Colloque international et interdisciplinaire, Université Rennes 2,

Objet de répulsion, le corps de la vieille femme fait l’objet d’un traitement comique et conjuratoire qui n’en finit pas de ressurgir et de se transformer, de la vieille de Candide aux représentations actuelles. Il ne s’agit pas tant ici de rouvrir le chapitre bien fourni des représentations satiriques et comiques de la vieillesse, mais plutôt de se décentrer par rapport à un discours caricatural sur la décrépitude des femmes, dont les poètes et écrivains usent, non sans quelque complaisance, comme d’un repoussoir et d’une cible comique. Le discours misogyne sur la vieillesse comique des femmes n’est en effet pas le seul existant. Ce colloque invite à porter un regard transdisciplinaire et critique sur d’autres visions, d’autres discours et d’autres nuances sur la question du vieillissement féminin, en déployant le prisme des méthodologies et en l’appliquant à un corpus élargi, de la littérature aux discours sociaux, médicaux, juridiques, mémoriels en passant par l’iconographie. La collaboration des historiens, des historiens de l’art et des littéraires sur cette question permettra d’articuler plus finement les évolutions sociales, démographiques, sanitaires, médicales et leur influence sur les représentations et les discours à un moment où l’on observe une hausse de l’espérance de vie, une augmentation du nombre de personnes âgées et un changement d’attitude vis-à-vis de la vieillesse.

Ce colloque sur les expériences et les représentations de la vieillesse en Europe (colonies incluses) du milieu du XVIIe siècle au milieu du XIXe siècle se propose d’aborder ces questions en trois axes qui viendront structurer les deux journées de présentations, d’échanges et de débats.

1. Points de vue et voix

Qui parle de la vieillesse des femmes ? De quel point de vue procède ce type de discours ? Nous souhaitons pluraliser les angles d’approche en posant la question des modalités énonciatives et narratives des représentations. Face aux discours masculins, que disent les femmes sur leur propre vieillesse ? Leurs propos constituent-ils un simple miroir des réflexions masculines, témoin d’une intériorisation du discours des hommes, ou, à l’inverse, inventent-ils une tout autre perspective ? Comment le sujet féminin (épistolière, mémorialiste, personnage féminin créé par un auteur ou une autrice) se place-t-il par rapport à la représentation dépréciative du vieillir au féminin ? S’inscrivant dans la dynamique actuelle de la recherche qui met en lumière des œuvres d’autrices (Martine Reid (dir.), Femmes et Littérature, Une histoire culturelle, I, Paris, Gallimard, Folio inédits Essais, 2020) et cherche à rendre visibles les paroles des femmes ordinaires à travers l’étude des écrits du for privé (Emmanuelle Berthiaud (dir.), Paroles de femmes – Rôles et images de soi dans les écrits personnels, Europe XVIe-XIXe siècles, Paris, Éditions le manuscrit, 2017) le colloque entend aussi mettre l’accent sur des textes écrits par des femmes : mémoires, correspondances, traités, fictions, etc. Mais même dans le corpus produit par des plumes masculines, les nuances sont nombreuses et méritent d’être explorées avec plus d’attention : Montesquieu, Marivaux, Voltaire, tous les grands écrivains du XVIIIe siècle font entendre une voix singulière sur une question qui suscite des réactions contradictoires. Nous invitons les participants du colloque à explorer ces singularités qui infléchissent ou subvertissent le cliché et le discours social majoritaire ou dominant.

2. Dans le monde / hors du monde : vieillissement et sociabilités 

Un autre axe cherchera à interroger le rôle et la place des femmes âgées dans le monde. David Troyansky a démontré comment le XVIIIe siècle voit le passage d’une tradition augustinienne de la retraite à une conception cicéronienne qui accorde aux personnes âgées un rôle dans la société notamment pour guider les générations futures. Il s’agira donc d’éclairer la place et le rôle des femmes dans le monde, dans les différentes sociabilités, afin de comprendre comment elles peuvent jouer un rôle de transmission polymorphe : transmission de principes éducatifs, introduction dans le monde ou dans un cercle, apprentissage d’un métier… Plusieurs questions pourront guider la réflexion. Comment cette mutation s’infléchit-elle en fonction des occasions, des espaces et des milieux sociaux ? Quelles places ces femmes prennent-elles dans les sociabilités ou quelles places leur assigne-t-on ? Comment ce rôle de passeur intergénérationnel est-il vécu par les intéressées, perçu par les contemporains, mis en scène dans la littérature ou la peinture ? En quoi les femmes âgées peuvent-elles apparaître comme des figures tutélaires, des arbitres, des gardiennes d’une mémoire, des cautions morales ? Quelles formes de pouvoir peuvent-elles exercer auprès des jeunes générations et comment celui-ci est-il perçu ? Faut-il « ne pas fâcher les vieilles femmes […] au motif que « […] ce sont elles qui font la réputation des jeunes », comme l’écrit Mme de Merteuil à Valmont (lettre LI) ? 

3. Représentations du corps vieillissant

La description des effets physiques de l’âge, dans l’article « Vieillesse » de l’Encyclopédie, est intégralement négative. Tout se dégrade : les os, les cartilages, les membranes, la chair, les fibres. Si le « dépérissement de la machine » touche autant les hommes que les femmes, l’exemple impitoyable que Jaucourt développe est celui de la vieille et non du vieux. Pensée par des voix masculines, la vieillesse féminine est en effet souvent présentée comme le lieu d’une déchéance physique. La ménopause, « enfer des femmes » ou « première mort », doit conduire à renoncer à la séduction et à la sexualité. Perçu et pensé par les femmes, cet « âge critique » revêt-il les mêmes caractéristiques ? L’expérience intime du vieillissement est-elle liée à l’appréhension concrète et sensible d’un corps qui évolue ou à la perception du regard des autres sur ce corps ? Et comment réagir face à ce physique sénescent ? Au-delà des condamnations moralistes masculines, reprises parfois par des femmes comme Mme de Lambert dans son Traité de la vieillesse, quelles sont les stratégies cosmétiques et vestimentaires mises en place ? S’agit-il seulement de gommer les signes du temps ou, au contraire, de réinventer mode et maquillage pour apprivoiser ce corps changeant ? 

Les propositions de communication (titre et résumé de 500 mots) ainsi qu’une courte biographie devront être envoyées à colloquerennes2023@gmail.com pour le 30 septembre 2022.

Après examen des propositions, les communications retenues seront annoncées début novembre 2022.

Comité organisateur

Florence Magnot-Ogilvy, Aurélie Chatenet-Calyste, Clémence Aznavour 

Comité scientifique 

Jean-Christophe Abramovici, Dominique Godineau, Nahema Hanafi, Elizabeth Lavezzi.
 
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