménage à Paris quelques années avant 1685. Certaines remarques dans le Mercure galant, paru en octobre de cette année-là, suggèrent qu'elle se convertit au catholicisme peu de temps avant la révocation de l'Édit de Nantes.

Sa carrière littéraire débute de manière hésitante avec la publication du roman Fédéric de Sicile (1680), suivie de celle du Commerce galant (1682), récemment attribué à Catherine Bernard et Jacques Pradon dans le cadre d'une collaboration, avant d'éclore à partir de 1687. Pendant les douze années qui suivent 1687, elle produit trois nouvelles, deux tragédies et une quantité considérable de poésies. Les deux tragédies, jouées à la Comédie française, connaissent un énorme succès: Laodamie, lors des premières représentations, est jouée vingt-deux fois, et Brutus vingt-cinq fois. Pendant cette période, on lui décerne trois fois le prix de poésie de l'Académie française (1691, 1693, 1697), et également trois fois le prix de poésie de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse (1696, 1697, 1698). En 1699, Bernard est reçue comme membre de l'Académie des Ricovrati de Padoue, sous le nom de Calliope l'Invincible. À partir de 1691, l'année où elle reçoit du roi une pension de 200 écus, Bernard bénéficie d'un certain mécénat de la cour, grâce surtout à Mme de Pontchartrain. Ce mécénat et ses liens avec le milieu de plus en plus dévot de la Cour fin de siècle ont peut-être joué un rôle dans sa décision de cesser d'écrire pour le théâtre et, par la suite, dans celle d'abandonner toute activité publique. Dès 1698, Bernard ne publie plus son travail, quoiqu'elle continue à écrire des vers de circonstance. On sait très peu de choses des dernières années de sa vie sinon qu'elle meurt à Paris le 6 septembre 1712 dans l'indifférence.

Si elle est avant tout reconnue comme poétesse par ses contemporains, ce sont ses oeuvres en prose et théâtrales qui suscitent actuellement le plus d'intérêt. Une vision pessimiste du monde et une conception fataliste de l'amour comme désordre sont des éléments centraux dans les ouvrages de Bernard, et la situent clairement dans la même tradition littéraire que Racine et Lafayette. Cependant, ses textes en prose sont de plus en plus perçus comme étant précurseurs de l'éthique de la sensibilité du dix-huitième siècle. Des deux pièces, Laodamie est la plus ouvertement innovatrice, incorporant une dramatisation éloquente de l'ambiguïté inhérente au concept de souveraineté féminine.

La réputation littéraire de Catherine Bernard est traditionnellement restée dans l'ombre à cause de sa prétendue collaboration, et même sa parenté, avec deux éminents hommes de lettres. D'après certains, elle serait la nièce de Corneille et, donc, la cousine de Fontenelle bien qu'aucune preuve substantielle ne permette à ce jour de l'établir de façon définitive. Pour d'autres, à la tête desquels Alain Niderst, une part importante de l'oeuvre de Bernard a été écrite par Fontenelle. Alors qu'il ne fait aucun doute que Fontenelle a pu jouer le rôle de mentor pour la jeune écrivaine, aucune preuve tangible n'existe qui puisse indiquer l'étendue d'une éventuelle collaboration dont il est question pour la première fois dans les années 1730, c'est-à-dire au moment d'une controverse littéraire impliquant Voltaire. À la suite de critiques parues dans le Mercure galant selon lesquelles Voltaire aurait largement puisé dans la pièce de Bernard pour écrire son propre Brutus (1730) et d'après lesquelles cette pièce serait inférieure à celle de la dramaturge, les partisans de Voltaire auraient lancé une campagne pour dénigrer la réputation de l'écrivaine afin d'enrayer la polémique. En 1751, Voltaire lui-même a attribué en grande partie le Brutus de Bernard à Fontenelle. Depuis les années 1980 principalement, trois thèses doctorales au moins et plus de vingt-cinq articles écrits par des dix-septièmistes ont été inspirés par l'oeuvre de Catherine Bernard. Des analyses de son travail figurent aussi dans des études de plus grande ampleur et des thèses ayant trait aux femmes écrivains. Jusqu'à récemment, seuls Éléonor d'Yvrée et Inès de Cordoue, réimprimés par Slatkine en 1979 et préfacés par René Godenne, figuraient parmi les titres de Bernard facilement accessibles aux lecteurs (en dehors des bibliothèques spécialisées). Cette situation éditoriale a changé dans les années 1990 avec la parution de Laodamie dans l'anthologie de Perry Gethner, Femmes dramaturges en France (1650-1750): Pièces choisies, et plus particulièrement grâce à Franco Piva qui a remis au jour le travail de Catherine Bernard en réalisant l'édition de ses oeuvres complètes.


