Marie-Jeanne L'Héritier de Villandon
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Marie-Jeanne L'Héritier de Villandon | ||
Dénomination(s) | Mademoiselle Lhéritier | |
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Biographie | ||
Date de naissance | 1664 | |
Date de décès | 1734 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) | ||
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779) |
Sommaire
Notice de Allison Stedman, 2005.
Née à Paris en Novembre 1664 et issue d’une famille lettrée de la petite aristocratie, Marie-Jeanne L’Héritier de Villandon devient rapidement une des figures de proue de la vie littéraire mondaine. On peut, en partie, attribuer son succès au fait que son père Nicolas L’Héritier de Nouvelon et son oncle Charles Perrault, qui occupent tous deux une place de choix en tant qu’historiographes de cour et hommes de lettres talentueux très en vue, l’encouragent, dès son plus jeune âge, à cultiver son esprit. Très tôt, L’Héritier est en contact avec l’éminente autrice et salonnière, Madeleine de Scudéry, qui lui sert de mentor au début de sa carrière et lui lègue son salon à sa mort en 1701. Tout comme Scudéry, L’Héritier, restée célibataire, vit de sa plume et du mécénat de ses deux protectrices: la duchesse de Longueville, dont elle édite les mémoires, et la duchesse d’Épernon, à laquelle elle dédie son conte de fées, «Les Enchantements de l’éloquence». Ce conte est publié pour la première fois dans ses OEuvres meslées (1695), qui contiennent aussi deux nouvelles, un autre conte, quelques lettres, des poèmes et un hommage à la poétesse Antoinette Deshoulières.
Durant les quarante années suivantes, L’Héritier continue à jouer un rôle actif dans chacun des aspects de la vie intellectuelle parisienne. Elle envoie régulièrement des poèmes, des contes de fées et des nouvelles à des journaux savants et des revues littéraires populaires, tel Le Mercure Galant, dans lequel elle publie des idylles et des rondeaux dès 1689. Elle maintient une forte amitié avec la comtesse de Murat, qui a dû s’exiler, et à laquelle elle dédie plusieurs écrits. Elle édifie des monuments littéraires en la mémoire des autrices qu’elle admire, en publiant des hommages à leur vie et à leur oeuvre: la plus connue étant L’Apothéose de Madeleine de Scudéry en 1702. Finalement, elle continue à employer le conte de fées afin de discuter avec son oncle Perrault de l’orientation que va prendre la fiction mondaine dans les années à venir. «Ricdin Ricdon» par exemple, que L’Héritier intercale dans La Tour Ténébreuse ou les jours lumineux, adopte les conventions génériques de «Riquet à la Houppe» (1697), conte qu’a écrit Perrault quelques années plus tôt, tout en proposant un axe thématique et idéologique différent.
À la mort du dauphin, le duc de Bourgogne, L’Héritier compose deux oeuvres commémoratives en vers et en prose: La Pompe Dauphine et Le Tombeau de Monsieur le Dauphin. Elle revient de nouveau au genre de la «nouvelle» et publie Les Caprices du Destin ainsi qu’une nouvelle édition de L’Avare puni. Vers la fin de sa vie, elle s’attelle à la traduction des Épitres héroïques d’Ovidequ’elle termine en 1728. Elle meurt à Paris le 24 février 1734, à l’âge de 69 ans.
Au cours de sa vie, L’Héritier jouit d’une renommée internationale en tant que poétesse, autrice et femme de lettres. À Paris et dans les cercles environnants de la capitale, ses OEuvres meslées, en posant les jalons d’un nouveau genre qui se caractérise par le rejet des valeurs classiques -à savoir le rejet de la domination des dieux de l’antiquité en faveur des fées, figures allégoriques des mécènes et membres de la société polie-, contribuent à lancer la vogue des contes de fées dont les publications se multiplieront pendant une quinzaine d’années. En 1692 et en 1695, la Société Palinot de Caen et l’Académie des Lanternistes de Toulouse lui décernent respectivement le prix de la poésie. Peu de temps après, elle est admise dans deux académies littéraires prestigieuses: l’Académie des Lanternistes des Jeux floraux de Toulouse en 1696 et l’Académie des Ricovrati de Padoue en 1697. Ses traductions d’Ovide impressionnent tant l’Académie française que Pierre Bayle et Louis de Sacy rédigent un éloge louant son génie littéraire. Dans le «Parnasse Français», elle est célébrée sous le nom de la Muse Télésille[1]. Enfin, Chauvelin lui décerne une pension de 400 livres. En décembre 1734, le prestigieuxJournal des Savants publie un hommage de six pages à sa vie et à ses oeuvres, un honneur exclusivement réservé à l’élite intellectuelle de l’époque.
