Lieu : Université Sorbonne Nouvelle, Maison de la Recherche (4 Rue des Irlandais, 75005 Paris)
Organisation : Lucie Nizard (Université Sorbonne Nouvelle – CRP19) et Anne Grand d’Esnon (Université de Bourgogne Franche-Comté – CPTC)
Contact : desiretconsentement@gmail.com
Inscription (non-obligatoire, mais nombre de places limité)
Programme
9h30-10h : accueil
10h-10h15 : introduction
10h15-12h30 : Viol et littérature au XVIIIe siècle
Roxane Darlot-Harel : “Lire la littérature libertine du XVIIIe siècle : culture du viol et plaisir de lecture”
Melanie Slaviero (Université Paris-Sorbonne) : “« Vous vouliez bien attendre que j’eusse dit oui, avant d’être sûr de mon consentement ». Sur un viol dans Les Liaisons dangereuses : analyse critique et enjeux méthodologiques”
Jean-Christophe Abramovici (Université Paris-Sorbonne) : “Le viol entre mœurs et fictions”
12h30-13h00 : table-ronde n°1
Problèmes de définition et enjeux autour de l’anachronisme.
14h-15h30 :
Michèle Rosellini (ENS de Lyon) : titre à préciser
Camille Brouzes et Maxime Kamin (Université Grenoble Alpes) : “Comique et violences sexuelles dans les fabliaux et pastourelles du Moyen Âge : quels outils d’analyse ?”
15h45-17h15 : Des lectures subjectives, politiques ou militantes ?
Anne Grand d’Esnon (Université de Bourgogne Franche-Comté) : “Lire et interpréter le désir et le (non-)consentement de personnages de fiction. Le problème de la psychologie des personnages”
Anne-Claire Marpeau (ENS de Lyon / University of British Columbia) : “La recherche et l’enseignement littéraires peuvent-ils et doivent-ils autoriser un regard militant sur les textes littéraires ?”
17h30-18h : table-ronde n°2
Quel(s) positionnement(s) en tant que chercheur·se ?
Argument
« On peut se demander si la minoration du viol ne se poursuit pas dans le domaine de la critique littéraire, tant sont comptées les études qui lui sont consacrées1 » remarquait Nathalie Grande dans le propos liminaire du numéro de la revue Tangence sur le viol en littérature, rassemblant des contributions allant du XVIe au XIXe siècle. Si l’on s’intéresse à la recherche en France, on peut citer, outre ce numéro récent et important, un dossier de la revue numérique Le Verger de Cornucopia sur « Viol et ravissement » en mai 2013, consacré à la littérature du XVIe siècle. Un colloque intitulé « Viol, violence, corps et identité » avait également été consacré à la question à Bordeaux en 2007, cette fois autour de la littérature de l’extrême contemporain. En dehors de ces initiatives, les propositions consacrées à cette problématique sont plus ponctuelles. Du côté de la recherche anglophone en revanche, le viol est déjà bien construit comme objet de recherche littéraire2, offrant d’ailleurs de nouveaux éclairages sur le canon français3. Omniprésentes dans la littérature, les violences sexuelles méritent une exploration spécifique et précise, qui se prolonge depuis quelques années à travers de riches réflexions sur les implications pédagogiques de leur étude4.
La construction de cet objet de recherche par les études littéraires se heurte en France à des résistances importantes et spécifiques, qui reposent notamment sur l’idée que construire un tel objet reviendrait à sortir de la littérature et des cadres des études littéraires. Ces résistances de divers ordres et inégalement sérieuses mettent pourtant en exergue une condition du développement des recherches sur les violences sexuelles dans la littérature : affronter les problèmes théoriques et épistémologiques que soulève cette problématique et en préciser les contours méthodologiques et disciplinaires.
