Nathalie GRANDE
Paris, Honoré Champion, collection « Lumière classique » n° 87, 332 pages, 2011.
Quand le genre de « l’histoire comique » se dissout, vers le milieu du XVIIe siècle, le comique ne disparaît pas pour autant des narrations, mais revêt, sous l’influence de la galanterie, des formes renouvelées. Cet ouvrage, s’appuyant sur de nombreux textes, certains connus, et beaucoup d’autres méconnus, est consacré à la mise en évidence des modalités galantes du rire dans les récits. En effet, la recherche de la vraisemblance dans la narration et le succès des nouvelles historiques sont loin d’épuiser l’inventivité de la fiction narrative dans la seconde partie du siècle, et elles n’empêchent en rien la persistance, et même le renouveau, d’une disposition pour le rire, qui éclaire d’un jour souvent plaisant le goût du « Siècle de Louis XIV ». Si la raillerie tendre, le goût du badinage, le plaisir de la bagatelle et le modèle du jeu mettent en œuvre un comique plaisant, on constate aussi que le rire galant va jusqu’à user du ridicule, transgresser les bienséances, oser la satire des autorités. Quand des récits devenus pamphlets s’en prennent au Trône et à l’Autel, ils révèlent comment le XVIIe a préparé le XVIIIe siècle.
Dans une première partie sont questionnées les formes narratives qui pouvaient répondre au goût galant pour le rire et le sourire, ce qui a amené à étudier la raillerie tendre dans les conversations scudériennes, les notions de badinage et de ridicule, et même une modalité licencieuse de l’écriture galante. Le jeu est apparu en particulier comme un paradigme de la narration galante, car le récit est construit souvent sur une fiction de jeu, quand ce n’est pas l’écriture elle-même qui se présente comme un jeu littéraire. Cela a conduit à envisager les effets de l’hybridation générique (entre vers et prose, entre fiction et correspondance, entre fiction et conversation, entre fiction et mémoires…).
Dans un deuxième temps, les nouveautés introduites par l’esthétique galante sont confrontées aux traditions héritées du comique. La démonstration s’appuie sur l’étude d’un motif – le travestissement –, d’un registre comique – la gauloiserie –, et d’un topos – la paillardise cléricale. Est particulièrement mise en évidence la manière dont l’esthétique galante n’amène pas forcément à l’édulcoration de la causticité comique : le travestissement mène à la confusion des sexes ; la gauloiserie ne s’oppose pas toujours à la galanterie ; et les récits de paillardise cléricale laissent entendre un rire libertin.
C’est pourquoi le dernier volet de la démonstration est consacré à quelques modalités socialement et politiquement subversives de la fiction comique et galante. L’importance prise par l’argent met par exemple à mal une certaine image de l’aristocratie. L’histoire, revue et corrigée par le récit galant, tourne à la farce burlesque et désacralise l’exercice du pouvoir. Si la nouvelle historique s’en prend pour ce faire aux modèles anciens, les satires pornographiques osent pour leur part s’attaquer directement aux autorités en place et n’épargnent ni le roi ni les Grands.
Après un tel parcours, une approche quelque peu iconoclaste de La Princesse de Clèves a enfin été proposée. Une lecture relevant les éléments satiriques, parodiques, ironiques… que recèle l’œuvre de Mme de Lafayette a été expérimentée pour éprouver la validité d’une démarche qui tente de sortir le chef d’œuvre de la gangue de révérence obligée qui tend à l’étouffer.
Ces quelques directions ne peuvent prétendre faire le tour de la question du comique narratif dans la seconde moitié du XVIIe siècle ; cependant elles contribuent sensiblement à revisiter le tableau traditionnel de la fiction narrative dans ce versant du siècle. Dans le quasi silence critique sur les aspects comiques de la fiction narrative, nous avons pu lire l’effet induit par la construction du classicisme, comme modèle esthétique et comme moyen d’enseignement moral. Par une meilleure connaissance des fictions franchement comiques, et par une meilleure attention à la dimension comique de certains textes trop vite catalogués comme sérieux, ce ne sont pas seulement certains territoires de la fiction narrative que ce travail veut découvrir et faire découvrir, mais c’est encore une certaine image du XVIIe siècle qu’il travaille à modifier.
S’intéressant particulièrement aux questions de genre et aux liens réciproques entre littérature et société, Nathalie Grande est une spécialiste des formes narratives qu’emprunte la fiction au XVIIe siècle. Elle a déjà publié Stratégies de romancières, de Clélie à La Princesse de Clèves (Champion, 1999), Le Roman au XVIIe siècle, l’exploration du genre (Bréal, 2002) ainsi qu’une édition de Mathilde de Madeleine de Scudéry (Champion, 2002).