Le GIS Institut du Genre lance trois appels à projets dans le domaine des études du genre et des sexualités.
Fondé en 2012 à l’initiative de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS, l’Institut du Genre est un Groupement d’Intérêt Scientifique qui réunit trente partenaires institutionnels. S’appuyant sur des UMR et des équipes de recherches explicitement engagées dans la recherche sur le genre, il constitue un lieu de coordination, de référence et d’accueil scientifique des recherches françaises sur le genre et les sexualités.
L’Institut du Genre a défini 8 axes de recherches à développer :
1. Environnement – Alimentation – Développement
2. Santé – Vieillissement – Vulnérabilités – Care
3. Numérique – IA – Technologies
4. Sexualités – Corps – Reproduction
5. Violences – Pouvoir – Conflits
6. Travail – Formation
7. Cultures – Productions culturelles – Langages
8. Espaces – Mobilités – Mondialisation
En 2022, l’ Institut du Genre lance un appel à projets concernant trois de ces thématiques.
Axe 1. Environnement – Alimentation – Développement
La question environnementale et climatique se révèle aujourd’hui un enjeu majeur. Et depuis le début des années 1970, les débats sur le rapport entre femmes, genre, environnement, développement durable ont donné lieu à des mobilisations de femmes dans le monde entier et dans différents espaces publics et politiques. Ils ont également permis de constituer un savoir nouveau sur cette thématique, et de donner la parole à davantage de femmes dans l’espace public.
Il s’agit donc dans cet axe de mettre en évidence l’impact des études de genre sur les questions environnementales, et réciproquement, de montrer comment la question environnementale est l’occasion d’une redéfinition des enjeux de genre. La crise climatique comme la crise sanitaire sont ainsi l’occasion de repenser l’idée de développement durable à partir de la situation des femmes. Elles rendent plus évidente la manière dont la forme de vie des privilégié.e.s (du Nord au sens large) est maintenue par une activité produite par les dominé.e.s – femmes et minorités, mais aussi par des ressources du Sud qui assurent l’entretien de la vie et le niveau de vie des pays riches. Les débats sur le changement climatique et les nations qui en sont prioritairement et historiquement responsables, et qui tentent de faire porter à l’ensemble des populations du monde le poids et la responsabilité des transformations apportées par leur propre développement, sont caractéristiques des questions soulevées par l’introduction des thématiques de genre et intersectionnelles dans la réflexion sur l’environnement et le développement.
Cet axe soutiendra des recherches sur ces inégalités environnementales. Les femmes sont en effet les premières victimes de la mondialisation, les politiques d’ajustement structurel promues par le FMI et la Banque Mondiale à partir du début des années 1980 ayant fragilisé la situation des femmes dans de nombreux pays en développement. Les recherches sur le rôle des femmes dans le travail agricole, dans la gestion des ressources ou de la biodiversité, la justice environnementale et globale sont autant de voies pour clarifier les enjeux de justice du développement durable, et aussi certainement pour mieux percevoir les limites d’un concept essentiellement orienté vers la préservation durable du monde de vie occidental.
Le genre est aussi une grille d’analyse des attitudes et pratiques de prise en compte de l’environnement au quotidien : comportements individuels ou collectifs « respectueux » de l’environnement (tri des déchets, calcul et limitation de son empreinte carbone, consommation d’énergie, de matériaux, de biens …). L’attention à ces pratiques doit conduire à repenser plus concrètement le lien entre environnement et féminisme, dépassant la thématique dominante de la wilderness et de la protection de la biodiversité. La confrontation du genre et de l’environnement fait émerger deux types d’écologie : un environnementalisme « mainstream » celui de la protection des espaces naturels, de la biodiversité caractéristique des élites blanches occidentales, et un environnementalisme qui se préoccupe de la pollution, des inégalités environnementales, des populations vulnérables ; environnementalisme qui est celui des classes sociales les moins favorisées, racisées, dominées, des femmes.