(traduction de l'autrice)

Oeuvres

- 1680 : Fédéric de Sicile, Paris, Jean Ribou et Lyon, Thomas Amaulry -- Oeuvres, voir infra.
- 1682 : Le Commerce galant ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre, Paris, Jean Ribou (collaboration incertaine de Jacques Pradon) -- Éd. Franco Piva. Fasano, Schena et Paris, Nizet, 1996.
- 1683-1709 : Poésies -- Oeuvres, voir infra.
- 1687 : Les Malheurs de l'amour. Première nouvelle. Eléonor d'Yvrée, Paris, Michel Guérout -- in Raymond Picard et Jean Lafond assisté de Jacques Chupeau (éd.), Nouvelles du XVIIe siècle. Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1997.
- 1689 : Le Comte d'Amboise, Paris, C. Barbin -- in Marc Escola (éd.),Nouvelles galantes du XVIIe siècle. Paris, GF-Flammarion, 2004.
- 1689 : Laodamie, reine d'Épire (trag. en 5 actes, en vers), in Théâtre françois, ou Recueil des meilleures Pièces de Théâtre, Paris, Pierre Ribou, 1735, t.V, p.525-622 (l'édition de Paris, 1689, encore citée au XVIIIe s., est introuvable). Comédie-Française (Paris, théâtre du Guénégaud), 11 février 1689 -- in Perry Gethner (éd.), Femmes dramaturges en France (1650-1750). Pièces choisies, t.1. Paris, Seattle, Tübingen, coll. Biblio 17, 79, 1993.
- 1690 : Brutus(trag. en 5 actes, en vers), Paris, la veuve de Louis Gontier, 1691. Comédie-Française (Paris), 18 décembre 1690 -- Oeuvres, voir infra.
- 1696 : Inès de Cordoue. Nouvelle espagnole, Paris, Martin Jouvenel et George Jouvenel -- in Marc Escola (éd.),Nouvelles galantes du XVIIe siècle. Paris, GF-Flammarion, 2004.
- 1696 : «Le prince Rosier», in Inès de Cordoue, voir supra.
- 1696 : «Riquet à la Houppe», in Inès de Cordoue, voir supra.
- 1696 : Histoire de la Rupture d'Abénamar et de Fatime, publiée avec Inès de Cordoue, voir supra.
- Oeuvres, éd. Franco Piva, t.1, Romans et nouvelles, Fasano/ Paris, Schena/Nizet, 1993; t.2, Théâtre et poésie, Fasano/Paris, Schena Editore/Didier Érudition, 1999.

Attributions incertaines :
- 1695 : Bradamante(trag. en 5 actes, en vers), Paris, chez Michel III Brunet, 1696. Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain (Paris), 18 novembre 1695. Cette pièce, habituellement attribuée à Thomas Corneille, est attribuée à Catherine Bernard par Pierre-François Godar de Beauchamps dans ses Recherches sur les théâtres de France (Paris, Prault, 1735, t.2, p.276) sans que l'auteur ne cite aucune source. Cette attribution est parfois évoquée par d'autres auteurs qui s'appuient sur Beauchamps.
- 1686 : Relation de l'isle de Bornéo, «Nouvelles de la République des lettres», janvier 1686. Ce récit, habituellement attribué à Fontenelle est, d'après certains biographes, de la main de Catherine Bernard (voir, par exemple, Haag, La France protestante, 1846-1859). Selon d'autres (par exemple, Catherine Plusquellec et Alain Niderst), il est possible que ce soit le fruit d'une collaboration entre les deux.

Choix bibliographique

- Goldwyn, Henriette. «Catherine Bernard ou la voix dramatique éclatée», in Roger Duchêne et Pierre Ronzeaud (dir.), Ordre et Contestation au temps des classiques. Paris/Seattle/Tübingen, Biblio 17, 1992, t.I, p.203-211.
- Kelley, Diane Duffrin. «Codes of conduct in Catherine Bernard's Le Comte d'Amboise: a courtois or gallant hero?». Dalhousie French Studies, 66, 2004, p.3-10.
- Piva, Franco (éd.). Introduction aux Oeuvres...,voir supra(Oeuvres).
- Poulouin, Claudine. «Brutus ou la vertu lassée: l'écriture de l'histoire dans le Brutus de Catherine Bernard», in Franco Piva (dir.), Bruto il maggiore nella letteratura francese e dintorni. Fasano, Schena Editore, 2002, p.125-139.
- Vincent, Monique. «Les deux versions de Riquet à la Houppe: Catherine Bernard (mai 1696), Charles Perrault (octobre 1696)». Littératures classiques, 25, 1995, p.299-309.