Se pose en premier lieu l’enjeu de la définition des violences sexuelles : cette définition a considérablement évolué et il n’est pas du tout évident qu’au sein d’une communauté disciplinaire, l’on dispose d’emblée d’une définition et de critères partagés. Une définition minimale du viol comme acte sexuel non-consenti, en général maniable, engage elle-même la définition et l’extension de la notion de consentement sexuel – le choix libre et non contraint de s’engager dans une interaction de type sexuel avec autrui – de ce qui le rend ou non valable au sein de rapports de pouvoir fluctuants (de genre, d’âge, de classe ou d’état) et de sa discordance possible par rapport au désir. Ce cadre théorique du consentement et des rapports de genre issu des luttes féministes, récent, n’est pourtant pas le seul qui est en jeu, à la fois au sein d’une discipline littéraire où les violences sexuelles pourront être volontiers abordées à partir des notions d’érotisme, d’écriture du trauma, du tabou ou des limites, et vis-à-vis d’œuvres dont le contexte présente un cadre idéologique très différent (pensons à l’importance de la notion d’honneur). Notre constat en effet est que certains concepts indépendamment pertinents pour rendre compte d’un texte coexistent en fait difficilement dans le discours critique lorsque nous tentons de les tenir ensemble (l’amour et le viol par exemple) : comment articuler dans ce cas les différents éléments dont nous disposons pour produire un commentaire intelligible ?
Au-delà de ce premier problème de définition, l’objet littéraire lui-même oppose des résistances particulières et met nos outils théoriques à l’épreuve : dans bien des cas, des textes anciens dont les violences sexuelles constituent un élément narratif essentiel semblent dysfonctionner pour une réception contemporaine. Comment analyser ces textes ? Faut-il faire référence à la notion d’intention de l’auteur et peut-on alors identifier un viol que l’auteur lui-même n’aurait pas « prévu » ? Peut-on démontrer que des textes devaient fonctionner autrement, produire un certain type d’émotions (le rire, l’empathie, etc.) si nous n’en faisons pas nous-mêmes l’expérience ?
Du point de vue de la fiction, lorsqu’une scène de violences sexuelles tire de toute évidence des effets esthétiques d’une discordance entre un non-consentement verbal et gestuel clair, la représentation d’un désir du personnage féminin et finalement un ensemble de procédés qui reposent sur l’idée d’une intention d’un personnage différente de ses gestes et de ses paroles, que dire encore du texte ? Sur quels fondements laisser de côté des intentions, des sentiments, une psychologie fictionnelle et retenir en revanche des actes et faits tout aussi fictionnels pour qualifier une scène ? Cette difficulté engage de façon évidente des problèmes aussi complexes que la psychologie des personnages ou le statut de vérité des énoncés narratifs.
Face à « l’infamie associée […] à l’accusation d’anachronisme5 », l’enjeu de la contextualisation ne pose pas moins de difficultés : comparer des œuvres littéraires fictionnelles avec une « réalité historique », la littérature avec la société, est une démarche commune. Mais quel type de lien va-t-on établir ? Comment de surcroît accéder à cette « réalité » et avec quels outils ? La discipline historique semble ici la plus évidente, mais l’histoire du viol dans une société n’est ni celle de sa littérature, ni celle de ses archives juridiques, qui constituent la principale source de l’Histoire du viol de Georges Vigarello6. Pour approfondir chaque période, chaque genre, chaque œuvre, le besoin de savoirs plus précis sur un sujet en chantier se fait sentir. On peut donc s’interroger sur les travaux historiques disponibles susceptibles d’appuyer une approche littéraire, et sur les zones d’ombres qui ne sont pour le moment pas levées concernant l’histoire des pratiques, normes et violences sexuelles et nous laissent dans une position inconfortable. À l’inverse, les sources littéraires sont sujettes à débat parmi les historien·ne·s, en particulier en ce qui concerne les travaux sur ce qui est tu. La définition de la discipline littéraire et les rapports entre analyse littéraire, histoire et histoire des idées se retrouvent ainsi convoqués par la problématique du viol en littérature.