Dans les pays du Sud, on trouve des femmes à la tête de mouvements qui luttent contre la dégradation de l’environnement et pour plus de justice sociale. Les écoféministes montrent comment, dans les pays du Sud, qui souffrent de l’héritage d’une domination coloniale qui a atteint leurs potentialités économiques et a dégradé leur environnement, les conséquences environnementales et économiques du développement et de la mondialisation atteignent plus lourdement les femmes : elles voient leurs activités traditionnelles (aller chercher du bois, de l’eau) compromises ou rendues plus difficiles par l’industrialisation et la marchandisation du travail agricole. Ces activités agricoles sont indispensables à l’alimentation : les femmes africaines accomplissent 60% du travail agricole, et 60 à 80% de la production de nourriture.
Cet axe voudrait également donner place aux recherches actuelles sur l’alimentation (food studies), en lien avec les logiques de racialisation et de genre, avec une approche intersectionnelle de la nourriture qui pose les questions à la fois en termes de justice sociale, raciale, sexuelle.
La problématique genre et environnement a aujourd’hui été intégrée au discours institutionnel des organisations de développement, qui présente les femmes à la fois comme les principales victimes de la crise environnementale mais aussi comme des acteurs privilégiés de la protection de l’environnement. Ainsi, pèse aujourd’hui sur « la femme du Sud » la responsabilité de préserver l’environnement, en plus de celle de produire, d’éduquer, de nourrir les générations futures. De plus en plus de travaux alertent sur cette sur-responsabilisation des femmes et le risque qu’elle renforce les contraintes qui pèsent sur elles sans bénéfices notables sur l’environnement. Si le rôle effectif des femmes dans la préservation de l’environnement ne peut être pensé indépendamment des structures de pouvoir existantes, il ne peut l’être indépendamment des politiques macroéconomiques et des politiques environnementales menées au niveau national et international, et beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Axe 7 : Cultures – Productions culturelles – Langages
Cultures, productions culturelles et langages tiennent une place nodale dans les études ayant trait au genre, au sexe et à la sexualité, la manière dont ils sont façonnés, transmis et reproduits. L’objectif est de contribuer à saisir, décrire et analyser ces productions culturelles, dans leur variété et labilité, en ce qu’elles participent à la formation des identités et réalités genrées, distribuant places et positions, élaborant constructions sociales et imaginaires par des dispositifs et mécanismes spécifiques. Le langage et les productions culturelles, par leurs opérations de segmentation et de catégorisation, mais aussi moyennant des stratégies de déplacement et de trouble, des modalités de conception comme de perception, participent de manière décisive à construire le genre, exigeant un examen attentif.
Le genre, le sexe et la sexualité sont tout d’abord indissociables des processus linguistiques. Le langage (en tant que faculté d’exprimer sa pensée et de la communiquer) comme les langues dans leur diversité contribuent à les façonner tout comme ils permettent de les concevoir. Le langage est non seulement le vecteur d’assignations éminemment normées (p.ex. l’assignation de sexe ou de genre), mais aussi un puissant véhicule de subjectivation et de résistance ; il constitue un des lieux de description, perception et conception du genre tout comme une de ses modalités de réappropriation. L’exploration des relations entre genre et langage couvre un large champ, qui entend mettre en lumière l’imbrication des problématiques genrées avec les faits linguistiques – de l’écriture inclusive à la mixité lexicale, du recours à un lexique épicène à la féminisation des noms de métier visant à affirmer une polarisation des genres, en passant par les enjeux de traduction. Elle concerne tout type de travail faisant du langage – dans sa dimension orale, écrite, numérisée, gestuelle, visuelle, artistique, discursive, littéraire – un objet d’étude ou une ressource indispensable pour l’étude du genre en sciences sociales et humaines.