Au XIXe siècle, anthologistes et historiographes ont déprécié le génie intellectuel et le succès littéraire de L’Héritier, en la métamorphosant en «grand-maman conteuse». De ce fait, elle a longtemps dû sa réputation au fait d’avoir été la nièce de Charles Perrault. Depuis les dernières décennies, cependant, l’évolution des études féministes et le regain d’intérêt pour la première vogue des contes de fées ont conduit les critiques des deux côtés de l’Atlantique à réexaminer la portée des contributions auctoriales et intellectuelles de L’Héritier. En particulier, le refus de L’Héritier de représenter des héros et héroïnes dans des rôles conventionnels propres à leur sexe a amené un grand nombre de critiques à considérer que ses écrits ont été précurseurs de la révolution féministe du XXe siècle.
(traduction Séverine Genieys-Kirk)
Oeuvres
- 1695 : OEuvres meslées, contenant l’Innocente tromperie, l’Avare puni, les Enchantements de l’éloquence, les Aventures de Finette, nouvelles, et autres ouvrages, en vers et en prose, de Mlle de L’H*** avec le Triomphe de Mme Des-Houlières tel qu’il a été composé par Mlle L’H***, Paris, J. Guignard -- Cf. Choix de liens électroniques.
- 1696 : Les Bigarrures ingénieuses ou recueil de diverses pièces galantes en prose et en vers par Melle L’Héritier, Paris.
- 1702 : L’Apothéose de Mademoiselle de Scudéri, en vers et en prose, Paris, J. Moreau.
- 1703 : L’Érudition enjouée, ou nouvelles savantes, satiriques et galantes, écrites à une dame française qui est à Madrid, Paris, P. Ribou, 3 vol.
- 1705 : La Tour ténébreuse et les jours lumineux, contes anglois, accompagnés d’historiettes et tirés d’une ancienne chronique composée par Richard, surnommé Coeur de Lion, roi d’Angleterre, avec le récit des diverses aventures de ce roi, Paris, Veuve de Claude Barbin.
- 1709 : Éd. Lhéritier, Mémoires de M.L.D.D.N. [Madame la duchesse de Nemours de Longueville] contenant ce qui s’est passé de plus particulier en France pendant la guerre de Paris, jusqu’à la prison du cardinal de Retz, arrivée en 1652; avec les différents caractères des personnes qui ont eu part à cette guerre, Cologne.
- 1711 : La Pompe Dauphine, ou nouvelle relation du temple de mémoire et des champs Elysées par Melle L’héritier, Paris, Veuve Saugrain.
- 1712 : Le Tombeau de Monseigneur le Dauphin [duc de Bourgogne], poème, par Melle de ***, s1nd.
- 1718 : Les Caprices du Destin, Paris, Pierre-Michel Huart.
- 1729 : L’Avare puni ou le don généreux du comte de Champagne, nouvelle historique mise-en-vers par Melle L’Héritier, Paris, Tabarie.
- 1732 : Les Epîtres héroïques d’Ovide, traduites en vers François, par Mlle L’Héritier, Paris, Brunet fils, P. Prault.
Choix bibliographique
- Francillon, Roger, «Une théorie du folklore à la fin du XVIIe siècle: Mlle L’Héritier», in Ursula Brunold-Bigler et Hermann Bausinger (dir.),Hören Sagen Lesen Lernen: Bausteine zu einer Geschichte der kommunikativen Kultur, Bern, Peter Lang, 1995, p.205-217.
- Fumaroli, Marc, «Les Enchantements de l’éloquence: Les fées de Charles Perrault ou de la littérature», in Marc Fumaroli (dir.), Le Statut de la littérature: mélanges offerts à Paul Bénichou, Geneva, Droz, 1980, p.153-186.
- Raynard, Sophie, La Seconde Préciosité: floraison des conteuses de 1690 à 1756, Tübingen, Gunther Narr, 2002.
- Robert, Raymonde, Le Conte de fées littéraire en France de la fin du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2002.
- Seifert, Lewis C., Fairy Tales, Sexuality and Gender in France, 1690-1715: Nostalgic Utopias, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
Choix iconographique
-1697?, Étienne Desrochers, d’après Tournières, Portrait de Mlle L’Héritier (taille douce, 15 x 10,9 cm). Avec l’inscription: «C’est l’héritière des Neuf soeurs/ par sa prose et ses vers elle charme les coeurs/ Et Minerve avec soin grava dans sa mémoire/ Tous les traits de la Fable et tous ceux de l’histoire» [2].
Jugements
- «Vous, qu’on voit exceller dans le noble métier
Des doctes Nymphes du Permesse
Jeune & charmante L’Héritier
Qui par votre vertu, votre délicatesse
Votre savoir & votre politesse,
Plaisez à tout le monde entier.
