Postface à la réédition des
Œuvres poétiques de Louise Labé et de Pernette du Guillet
Depuis 1983, date de la présente édition, la voix ténue de Louise Labé a pris de l’ampleur, tant pour les lecteurs cultivés que dans les milieux universitaires, qui lui accordent une reconnaissance tardive. Une édition complète (avec le Débat et les Ecrits à la louange de Louise Labé Lyonnaise) a été donnée en édition de Poche; une thèse, des travaux collectifs, un colloque lui ont été consacrés. La très sérieuse biographie de M. Lazard, étayée de nombreux documents, a fait justice des légendes ridicules qui accompagnaient la mémoire de la Lyonnaise. Ce petit ensemble, vers et prose (moins de cent pages en édition moderne) méritait-il cet excès d’honneur? La question vient d’être brusquement posée, et négativement résolue, par un ouvrage de Mme Mireille Huchon (Louise Labé, une créature de papier, Droz 2006): cette oeuvre serait le résultat d’une supercherie littéraire; y aurait mis la main un groupe d’humanistes et écrivains amis du prestigieux libraire-imprimeur Jean de Tournes: ce volume serait un des fleurons de son atelier, en cette année 1555 qui lui fut particulièrement faste. L’existence même de Louise Labé n’est pas en jeu. Mais ces textes, pour lesquels l’auteur montre un certain dédain, seraient dus aux participants du groupe, ceux-là même qui signent sous divers pseudonymes le recueil d’«écrits à la louange…» qui couronnent le livre, doublant ainsi son volume. Inutile donc de chercher comme on l’a fait une quelconque «sincérité» dans cet ensemble artificiel.
Cette démonstration est fondée sur un ensemble de remarques convaincantes touchant la vie contemporaine et le réseau des relations littéraires, soutenues par une vaste érudition. Cependant aucune preuve tangible, aucun document ne viennent l’étayer. L’argumentation ne se fonde que sur un ensemble de conjectures données comme convergentes. Les faits relevés sont troublants, mais à les prendre un par un pourraient être interprétés dans un sens diamétralement opposé. Par exemple, la minceur de l’oeuvre: n’en va-t-il pas de même pour ce diamant de la pensée politique de la Renaissance qu’est le bref Discours de la Servitude volontaire de La Boétie (moins de 50 pages) suivi de son Mémoire sur les troubles… (ensemble que Montaigne, éditeur infidèle, omet dans son édition de 1571 chez Fédéric Morel)? Louise s’est totalement effacée de la vie littéraire de son temps, aucun hommage poétique ne témoigne plus d’elle après 1556: n’en va-t-il pas de même du considérable Maurice Scève, dont la date de Microcosme n’est supposée que par ses derniers vers, et dont la date de mort, inconnue, est restée dans un profond silence? Etc.
La vraie question est d’ordre littéraire. Elle touche le texte même et son interprétation : y a-t-il une cohérence, une unité d’inspiration et d’écriture, dans cet ensemble, vers et prose compris’ Les recherches récentes n’ont pas éludé ce problème (1). A cette lumière, la question de la «sincérité» est repoussée au second plan, elle appartient au domaine des genres et de la «circonstance lyrique». Faut-il croire par ailleurs que des voix multiples, exclusivement masculines, aient pu produire ces pages, où l’on peut entendre – même sans croire à des «marques féminines de l’écriture» – une voix qui se revendique, pour une des premières fois sans doute, comme féminine? quel en est le degré d’authenticité? L’espace de cette postface ne permet pas, en regard des 278 pages de l’ouvrage en question, de répondre à ce questionnement. Le vrai problème est celui de l’auteur multiple ou unique, et de son appartenance au masculin ou féminin: car dans le dernier cas, quelle importance qu’il ou elle ait revêtu l’indentité d’une certaine Lyonnaise qui vivait dans les années 1520-1560? Seule compte l’accent, la poussée d’une voix poétique qui reste singulière après plus de quatre siècles. Nous laissons les lecteurs en juger à leur façon, devant le texte dans sa nudité et sa force.
Cependant la note bibliographique qui suit peut leur fournir quelques instruments utiles.
(1) Voir par exemple F. Charpentier, (dans Les Voix du lyrisme), 1990; Daniel Martin, (Signe(s) d’Amante),1999; F. Charpentier, (dans la revue Méthode!, Pau), 2005.
Françoise Charpentier (Œuvres poétiques de Louise Labé et de Pernette du Guillet, Gallimard-poésie, 2006)