Plus largement, les productions culturelles, dans la diversité des supports et médias, des époques et pays, dans une perspective aussi bien diachronique que synchronique, demande une attention soutenue. Les productions et pratiques culturelles sont un formidable terrain d’enquête pour examiner les représentations des identités genrées (féminités, masculinités, trans ou queer) ou les mécanismes d’imposition, de diffusion ou de réception de normes et pratiques genrées. Ces productions constituent un terrain idéologique, traversé par des lignes de fracture et des rapports de pouvoir multiples, qui mènent ainsi à des phénomènes d’hypervisibilité, d’occultation ou de marginalisation – notamment à propos d’œuvres littéraires ou artistiques signées par des autrices, longtemps minorées, ignorées ou oubliées. De nombreux chantiers restent à explorer dans ces domaines, en croisant également les perspectives, selon une approche intersectionnelle, à l’aune d’un contexte comme la décolonisation, en lien avec une cause comme l’environnement et l’exigence d’un écoféminisme. Les objets culturels sont un des lieux privilégiés pour interroger les (re)configurations genrées, les effets de normativité ou de déstabilisation, les stratégies de subversion ou de résistance, les appropriations différentielles par les publics, étant entendu que les processus ne sont ni univoques ni déterminés une fois pour toutes, mais exigent une attention aiguë des contextes, les œuvres étant toujours en interaction avec le monde. Les productions culturelles, faits historiques et sociaux, autant que propositions et modélisations du monde, sont multiplement traversées par les rapports de domination (de classe, de race, de sexe…) ainsi que par les discours et les représentations de leur époque. Les productions culturelles ne sont ainsi jamais purement et simplement reçues, mais intrinsèquement une interrogation incessante sur la manière dont elles s’inscrivent et se manifestent dans une société, phénomènes tributaires d’un ensemble de médiations et de contraintes qu’il convient d’analyser.
La littérature, les arts, les productions et discours médiatiques, la culture populaire, les langues constituent par excellence des objets où il convient d’observer les problématiques genrées, que ce soit par l’examen des institutions et des industries, l’étude des œuvres, l’analyse des pratiques de réception ou des phénomènes de circulation et de traduction. Nombre de travaux ont déjà montré à quel point et par quels moyens les productions culturelles sont traversées et informées par les approches genrées, participent de manière décisive à modeler et construire le genre. Il est d’autant plus nécessaire de poursuivre et d’approfondir l’étude.
Axe 8 : Espaces – Mobilités – Mondialisation
Spatialiser le genre, c’est d’abord dire combien les lieux comptent et interviennent à toutes les échelles dans la construction des identités genrées et l’évolution des rapports sociaux de sexe. C’est ensuite réinterroger les discours dominants sur la mondialisation et ses conséquences. L’homogénéisation des modes de vie est loin d’être une réalité et l’analyse genrée de la mondialisation a pour ambition de donner à voir à la fois les inégalités socio-territoriales et les violences qui continuent à toucher les populations en position de minorité, mais aussi leurs capacités à négocier un rôle dans les espaces publics, par la mise en œuvre de stratégies de contournement de l’ordre implicite établi. Enfin, spatialiser le genre c’est aussi analyser la circulation des normes de genre du local au global, et voir les effets que leurs appropriations multiples ont sur la redéfinition du féminisme.
Dans une logique de remise en cause du caractère androcentré des études urbaines, des analyses genrées se développent autour de la question de l’accès à la ville.
La ville, dense et diverse, est porteuse de valeurs d’urbanité et de citadinité comme l’émancipation, la liberté, la rencontre avec l’altérité, la modernité. Or beaucoup d’études mettent en avant la grande vulnérabilité des femmes et des populations homosexuelles, bousculant les idées reçues quant à l’égalité des chances en matière de droit à la cité. Cela signifie que l’espace public est un construit social et les relations sociales qui le structurent participent encore au renforcement des représentations sexuées des territoires. Particulièrement significatif, l’exemple de l’espace public nocturne montre combien cet espace-temps est marqué par de fortes inégalités entre les femmes et les hommes et par une volonté des femmes de se le réapproprier.
Le contraste entre discriminations vécues et politiques de la ville – qui se veulent désormais sensibles au genre – conduit à interroger l’action publique et ses effets sur la mise en œuvre, effective ou non, d’une justice spatiale. La question se pose avec d’autant plus d’acuité dans un contexte urbain au sein duquel la problématique écologique a pris une place grandissante, invitant à repenser complètement notre rapport à l’espace.