Sur un objet récemment construit, nous avons ainsi à élaborer nos propres outils à partir de disciplines très diverses pour analyser en dernière instance des discours et des récits, outils susceptibles de varier en fonction des époques et des genres traités. Nous pourrons ainsi interroger la pertinence et raffiner des notions contemporaines comme celle de « culture du viol », fortement diffusée dans la critique féministe des fictions populaires. Faut-il l’utiliser dans certains cas, mais trouver des concepts alternatifs dans d’autres, en particulier pour des textes plus anciens ? L’écueil de l’anachronisme est-il plus important pour de tels outils que pour l’ensemble de nos outils d’analyse littéraire formels élaborés au cours du XXe siècle ?
La problématique des violences sexuelles interroge également les postures de recherche et les choix discursifs dans les travaux de recherche. Au niveau purement lexical, termes synthétiques, périphrases descriptives ou euphémismes (« quasi-viol », etc.) n’ont pas la même incidence. Ces choix ne concernent pas uniquement les recherches consacrées aux violences sexuelles mais toute recherche qui analyse une scène de violence sexuelle : réfléchir sur cet objet a donc une portée transversale pour la discipline. Plus profondément, la problématique des violences sexuelles en littérature engage des conceptions de la discipline et des dynamiques de valorisation qu’il faudrait expliciter : valorisation d’une certaine idée d’un siècle, d’une esthétique, d’un auteur, des « pouvoirs de la littérature », de l’indécision du sens (ses signes contradictoires), de la capacité du langage à formuler de façon implicite, d’une sensibilité particulière de la littérature à la parole des victimes comme le suggère prudemment Nathalie Grande dans le numéro de Tangence7, de l’indépendance du geste esthétique vis-à-vis des normes morales, d’une vérité anthropologique que révélerait telle ou telle œuvre, de la suspension du régime de vérité (parole contre parole), etc. Quelle exigence d’explication des normes et des valeurs convoquées par les études littéraires doit-on avoir face à de tels textes ?
Enfin, aborder les violences sexuelles en littérature implique une réflexion préalable sur les effets de sélection de certaines violences, de certaines victimes ou de certains auteurs. Toutes les violences sexuelles ne sont pas représentées avec la même netteté et la même évidence. La condamnation symbolique de certains viols étant particulièrement forte, les œuvres dessinent des représentations partielles, y compris lorsqu’elles semblent soutenir cette condamnation : les représentations du viol sont aussi un vecteur de contrôle, de mise en scène du danger et d’altérisation de certains groupes sociaux. Comment, en tant que chercheur·se, se positionner pour traiter de cet objet sans prétendre en avoir fait le tour à partir d’une seule de ses modalités ? Le choix des corpus est donc un paramètre essentiel pour rendre compte des enjeux de la représentation de différentes violences dans différents contextes.
- Nathalie Grande, « Liminaire », Tangence, no 114, 2017, p. 5-12 [↩]
- Voir par exemple Sabine Sielke, Reading rape: the rhetoric of sexual violence in American literature and culture, 1790-1990, Princeton, Princeton University Press, 2002 ; Christine M. Rose et Elizabeth Robertson (dir.), Representing rape in medieval and early modern literature., New York / Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2001 ; Corinne Saunders, Rape and Ravishment in the Literature of Medieval England, Cambridge, Boydell & Brewer, 2001 [↩]
- Patricia Francis Cholakian, Rape and writing in the Heptaméron of Marguerite de Navarre, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1991 [↩]
- Voir notamment Yurie Hong, « Teaching Rape Texts in Classical Literature », Classical World, vol. 106, no 4, 29 août 2013, p. 669-675 ; Elizabeth Gloyn, « Reading Rape in Ovid’s Metamorphoses: A Test-Case Lesson », Classical World, vol. 106, no 4, 29 août 2013, p. 676-681 ; Alison Gulley, Teaching rape in the medieval literature classroom. Approaches to difficult texts., Amsterdam, Amsterdam University Press, 2018 [↩]
- Yves Citton, Lire, interpréter, actualiser: Pourquoi les études littéraires?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007 [↩]
- Georges Vigarello, Histoire du viol: XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998 [↩]
- Nathalie Grande, « Liminaire », op. cit. [↩]