Les premiers séminaires du groupe LIMA.GE (Littératures du Moyen Âge et Genre) ont amorcé une réflexion théorique sur les spécificités d’une approche de la littérature médiévale, prenant en compte toutes ses langues d’expression, latines ou vernaculaires, par les études de genre, et sur ce que cette littérature peut, en retour, apporter à ces études. Le colloque prévu à l’université Rennes 2 au printemps 2024 a pour vocation de développer cette réflexion, en invitant les médiévistes littéraires à expliciter les fondements d’une étude de la littérature médiévale au prisme du champ conceptuel du genre.
L’inscription fréquente des recherches sur le genre dans des manifestations scientifiques réunissant des spécialistes de différentes périodes et de différentes disciplines, tout en élargissant les perspectives des littéraires médiévistes, rend patente la nécessité d’une réflexion épistémologique sur l’adaptation des concepts venus de ce domaine d’étude à une période et à des corpus qui peuvent leur sembler étrangers. Cette réflexion, plus aboutie en histoire qu’en littérature, a été engagée de longue date aux États Unis et au Canada. Elle revêt néanmoins aujourd’hui une pertinence et une urgence toutes particulières, parce que de nouvelles notions ou de nouvelles problématiques ont émergé dans les trente dernières années : ainsi des notions d’intersectionnalité, d’agentivité, de performance, d’empowerment, de care, de female gaze ; des questions de transidentités et de transitions de genre ; de l’articulation entre genre et espèce (human and animal studies) ou entre genre et durabilité (green studies).
De fait, recourir au champ conceptuel du genre dans l’analyse littéraire équivaut à emprunter un outillage notionnel né dans d’autres disciplines des sciences humaines, à commencer par la sociologie, et souvent associé à des débats politiques et sociétaux. Si ce type de transfert notionnel ne concerne pas seulement les études de genre, il n’en convient pas moins d’en justifier la pertinence et d’en préciser les modalités ; et si ce transfert peut d’abord être considéré comme une ouverture et un enrichissement pour l’interprétation de la littérature médiévale, il s’agit cependant de définir en quoi cette interprétation se distingue d’autres approches disciplinaires et demeure proprement littéraire. Corrolairement, il est intéressant de se demander en quoi les approches des médiévistes peuvent à leur tour enrichir les études de genre et, plus largement, contribuer au débat sur le traitement politique et sociétal de la question.
Ce colloque sera le lieu d’un retour réflexif sur le recours aux études de genre dans l’interprétation des textes littéraires médiévaux, qui pourra se déployer selon différents axes.
1/ Que fait l’outillage notionnel à l’objet ? Autrement dit : que fait le champ conceptuel du genre à la littérature médiévale ?
Cette question, trop générale si on l’énonce en ces termes, nécessitera d’être traitée à partir d’axes précis.
– Peut-on supposer a priori une adéquation de tout paradigme ou de tout outil interprétatif à tout type de corpus ?
– Pour quels textes ou genres littéraires une ou des notions empruntées aux études de genre possèdent-elle une vertu heuristique forte ?
– Quelles opérations de lecture implique l’approche des textes à la lumière de ces notions, que ce soit en termes de sélection, de priorisation, de hiérarchisation des phénomènes textuels ?
– Quels traits (linguistiques, stylistiques, rhétoriques, thématiques…) et quelles questions cette grille d’analyse fait-elle émerger ?
2/ Symétriquement, que fait l’objet à l’outillage notionnel ? Autrement dit : en quoi la littérature médiévale peut-elle infléchir le champ conceptuel du genre ?
Les spécificités de la matière littéraire médiévale, en termes de langue, de modalités expressives, de codes poétiques, d’univers de fiction, de contexte culturel… rendent souvent nécessaire un travail d’ajustement et de réélaboration des notions empruntées aux études de genre : celles-ci exigent d’être adaptées selon des modalités qui ne soient pas celles d’une simple application. On s’efforcera de préciser la nature de ce travail, afin de parvenir à des définitions plus fines des notions auxquelles on a recours dans l’interprétation des textes littéraires médiévaux.
– Quels effets sur le champ conceptuel du genre occasionne son transfert sur un corpus médiéval, en termes de restriction, d’extension, de modification ou de requalification des notions ?
– Le corpus médiéval amène-t-il à définir des outils d’analyse spécifiques ?