A l’échelle macro, les bouleversements qui accompagnent la mondialisation, notamment les redéfinitions des rapports marchands/non marchands et la mise en mobilité, se traduisent par une implication de plus en plus grande des femmes dans différentes formes de circulation. Pourtant les lectures de la mondialisation, conjuguées au masculin, continuent de porter leur attention à l’intégration fonctionnelle des activités économiques qui fige l’organisation des espaces mondiaux dans des visions binaires de rapport de pouvoir où le centre domine la périphérie, la métropole la petite ville, où l’espace public prend le pas sur l’espace privé, le nord sur le sud, les activités hautement qualifiées sur les activités à bas salaires.
Les effets de la féminisation de la migration de travail sont certes ambivalents mais ils bouleversent la donne à la fois par la transformation des systèmes de contrainte et de hiérarchisation et aussi de reconnaissance d’inventivités et de capabilité. Cette dynamique globale de féminisation des mobilités interroge également les échelles d’analyse pertinentes pour comprendre les évolutions en cours, du transnational et des territorialités mondiales en réseaux aux échelles locales et micro-locales et aux espaces virtuels animés et fréquentés par les femmes migrantes. De même, les bouleversements géopolitiques, à l’origine de flux migratoires intenses, amènent à réinterroger les notions de lieu, d’échelle, de frontière, et d’identité. Là encore, des représentations sexuées sont à l’œuvre, qu’il faut mettre au jour et interroger.Outre les recherches consacrées au genre de la mondialisation, cet axe est ouvert aux analyses sur la mondialisation du genre, qui se traduit notamment par la circulation des normes de genre à différentes échelles, allant du local au global. L’analyse de la trajectoire des normes de genre élaborées par les instances internationales – incluant leur élaboration, leur diffusion et leur réception – permet de souligner les fortes tensions qui traversent le féminisme au niveau mondial. D’un côté, le genre peut être perçu comme un instrument au service d’une hégémonie néocoloniale et susciter méfiance, voire rejet. Mais d’un autre côté, le genre fait l’objet d’appropriations multiples et différenciées (et ce dans une diversité de sphères : militante, experte, judiciaire, etc), qui invitent à réfléchir à la redéfinition du féminisme au prisme de la pluralité et des logiques de coalition.
Objectifs de l’appel à projets
Cet appel à projets a pour objectif de :
– favoriser des mises en réseaux scientifiques à l’échelle nationale ou internationale
– favoriser la constitution de projets de type « ANR » ou « projets européens » en contribuant à leur montage
– soutenir la mise en œuvre de recherches et d’enquêtes de terrain
– aider à la mise en œuvre de projets éditoriaux de grande ampleur
– permettre ou accompagner l’émergence de nouvelles problématiques
Dans cette perspective, les projets présentés pourront inclure, mais ne doivent pas se limiter à, l’organisation de colloques ou de journées d’études.
Les manifestations scientifiques organisées par les lauréat.e.s devront inclure la mention du soutien de l’Institut du genre.
Une note de synthèse et un état des dépenses seront demandés par l’Institut du genre à l’issue de la mise en œuvre des projets sélectionnés.
Les lauréat.e.s seront invité.e.s à participer à un dispositif de valorisation sur le site de l’Institut du genre.
Conditions d’éligibilité
Cet appel s’adresse à tou.te.s les chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s statutaires relevant d’établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur partenaires du GIS Institut du Genre, quels qu’en soient le grade, la discipline, l’appartenance institutionnelle et la localisation géographique en France.
Priorité sera donnée à des projets portés par des personnes ou des collectifs relevant d’au moins deux unités ou équipes différentes.
Modalités de soutien :
Le financement est plafonné à 5000 € par projet.
Le financement est accordé pour l’année 2022. Il sera versé en une seule fois.
Modalités de dépôt du dossier :
Le formulaire obligatoire, une fois complété, et enregistré en pdf devra être soumis à l’adresse suivante : sg-gis-idgenre@mshparisnord.fr au plus tard le 5 septembre 2022 à 14 heures.
Pour plus d’information : sg-gis-idgenre@mshparisnord.fr
Modalités de sélection : Les dossiers seront évalués par le Conseil Scientifique de l’Institut du Genre.