Le mystère Louise Labé
«Je vis, je meurs, je brûle et me noie»: Qui n’a lu un jour au collège ce vers d’une passion ardente? Qui n’a appris qu’il était de Louise Labé, icône féministe, mère patronne de ces écrivaines aux plumes trempées dans l’encre d’une impudique sincérité, apanage du beau sexe? Mais voilà: loin d’être une femme de lettres, Louise n’aurait été que la Belle Cordière, courtisane de son état, et surtout une femme de paille. Ses 24 sonnets, ses trois élégies, son «Débat de folie et d’amour», publiés à Lyon en 1555, une mystification ourdie par de mâles esprits. Louise est morte, vive Maurice Scève et sa bande de poètes lyonnais! Mignons, allons voir si la thèse relève de la blague, de notre fâcheuse ère du soupçon ou d’un travail scientifique. L’auteur en est une femme, Mireille Huchon, sorbonnarde émérite, qui aligne les arguments savants: Louise n’a publié qu’un seul ouvrage et ne donna plus signe de vie. Ses collègues qui lui ont consacré 24 pièces insérées dans son recueil doutaient parfois de son existence et cette supercherie, au nom d’une «gaye fantaisie», reprendrait le vœu de Clément Marot de «louer Louise», comme jadis Pétrarque loua Laure.
Sans être irrecevables, ces arguments n’emportent pas l’adhésion. Surtout quand Mme Huchon affirme: «C’est un texte artificiel, bien éloigné des accents de sincérité absolue qu’on a cru y lire.». On peut certes gloser sur la sincérité en littérature, mais il y a chez Louise une bouleversante capacité à se désosser qu’on cherche en vain chez Scève et ses sévères amis. A moins, bien sûr, qu’en passant sous le loup d’une femme ils n’aient laissé la bride à des voix moins masculines. L’hypothèse est charmante et ravira les amateurs de gender studies. Mais songeons aux pauvres agrégatifs recalés en 2005 sur une texte de Louise. Ne seraient-ils pas en droit de poser une réclamation pour tromperie sur la marchandise?
François-Guillaume Lorrain (dossier «La Renaissance. Quand la France s’éveillait», Le Point n° 1788-1789, 21 décembre 2006, p. 187).