Mon sexe par moi vous rend grâce,
Des honneurs éclatants que vous lui procurez,
Et si je savais mieux la Langue du Parnasse;
EN BEAUX CARACTERES DORES,
J’écrirais au fronton du Temple de mémoire
Jusqu’où vont nos transports vous voyant tant de gloire».
(Ode à Lhéritier par un admirateur anonyme, OEuvres meslées,1695, voirsupra, p.363).
- «Être née avec une vivacité, une pénétration, une solidité d’esprit, & un courage admirable, & avoir orné ces dons de la nature d’un savoir aussi bien réglé que profond: c’est de quoi former un mérite complet. […] L’Histoire Grecque, la Romaine, la Française ancienne & moderne & enfin l’Histoire Universelle vous est connue à fond dans toute son étendue, la Sphère, la Géographie la plus exacte ne sont qu’un jeu pour vous; & l’on peut dire que vos vives lumières sur les fables & les Poètes sont les moindres de vos connaissances: puisque vous en avez de si claires en Philosophie, que nos plus grands hommes dans cette belle étude de la sagesse en sont surpris» (Lettre à Lhéritier par un admirateur anonyme, OEuvres meslées, 1695, voir supra, p.364-365).
- «Quand pour chanter Louis
L’Héritier de sa veine
Fait sortir tant d’expressions,
Je m’imagine ouïr aux bords de l’Hipocrène
Les Eratos & les Cléons»
(Claude Charles Guyonnet de Vertron, La Nouvelle Pandore, ou, Les femmes illustres du siècle de Louis le Grand, Paris, C. Mazuel, 1698, vol.II, p.421).
- «Il s’assemblait deux fois la Semaine chez Mademoiselle l’Héritier des personnes connues par leurs Ecrits, ou par leur condition. [...] La conversation y était extrêmement agréable, non seulement par le choix de la compagnie, mais encore plus par les Anecdotes, & le nombre infini des traits curieux, que Mademoiselle l’Héritier y fournissait; c’était une des plus heureuses mémoires de son siècle & des mieux ornées; son entretien avait aussi le charme de l’enjouement. Elle était née vive & gaie: qualités, que la médiocrité de sa fortune, & la maladie même ont eu peine à détruire, les dix dernières années de sa vie se sont passées dans d’extrêmes souffrances, sans que son courage en ait été abattu» (Journal des sçavans, Paris, Chaubert, déc. 1734, p.835-836).
- «Marie-Jeanne l’Héritier de Villandon [...] s’acquit beaucoup de réputation, non-seulement par son savoir & par son talent pour la Poésie, mais aussi par la douceur de ses moeurs, & par la noblesse de ses sentiments. […] La plupart des ouvrages de Mlle l’Héritier sont mêlés de prose & de vers. Elle a fait aussi une Traduction des Epîtres d’Ovide, dont il y en a seize en vers français» (L’abbé Ladvocat, Dictionnaire Historique-Portatif..., Paris, Veuve Didot, 1760, p.702-703).
- «Auprès des conteurs il y a les conteuses, les bonnes vieilles dont il n’est pas assez parlé dans les livres, celles qui sont un peu oubliées mais qui ont tant de charme et un génie tendre. […] Voici Mme la comtesse de Murat, Mlle de La Force, Mme d’Auneuil, Mlle Lhéritier de Villandon qui était l’élève de Perrault. […] Toutes sont vêtues à la façon des grandes dames du vieux temps, les cheveux noués à la Fontange, avec un air précieux et un peu pincé. […] Toutes avancent avec un pas lent et de belles manières comme si elles étaient mieux que de nobles personnes de Versailles mais des fées magnifiques des contes. Depuis Mmes d’Aulnoy et de Murat […] il y a bien d’autres grand’mamans conteuses» (Edmond Pilon, Bonnes fées d’Antan, Paris, E. Sansot, 1909, p.3-4).
- «Mlle L’Héritier est baroque, certes, mais semble aussi hantée par les contradictions d’un "Bas bleu" de l’époque, séduite à la fois par Les Enchantements de l’Éloquence et par les développements de la science» (Jean Perrot, «Dialogisme Baroque», Seventeenth-Century French Studies, 1992, 14, p.27).
- «La réponse de nos conteuses, en particulier Mlle L’Héritier, à cette image subordonnée de la femme, est d’offrir, à travers le thème de travestissement ou d’inversion, une culture féminine identifiable par le seul fait qu’elle est complète: il s’agit de démontrer qu’il existe des zones de recouvrement entre les rôles masculin et féminin, et donc des situations propices à des formes de gestion complémentaire que seule la femme travestie en homme peut maîtriser» (Catherine Vellay-Valentin, La Fille en garcon, Carcassonne, GARAE Hésiode, 1992, p.11).