Jugements

- «Les Dames sont aujourd'huy capables de tout, et si la délicatesse de leur esprit leur fait produire sans peine des Ouvrages tendres et galans, Mademoiselle Bernard vient de faire voir qu'elles sçavent pousser avec force les sentimens héroïques, et soutenir noblement le caractère Romain. C'est elle qui a fait la Tragédie de Brutus, dont les représentations attirent de si grandes assemblées. Il y a deux ans qu'elle fit joüer une autre Pièce appellée Laodamie, qui couta des larmes à tous les coeurs tendres. Elle écrit en Prose avec la mesme justesse qu'elle fait en Vers, et il n'y a rien de mieux pensé que les deux Nouvelles qu'elles a données au Public, l'une sous le titre d'Eléonor d'Yvrée, et l'autre sous celuy du Comte d'Amboise» (Le Mercure galant, décembre 1690, p.287-289).
- «S'il est vrai que la Poésie soit le langage des Dieux, rien ne doit donner tant de gloire, ni tant de joïe, que de remporter, au jugement des plus beaux Esprits du Roïaume, trois fois de suite le prix de la Poësie. Messieurs de l'Académie Françoise, ces Juges Souverains de la Prose et des Vers (si leurs Statuts leur permettoient) vous donneroient sans doute une place parmi eux. [M]ais l'Académie Françoise prévoïant que les Dames l'emporteroient sur nos plus excellens Orateurs, et sur nos plus célébres Poëtes, a prudemment ordonné, qu'après avoir gagné le prix trois fois, on en seroit exclu» (M. de Vertron, lettre à Mlle Bernard, in La Nouvelle Pandore, Paris, chez la veuve de Charles Mazuel, 1698, t.II, p.362-364).
- (à propos de Laodamie) «Je ne connais point d'ancienne pièce plus propre à être remise au théâtre. Les vers en sont beaux, ingénieux et même souvent forts, quoique d'une femme. Le sujet et la conduite touchent également, on est extrêmement intéressé d'un bout à l'autre. Le dénouement fait honneur à la Providence; tous les personnages sont honnêtes gens, doux, raisonnables et dignes de l'intérêt qu'on y prend, excepté le seul Sostrate, qui fait l'ombre au tableau. Il n'est point question du suicide pour se délivrer des malheurs de la vie, excepté Nérée, qui veut se retirer parmi les prêtresses de Diane. J'ai exhorté les comédiens à rejouer la pièce» (D'Argenson, Notices sur les oeuvres de théâtre[1725-1756], éd. H. Lagrave, Studies on Voltaire and Eighteenth Century, 43, 1966, p.699).
- «Je ne sçais, Madame, pourquoi le bruit [du plagiat de Voltaire] s'est répandu; ni ce qui avoit pu porter un mauvais plaisant à insérer dans une parodie injuste et indécente, que M. de Voltaire avoit dérobé plusieurs vers de la Tragédie de Catherine Bernard; ce critique n'avoit assurément pas vu l'ancien Brutus. On peut dire, sans craindre de passer pour un censeur trop rigoureux, qu'il y a très-peu de Tragédies plus mal construites, et écrites d'un style plus foible, plus languissant, que celle de Mademoiselle Bernard» (Joseph de La Porte et Jean-François de La Croix, Histoire littéraire des femmes françoises, Paris, Lacombe, 1769, t.II, p.541-542).
- «Selon nous, rien n'autorise à dire que Catherine Bernard a partagé avec qui que ce soit la paternité de ses oeuvres. Nous ne voyons rien, ni dans ses poésies, ni dans ses romans, qui ait exigé le travail de plusieurs têtes; l'imagination d'une femme, l'intelligence d'une femme ont pu y suffire. Même cet interrogatoire que Brutus fait subir à son fils, et dont on a cru devoir faire honneur à Fontenelle, ne nous semble pas passer à la portée d'une conception de femme. Les grandes pensées ne viennent-elles pas du coeur? Un esprit simple et naturel rencontrera plus facilement le sublime que le haut comique» (Émile & Eugène Haag [dir.], La France protestante, Paris, Cherbuliez, 1846-1858).
- (à propos de Brutus) «la pièce de Catherine Bernard constitue surtout une étape importante dans l'évolution de l'héroïsme et du tragique: encore admiratrice de l'héroïsme conquérant et exemplaire d'un Corneille, Catherine Bernard appartient trop à son époque, plus amère et plus réservée sur l'héroïsme, pour ne pas mettre précisément en valeur, à la suite de Racine, les difficultés, les échecs et les déchirements de l'acte héroïque» (Charles Mazouer, «Le Brutusde Catherine Bernard et de Fontenelle. La tradition de l'héroïsme», Études normandes, 3, 1987, p.60).
- «The theater, and more specifically tragedy, belongs by and large to men. Nevertheless, as Catherine Bernard demonstrates in Brutus-a tragedy that at first seems eminently typical of the standard tragic canon- phallogocentric structures may indeed break down and allow another, a female, figuration to materialize on stage» (Nina Ekstein, «A woman's tragedy: Catherine Bernard's Brutus», Rivista di Letterature Moderne e Comparate, 48, 2, 1995, p.136).
- «The complicated tale of the fortunes of Brutus, the shift of attribution and the appropriations to which it has been subjected, tell us much about the literary culture of the eighteenth century, about the place of women writers in the ancien régime, and about how women's works have been arrogated by men» (Nina Ekstein, «Appropriation and gender: the case of Catherine Bernard and Bernard de Fontenelle», Eighteenth-Century Studies, 30.1, 1996, p.59).

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