Écrire et penser en Moderne (1687-1750)
Lyon (20 et 21 novembre 2012)

Louis le Grand à l’Académie (1687) et engage dès l’année suivante un violent combat contre Boileau avec le Parallèle des Anciens et des Modernes (publié entre 1688 et 1697). Malgré la réconciliation de 1694, la querelle, on le sait, connaît un nouveau paroxysme dans les années 1711-1715 autour de la traduction en prose de l’Iliade par Houdar de la Motte pour s’apaiser fin 1715. Jusque dans les années 1750, cependant, elle continue de marquer les esprits et d’orienter les choix politiques aussi bien que philosophiques et esthétiques. Pus profondément, l’idée que l’esprit conditionne son propre perfectionnement et qu’il est, à ce titre, engagé dans une dynamique de transformation, constituera le terreau de l’esprit des Lumières. Or, d’emblée, les Modernes avaient pris en charge ce travail de perfectionnement.
L’intention de ce colloque n’est pas de reprendre à nouveaux frais l’étude d’une querelle souvent et fort bien étudiée (1), mais de porter l’éclairage sur l’exigence d’une nouvelle culture « culture de méthode plus que de savoir » qui donne son impulsion et son caractère intentionnel à l’attitude qui
a fait désigner les Modernes comme tels et concentrer sur eux l’attention du public.
Défenseurs de l’absolutisme, les Modernes en effet sont aussi porteurs d’un changement de
société :
– à leurs yeux, les femmes sont capables de goût et de jugement ; ainsi Perrault réplique à la
satire X sur les femmes de Boileau par une Apologie des femmes.
– Leur projet d’une société régie par les mathématiques les conduit à faire de la science une
véritable force sociale.
Ces prises de positions ainsi que l’optimisme rationnel qui les accompagne, ils sont convaincus de
pouvoir les appuyer par une nouvelle manière de penser, laquelle suppose un nouveau langage et une nouvelle écriture qui permettent de passer de la trompeuse familiarité du faux à l’évidence éclatante du vrai. Une telle initiative, perturbante pour beaucoup dans la mesure où elle visait non seulement à penser et écrire en moderne mais aussi à théoriser une forme de pensée qui se nourrît de son propre mouvement, leur valut d’être tenus pour responsables de la corruption de la langue, du goût et des moeurs hérités du « Grand Siècle ». D’où, peut-être, la minoration par la critique de la force d’innovation dont ils furent porteurs.
Il faut donc voir dans ce colloque une invitation à relire les auteurs qui, entre la proclamation polémique et solennelle du Siècle de Louis le Grand et la publication des premiers volumes de l’Encyclopédie, ont donné à cette initiative valeur de programme, à interroger les principes et les valeurs « la raison, mais aussi les passions et les sentiments » qu’ils ont voulu promouvoir en théorisant autrement les anciens genres, en investissant ceux qui étaient considérés comme mineurs ou en inaugurant de nouvelles formes d’écriture. Il s’agira enfin de prendre en considération le bouleversement du champ littéraire que ces principes poétiques induisent. Les propositions d’interventions pourront s’inscrire dans les axes d’étude suivants :
1. Qui sont ces « Modernes » dont on réduit trop souvent les troupes à ceux que la polémique a
portés en pleine lumière (Perrault, Fontenelle, Houdar de La Motte) ? Un corpus serait à
établir d’auteurs moins fréquentés par la critique (Dufresny, Laurent Bordelon, Saint-Hyacinthe..). Peut-on distinguer plusieurs générations de Modernes et selon quels critères ? Peut-être, dans une telle perspective, conviendrait-il de s’interroger sur les modalités de leurs positionnements au regard des institutions académiques, de l’héritage des Anciens mais aussi du Grand Siècle lui-même. Certains auteurs, trop vite associés à un camp, appellent révision de leur cas.
2. Que signifie « écrire et penser en Moderne ? » On a souvent commenté l’apport décisif de Descartes dans l’élaboration de cette pensée en ce qu’il avait mis l’accent sur l’importance de la méthode, mais Malebranche, Pascal, les libres penseurs anglais, la presse, l’importance accordée aux sciences ont aussi joué leur rôle dans la volonté des Modernes de rendre la force nouvelle de l’esprit et une anthropologie profondément reconsidérée par une poétique, une esthétique, une politique éditoriale neuves à l’adresse d’un public lui aussi renouvelé.
3. Les femmes, cible privilégiée des écrits modernes ont joué un rôle considérable dans la reconfiguration du champ littéraire : comme public, comme image publicitaire, comme relais de réseaux intellectuels, politiques et mondains à l’échelle de l’Europe, comme productrices de savoirs et de textes enfin, et cela en dépit de l’attitude pour le moins ambiguë des Modernes de sexe masculin assez peu ouverts, il faut l’admettre, à une concurrence aussi neuve.
On l’aura compris, ce colloque se réclame d’une vocation interdisciplinaire et entend privilégier le
dialogue entre les littéraires, philosophes, historiens, historiens des sciences, spécialistes des beaux arts et musicologues. Ajoutons que les pistes indiquées ne sont pas limitatives et que les suggestions neuves et originales seront les bienvenues.
Les propositions d’intervention sont à envoyer conjointement à Christelle Bahier-Porte (christelle.porte@univ-st-etienne.fr) et Claudine Poulouin (Claudine.Poulouin@univ-rouen.fr) avant le 15 janvier 2012.
note 1 : H. Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes, Hachette, 1856. Hubert Gillot, La Querelle des Anciens et des Modernes en France: De la Défense et Illustration de la langue française aux Parallèles des anciens et des modernes, Champion, 1914. Noémi Hepp, Homère en France au dix-septième siècle, Klincksieck, 1968, D’un siècle à l’autre : anciens et modernes, éd. du CNRS, 1987 et plus récemment l’essai de Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », en introduction du volume La Querelle des Anciens et des Modernes, Folio Gallimard, 2001.