– Quelle peut être la portée de ce travail notionnel pour la réflexion sur le genre dans les autres domaines des Lettres et Sciences Humaines ?
3/ Enfin, en quoi l’objet et l’outil combinés peuvent-ils interagir avec le monde? Autrement dit : quels peuvent être la place et les enjeux, dans les débats publics contemporains, des travaux des littéraires médiévistes en études de genre ?
Dans ce troisième axe, on mènera un questionnement encore plus transitif, qui relève de la recherche appliquée et qui dépasse le seul champ des études littéraires ou de la théorie.
– En quoi le traitement des notions, pour un corpus littéraire médiéval, peut-il nourrir le sens qui leur est conféré aujourd’hui, le nuancer ou l’enrichir – et ainsi contribuer aux débats parfois houleux qu’elles suscitent ?
– Dans quelle mesure l’approche des textes médiévaux à la lumière du genre implique-t-elle une lecture située ? une lecture intéressée ? une lecture engagée ? une lecture militante ? Que l’on se reconnaisse ou non dans l’une ou l’autre de ces démarches, comment peut-on clarifier et justifier son positionnement, sur les plans éthique et théorique ?
En croisant ces trois perspectives, le colloque aura pour ambition, d’une part, de cerner ce qui fait la singularité et la fécondité d’une approche littéraire des textes médiévaux par le champ conceptuel du genre ; d’autre part, de dessiner une cartographie de notions susceptibles d’éclairer les textes médiévaux ; enfin, de proposer des démarches interprétatives qui puissent faire office sinon de modèles, du moins d’exemples propres à nourrir et à inspirer des recherches futures.
L’accent sera mis sur des notions apparues dans les études de genre au cours des trente dernières années, ou ayant cristallisé les discussions et les débats depuis les années 2000. La priorité sera donnée aux propositions de communication combinant une réflexion théorique et épistémologique avec une illustration par des cas concrets, cette combinaison étant la seule à même de justifier pleinement la pertinence d’une approche de la littérature médiévale au prisme du genre. Les deux pans de l’argumentation, théorique et pratique, pourront prendre appui sur des travaux scientifiques et/ou sur des expériences pédagogiques et didactiques ; sur ce second volet, les communications sur l’enseignement secondaire et le supérieur, en France ou ailleurs, seront les bienvenues (approche critique des manuels, analyse réflexive d’une séance – langue ou littérature – ou d’une séquence, etc.). Dans tous les cas, une attention particulière sera portée au « discours de la méthode », à la définition des notions et à la réflexivité de la démarche.
Partenariats : Université Rennes 2, Université de Genève, Université Paris-Cité, Sorbonne Université. Réseau LIMA.GE
Comité scientifique
Dominique Demartini, Université Sorbonne Nouvelle
Christine Ferlampin-Acher, Université Rennes 2
Anne-Isabelle François, Université Sorbonne Nouvelle
Cédric Giraud, Université de Genève
Danièle James Raoul, Université Bordeaux Montaigne
Didier Lett, Université Paris-Cité
Clovis Maillet, Haute École d’Art et de Design de Genève (HEAD)
Sophie Marnette, Université d’Oxford
Amandine Mussou, Université Paris-Cité
Anne Tomiche, Sorbonne Université
Tania Van Hemelryck, Université Catholique de Louvain
Marion Uhlig, Université de Fribourg
Comité d’organisation
Sophie Albert, Sorbonne Université
Sarah Delale, F.R.S.-FNRS / Université Catholique de Louvain
Rose Delestre, Universités de Genève/Rennes 2
Sébastien Douchet, Aix-Marseille Université
Yasmina Foehr-Janssens, Université de Genève
Maxim Kamin, docteur de l’Université de Grenoble, ATER à Rennes 2
Anne Paupert, Université Paris-Cité
Joanna Pavlevski, docteure de l’Université Rennes 2
Fabienne Pomel, Université Rennes 2
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Les propositions de communication, d’une taille de 3500 signes maximum, et accompagnées d’une bibliographie de 5 titres maximum, doivent être envoyées à l’adresse reseaulima.ge@gmail.com avant le 30 juin 2023.
Le comité d’organisation renverra à la mi-juillet 2023 un avis motivé d’acceptation ou de refus, assorti d’éventuelles suggestions, demandes de précisions ou de compléments.