La princesse de Pecqueresseet sa fille la réforme
un pastiche signé Jean-Philippe Grosperrin
Jean-Pierre Grosperrin est Maître de conférences en littérature française (Université de Toulouse – Le Mirail).
La magnificence et l’économie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Nicolas premier. Ce prince était galant, mobile et amoureux; quoique sa passion pour la vitesse eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants. (…)
Il parut alors une réforme à l’université, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une réforme hasardeuse, puisqu’elle donna de l’indignation dans un lieu où l’on était si accoutumé à en voir de belles. Elle était de la même maison que l’ocde et une des plus grandes aventurières de France. Son père était introuvable, et l’avait laissée sous la conduite de Mme de Pecqueresse, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu le temps à lire les oeuvres de monsieur Goethe et de monsieur Derrida, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à la formation de sa fille, mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songea aussi à lui donner de la performance et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de l’université devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de Pecqueresse avait une opinion opposée, elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’université; elle lui montrait ce qu’elle a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux, elle lui contait le peu de productivité des professeurs, leur incurie et leurs prés carrés, les malheurs scientifiques où plongent les recrutements; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle prospérité suivait la vie des ressources humaines, et combien la lru donnait d’éclat et d’évaluation à une personne qui avait de la docilité et de la performance, mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver ces vertus, que par une extrême défiance des autres et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’un chercheur, qui est d’aimer son président et d’en être caressé.
* * *
Elle passa tout le jour chez elle à se réformer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Palais Universitaire. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Sarquise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Pecqueresse acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un du comité de sélection qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Secours, qui passait par-dessus quelques décrets pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de s’autonomiser, augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne, mais il était difficile aussi de voir Mme de Pecqueresse pour la première fois sans en avoir un grand étonnement.
M. de Secours fut tellement surpris de sa lru que, lorsqu’il fut proche d’elle et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais lus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser et se jauger sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent, s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient et s’ils ne s’en doutaient point.
– Pour moi, madame, dit M. de Secours, je n’ai pas d’incertitude, mais comme Mme de Pecqueresse n’a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon rang.
– Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
– Je vous assure, madame, reprit Mme de Pecqueresse, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne réforme pas si bien que vous pensez.
– Vous réformez fort bien, répondit Mme la dauphine, et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Secours à ne vouloir pas avouer que vous l’évaluez sans l’avoir jamais lu.
Ce pastiche a d’abord paru sur le site Fabula.org sous le titre «Mme de Pecqueresse et M. de Sarquise»: http://www.fabula.org/actualites/article28865.php
Il a été republié sous le titre sur le site de Marianne, «Journal des déconnautes», 11 février 2009 : http://www.marianne2.fr/La-princesse-de-Pecqueresse-et-sa-fille-la-reforme_a174989.html